TOUT EST DIT

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mardi 6 novembre 2012

Les 75%, un impôt bête et méchant

Faire contribuer les super-riches à l’effort de réduction des déficits n’est pas incongru. Mais vu le taux retenu, cette taxe pourrait se révéler un bien mauvais calcul.
François Hollande les a surnommées «les pleureuses». En l’occurrence, personne ne versera une larme sur le sort de ces stars du business ou du show-biz venues quémander la clémence du président. Et pas Capital, en tout cas, dont la rédaction est la seule à évaluer chaque année le rapport qualité-prix des grands patrons et à pointer les rémunérations excessives au regard des performances. Mais fallait-il créer une taxe pour ramener les dirigeants à plus de raison ? Fallait-il appliquer un taux exceptionnel de 75% sur les revenus dépassant le million d’euros annuel – record du monde en la matière – pour les punir ? Cet impôt sanction décidé sur un coin de table pendant la campagne présidentielle est peut-être habile politiquement. Sur le plan économique, il devrait rapidement révéler sa vraie nature : bête et méchante.
Quels sont les revenus imposés ? Les artistes et les sportifs, à la fiche de paie en dents de scie, espéraient y échapper. Les patrons pensaient pouvoir rabioter quelques avantages, par exemple en calculant le revenu par foyer fiscal et non par personne. Les avocats d’affaires ont fait quelques effets de manche. François Hollande a tranché : tous les revenus du travail seront concernés et aucune part ou demi-part ne viendra diminuer l’assiette. Sauf ajustement de dernière minute au Parlement, qui examinera le texte à l’automne, tomberont donc sous le coup de cette taxe les revenus fixes et les bonus des salariés, les bénéfices non commerciaux des professions libérales et les cachets et droits d’auteur des artistes. En revanche, ni les stock-options, ni les actions gratuites, ni les dividendes ne seront intégrés, ce qui constitue pourtant le plus gros des rémunérations des super-riches. Mais il est vrai que le gouvernement réserve à ces revenus du capital un traitement fiscal (corsé) à part. Dernière certitude, la taxe sera applicable dès la déclaration des ­revenus 2012 et restera en vigueur (au moins) deux ans.
Pourquoi cet impôt ne va pas rapporter grand-chose. Peu de contribuables, une assiette fiscale étroite. Pas besoin de travailler aux impôts pour deviner que les recettes seront minces. A peine 200 à 300 millions d’euros par an, selon François Hollande lui-même. C’est un peu court pour combler les déficits publics… «Peu importe le rendement, confesse un conseiller à Bercy. L’idéal serait même qu’il soit nul. Cela voudrait dire qu’il n’y a plus de rémunérations indécentes.» Message transmis aux comités des rémunérations des grands groupes, aux producteurs de cinéma ou à l’éditeur de Marc Levy (ah  non ! lui vit à New York). Quitte à demander un effort aux plus aisés, «il aurait mieux valu porter le taux marginal à 50%, comme au Royaume-Uni, note un patron du CAC 40. Chacun aurait trouvé cela normal en période de crise et les caisses de l’Etat se seraient remplies bien davantage». Alors, combien devront débourser en plus nos millionnaires (déjà soumis à un nouveau taux marginal d’impôt sur le revenu de 45%) ? Pour un Christophe de Margerie, chez Total, le chèque serait de 365 000 euros, pour Jean-Paul Agon, chez L’Oréal, de 520 000 euros, pour Denis Hennequin, chez Accor, de 227 000 euros.
Comment les riches pourront-ils y échapper ? Pour cette année, c’est cuit, le gros des rémunérations ayant déjà été versé. Des parades sont envisageables dès 2013. «Les groupes vont ­pratiquer de plus en plus le “split ­salary”», pronostique Jean-Yves Mercier, avocat associé chez CMS Bureau Francis Lefebvre. Explication : les hauts managers travaillant beaucoup à l’étranger se feront payer dans différents pays, de préférence à fiscalité douce, là où leur société dispose de filiales. Au final, ils ­seront taxés en France sur une partie réduite de leur revenu total. Un Carlos Ghosn touche d’ores et déjà beaucoup plus chez Nissan au Japon que chez Renault à Paris. Certains oseront-ils aller plus loin en changeant de résidence fiscale ? Info ou intox, des rumeurs de déménagement des états-majors de LVMH à New York ou PPR à Londres ont circulé depuis cet été. Peu crédibles, vu le nombre de personnes impliquées. Des déménagements au cas par cas semblent plus plausibles. L’exemple de Jean-Pascal Tricoire pourrait faire école. Le président de Schneider Electric s’est installé il y a un an à Hong Kong pour gérer au plus près ses marchés les plus dynamiques. Un départ, antérieur à la taxe donc, justifié par des considérations économiques. Ce dirigeant nous a d’ailleurs précisé qu’il payait encore des impôts en France. Mais les revenus à Hong Kong étant taxés à 17%, on espère pour lui qu’il s’est renseigné…
La fuite des "forces vives" relève-t-elle du fantasme ? C’est le chiffon rouge agité par le Medef. Le pays serait menacé d’une nouvelle forme d’exil fiscal. Après la fuite des rentiers – l’ex-patron de L’Oréal, Lindsay Owen-Jones, serait récemment passé en Suisse, tandis que l’ancien banquier Amaury de Sèze aurait choisi la Belgique – ce sont les entrepreneurs et les cadres à haut potentiel qui pourraient décamper. Car la taxe à 75% vient s’ajouter à une série de coups de massue fiscaux : hausse de l’ISF, de la fiscalité sur les dividendes, nouvelle tranche fiscale à 45% à partir de 150 000 euros de revenus annuels… «Même certains jeunes créateurs qui ne sont pas concernés par ces mesures me disent préférer se lancer à l’étranger, assure Olivier Duha, président de CroissancePlus, une association de start-up innovantes. Or ils participent au premier rang à la création de richesses dans notre pays.» Difficile cependant d’estimer les dégâts pour l’économie. Sauf peut-être pour les clubs de foot français. «S’ils veulent conserver leurs vedettes, ils devront dépenser trois fois plus qu’aujourd’hui pour maintenir leurs salaires actuels après impôts», calcule Bastien Drut, économiste du sport. Pas sûr qu’ils aient les moyens de s’aligner.
La taxe a-t-elle un effet repoussoir à l’étranger ? La Ligue 1, on l’a vu, aura du mal à recruter de nouvelles stars l’an prochain. De même, les ténors du CAC 40 qui souhaitent attirer des talents étrangers dans leurs comités de direction devront trouver la parade. «Soit il faudra les payer plus cher, soit il faudra faire une croix sur eux», prévient Diane Segalen, directrice du cabinet de chasseurs de têtes Segalen + associés. Mauvais pour l’image du pays. Pour mesurer cet effet repoussoir, il suffit de lire la presse étrangère, qui, à 54%, juge négativement cet impôt. En revanche, les Français l’approuvent à 60%. «Quand j’ai annoncé à mes actionnaires japonais cette nouvelle taxe, ils ne m’ont pas cru», raconte Pierre Kosciusko-Morizet, le fondateur de PriceMinister. Allez, ça ne devrait durer que deux ans. En principe.

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