TOUT EST DIT

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mercredi 23 mai 2012

À la recherche du moindre mal

La question du 1er tour


« C’est l’heure de s’entendre », comme dirait Jacques Trémolet de Villers avec Jeanne d’Arc (voir en page 4). Suivant le conseil post-électoral de Denis Sureau de se former à une bonne philosophie (ou théologie) politique –  sans laquelle « le chrétien est une proie facile pour les grands manipulateurs » (Homme nouveau du 19 mai) –, poursuivons notre amicale disputatio avec l’abbé Guillaume de Tanoüarn. Autant on saisit mal sa réticence nationaliste à un sain et légitime communautarisme, national et chrétien (cf. Présent du 16 mai), autant on comprend mieux sa défense politique du moindre mal dans Monde et Vie du 5 mai. A quelques nuances près.
Avec mon essai Politique et morale (Eléments de philosophie chrétienne, DMM, 2004), je me suis trop affronté au moralisme politique de certains objecteurs pour ne pas approuver ses paroles qui résument assez bien notre position commune : « Pourquoi l’autorité politique est-elle en droit (d’après saint Thomas) de se salir les mains ? Parce qu’elle doit toujours rechercher la fin bonne qui est proportionnelle à son activité politique. Quelle est cette fin bonne ? La paix civile, la paix sociale (…) Le but de la politique n’est pas de réaliser le bien moral, mais d’assurer les conditions sociales de sa réalisation par chaque personne. »
Le moindre mal et sa tolérance, s’ils sont assurément admis et même recommandables en politique (eu égard au bien commun) ne peuvent être appliqués univoquement (de la même manière) en morale (eu égard au bien personnel), en vertu du principe philosophique et scripturaire (Rom 3, 8) selon lequel la fin ne justifie pas le moyen. D’où la difficulté à vouloir exécuter strictement et proprement le principe de l’acte à double effet – dit aussi du volontaire indirect (1) – en (morale) politique comme on doit le suivre en morale personnelle (cf, Veritatis splendor, § 76 à 84), sinon par analogie (2).
Placer la politique dans la morale (dont elle est la servante), comme font certains thomistes (pas tous : ni Jugnet ni De Corte par exemple), est certes commode et pratique pour la division (scolastique) de la philosophie et dit bien quelque chose de juste de la politique (fin intermédiaire). Mais cela ne dit pas tout de l’activité politique (expérience complexe) qui demeure un « mixte » d’agir (morale) et de faire (art) avec sa consistance propre et donc une certaine irréductibilité. L’inconvénient des classifications, c’est que, parfois ou souvent, elles enferment artificiellement dans une seule catégorie (moralisme ou réalisme politiques) même ceux qui en franchissent les frontières. Ce n’est pas, par exemple, parce qu’on distingue moralement entre moindre mal et « moindre pire » (de manière prudentielle) qu’on n’est pas aussi réaliste en matière d’art politique. La (morale) politique connaît par réalisme une certaine loi de gradualité que rejette a priori la morale (individuelle).
Cela étant dit, même en matière électorale, le réalisme politique a tout de même, lui aussi, des limites qui font s’interroger sur certaines positions prises avant le premier tour des élections présidentielles et qui risquent de se reproduire aux législatives. C’est la question que j’ai posée relativement à ces catholiques qui, par prétendue habileté politique, au nom d’un système électoral soi-disant bipolaire, préfèrent depuis des lustres voter directement pour le « moindre pire » avortueur et mondialiste supposé « à droite » – Giscard, Chirac, Sarkozy – dès le premier tour pour éviter le pire (dit à gauche) – Mitterrand, Royal, Hollande – au second tour, affaiblissant ainsi volontairement le moindre mal – un(e) Le Pen – nettement plus satisfaisant sur ces questions vitales (3).
Ne peut-on pas considérer que c’est une action non seulement amorale, voire immorale, mais aussi impolitique (malhabile et « mal-à-droite ») ? Car ce soi-disant vote [d’idiot ?] utile alimente une mauvaise dialectique au sein du camp provie et national. Il explique sans doute (depuis des lustres également) la « machine à perdre » d’une « droite » piégée et piégeuse, à la fois victime et actrice du système de domination très efficace de la gauche. Même s’ils s’en défendent, la dictature du relativisme s’étend en fait par la soumission et la caution de ces individus à ce système de bipolarisation trompeur orienté à gauche (la preuve par Christine Boutin), dont on ne peut réellement s’échapper que par une position de claire dissidence. N’était-il pas ambigu, à cet égard, de cibler exclusivement Hollande avant le premier tour comme ennemi public n° 1 ?
Changer les termes du débat
On pourrait dire des « sarkocathos » du premier tour (de 2005 ou 2012) ce qu’écrivait Jacques Perret de certains patriotes « Algérie française » qui devenaient partisans d’un bout de chemin avec le gaullisme pour éviter pareillement le péril socialo-communiste : « Ils se trouvent une sagesse facile à s’interdire une condamnation globale, réputée passionnelle. (…) De toute manière consentir à un mal de cette espèce dans l’appréhension du pire, c’est faire le lit du pire car la nature du mal c’est d’aller au pire. » La question politique du second tour se pose bien sûr autrement : nous y reviendrons.
Mais demeure politiquement (à la fois moralement et stratégiquement) ma question du premier tour, à laquelle la proposition des principes non négociables de Benoît XVI apporte un indice appréciable, quoiqu’en prétendent certains « réalistes » : entre un moralisme politique outrancièrement abstentionniste (« Ils ont les mains propres mais ils n’ont pas de mains ») et un mauvais réalisme politique en fait manipulé (« La fin justifie les moyens »), n’y a-t-il pas, pour le premier tour, une manière à la fois habile et honnête de faire chrétiennement usage du vote républicain ? Plus que jamais, avec ce levier des points non négociables, il importe de toute façon, comme dit aussi Philippe Maxence, de « changer les termes du débat » pour que les catholiques ne soient plus condamnés à être les plus supplétifs du « moindre pire », « enfermés dans des choix impossibles qui ne répondent aucunement à la totalité de leurs principes et à la hauteur des enjeux »
(1) Il est permis dans certaines conditions de poser un acte qui produit un effet bon directement voulu, même si cet acte peut causer aussi un effet mauvais concomitant. Par exemple en calmant une douleur accélérer la mort.
(2) Cf. les exemples donnés dans Politique et morale, notamment celui des maisons closes.
(3) Même si, relativement à l’ancien programme du Front national, on peut aussi considérer Marine comme un « moindre pire » par rapport au pire de la fausse droite courbe.

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