TOUT EST DIT

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mercredi 17 août 2011

"L'Europe est en danger"

Cellule de crise au chevet de l'euro. Mardi 16 août, face à des marchés impatients et affolés par le surendettement des pays de l'union monétaire, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se sont réunis à Paris pour trouver des réponses à cette crise inédite : refonte de la gouvernance et création d'une taxe sur les transactions financières. Et à terme, peut-être, la mise en place d'euro-obligations pour mutualiser les dettes des pays membres. Elle a été évoquée du bout des lèvres par le président français.

Pour le financier américano-hongrois, George Soros, 81 ans, les dirigeants avancent. Mais ce spécialiste des monnaies affirme qu'il faut aller plus loin, pour gagner la bataille contre les spéculateurs.
Pensez-vous que l'euro soit en danger ?
George Soros : Oui. L'Europe est en danger. La situation est grave et les autorités commencent seulement à prendre la chose au sérieux. Jusqu'à présent, elles ne faisaient que répondre aux pressions des marchés. Maintenant, elles se mettent à discuter de solutions de long terme. Aujourd'hui, on n'a pas d'autre choix que d'améliorer la gouvernance de la zone euro. La question n'est plus de savoir s'il faut une monnaie unique ou non. L'euro existe et s'il s'effondrait, cela se traduirait par une crise bancaire totalement hors de contrôle. Le monde plongerait alors dans une profonde récession.
Vous êtes favorable à la création d'euro-obligations afin de mutualiser les dettes des pays…
Oui, et je pense que Nicolas Sarkozy a eu raison de dire, mardi, que les euro-obligations doivent être envisagées à la fin du processus. Cela doit être l'objectif. Pour sortir de l'ornière, les pays membres doivent se financer à un coût raisonnable. Les euro-obligations sont le meilleur moyen d'y parvenir. Mais le diable est dans les détails ! Par qui, comment et dans quelle quantité ces titres doivent-ils être émis ? Tout cela doit être discuté.
Et cela ne suffit pas. Avec toutes les discussions sur les euro-obligations, on en oublie l'état du système bancaire européen lui aussi en crise. Les établissements sont trop fragiles. Ils sont sous-capitalisés et détiennent beaucoup de titres de dettes européennes, jusqu'ici considérés comme des produits sans risque. Ce n'est évidemment plus le cas. En particulier concernant les titres espagnols et italiens. Il faut lever ce risque avec des euro-obligations et recapitaliser les banques. Elles ont des difficultés à se prêter entre elles et coupent leurs lignes de crédits. Cela pousse l'Europe dans la récession.
Cela pourrait-il aussi pousser une banque à la faillite ?
Personne ne laisserait plus une telle chose arriver. Mais si c'était "autorisé", cela pourrait facilement se produire !
Lancer les euro-obligations réclame la mise en place d'un ministère européen de l'économie et d'une agence de la dette. Or, rien de tout cela n'existe…
C'est exact. Certains, comme le ministre allemand des finances, Wolfgang Schaüble, et Otmar Issing, ancien membre de la Banque centrale européenne (BCE), disent qu'il faut donner à la zone euro une légitimité politique. Ils ont raison.
A court terme, que faire ?
Les euro-obligations sont la solution ultime. En attendant, le conseil des ministres européens des finances doit autoriser la BCE à fournir de la liquidité pour permettre aux Etats de se financer à des taux raisonnables. Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) pourrait aussi être utilisé comme une banque et emprunter à la BCE avec une garantie des Etats. Cela pourrait être une solution temporaire, jusqu'à la création des euro-obligations. Le problème ensuite sera de fixer une limite aux emprunts des différents Etats.
En 1992, vous avez parié sur la sortie de la livre sterling du système monétaire européen (SME), avec succès. Les marchés peuvent-ils gagner contre l'euro ?
Certainement. La zone euro telle qu'elle est construite n'a pas d'autorité budgétaire et fiscale. Tant que cette puissance n'existera pas, le marché pensera qu'il peut gagner. Il a face à lui la BCE. Mais son pouvoir se limite à résoudre les problèmes de liquidités – pour rendre les marchés plus fluides – sans s'attaquer aux problèmes de solvabilité des Etats.
Après la Grèce, l'Espagne, l'Italie, la France peut-elle être la cible d'attaques spéculatives ?
Cela a déjà commencé ! Est-ce légitime ? Oui. Car si l'Italie et l'Espagne ne sont plus en position d'aider la Grèce, la cote part de la France pour sauver Athènes augmentera. Et encore plus, évidemment, si l'Italie et l'Espagne venaient à réclamer de l'aide. Et ce fardeau s'ajoute aux problèmes internes à la France. Des réformes structurelles importantes sont nécessaires.
Faut-il autoriser des pays à sortir de la zone euro ?
Oui. L'euro peut survivre à la sortie de pays comme la Grèce ou le Portugal, de taille modeste. Mais l'Union éclaterait si c'était le cas de l'Italie ou de l'Espagne. Il faut donc distinguer les petits pays des grands. Mais même si un petit pays comme la Grèce abandonnait l'euro, cela provoquerait un chaos, l'effondrement de son système bancaire. Autoriser un pays à quitter la zone euro réclame donc une préparation minutieuse. Il faut s'assurer que les prêteurs ne sont pas spoliés, garantir les dépôts des épargnants et faire en sorte que les banques restent debout. Tout cela doit être écrit noir sur blanc.
La situation est grave, dites-vous. Pensez-vous qu'un Etat européen puisse faire faillite ?
C'est tout à fait possible. S'il s'agit d'une "faillite organisée", on peut très bien envisager de gommer une partie de la dette. C'est déjà le cas de la Grèce. Si cela n'a pas pris le nom d'une banqueroute, l'accord du 21 juillet a mis sur pied un défaut organisé du pays sans provoquer de séisme.
Au-delà de la dette, le problème fondamental de l'Europe n'est-il pas lié à sa croissance atone ?
Les deux sont connectés. Les problèmes s'aggravent l'un l'autre. Prenons le cas de l'Espagne, lorsque vous avez un taux de chômage de plus de 20 %, il est nécessaire d'augmenter les aides sociales pour éviter de plonger le pays dans la récession. Si vous ne pouvez augmenter le déficit, alors vous êtes piégés.
Que faire ?
En Grèce comme en Espagne, il faut mettre en place des réformes structurelles ; rendre plus flexible le marché du travail et gagner en compétitivité. Mais la demande intérieure doit aussi être stimulée. Il faut établir des règles qui autorisent les pays dont le chômage est élevé à rester déficitaire. Le problème est que l'Allemagne a des idées fausses à ce sujet. Elle aimerait que tous les pays aient des budgets à l'équilibre.
Les Etats-Unis aussi ont un problème de dette et de croissance…
Le problème est d'ordre politique. Il faut mettre en place des stimuli pour accroître la productivité et redémarrer la machine. Mais les pressions politiques contre une hausse des dépenses publiques empêchent ce type de mesures. Dès lors la Réserve fédérale américaine (Fed) peut être le recours. La banque centrale peut déployer un nouveau "QE3", pour injecter plus d'argent dans le système. Cela ferait baisser le coût du crédit, encouragerait les investissements et la consommation. Mais c'est moins efficace. L'argent pourrait rester dans les banques ou se nicher hors des Etats-Unis. Finalement, le blocage est politique comme en Europe. C'est plus grave.
Que voulez-vous dire ?
Les problèmes sont complexes mais les gens veulent des réponses simples. Cela conduit certains à être frustrés et à adopter des positions antieuropéennes comme en Finlande ou en Allemagne où certains se disent opposés aux transferts financiers. Nous devons être unis. Nous n'avons pas le choix.
Vous êtes né à Budapest mais vivez aux Etats-Unis. Vous sentez-vous européen ?
Je suis européen !
Aux Etats-Unis, le milliardaire Warren Buffett propose d'augmenter les impôts des "super-riches" pour participer à l'effort national. Etes-vous d'accord ?
Bien sûr. Warren Buffett est un investisseur talentueux et malin. Il réfléchit à long terme et sait défendre les intérêts des surper-riches. Il a conscience que si les riches ne font rien aujourd'hui, ils se mettront le public à dos dans les prochaines années.

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