TOUT EST DIT

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mercredi 17 octobre 2012

Islam et immigration face au déclin démographique européen : derrière les fantasmes, la vérité des chiffres

Une vidéo choc sur l’expansion de l’islam a été présentée par un cardinal africain lors du synode sur l’évangélisation. Elle donne une vision alarmiste sur le développement de l'islam en France, pays qui deviendra selon les auteurs "une république islamique" dans moins de 40 ans. Les chiffres et le scénario présentés dans cette vidéo sont-ils crédibles ?   
Michèle Tribalat : Comme toujours dans ce genre de document, il y a du vrai et pas mal de faux. L’effondrement démographique européen est une réalité qui marque certains pays plus que d’autres. L’Allemagne et l’Espagne, par exemple, s’en tirent moins bien que la France ou le Royaume-Uni. Dans son scénario Convergence, Eurostat a projeté une croissance démographique de 16 millions en 50 ans (de 2010 à 2060) dans l'Union européenne des 27. En l’absence d’immigration, l’Europe perdrait 70 millions d’habitants, soit un apport démographique de l’immigration de 86 millions en quarante ans, correspondant à près de 17 % de la population de 2060.

La population d’origine étrangère en Europe serait évidemment bien supérieure si l’on y ajoutait l’effet de l’immigration passée, celui des unions mixtes et des différentiels de fécondité qui ne sont pas pris en compte. Sans immigration, l’Espagne perdrait 8 millions d’habitants, l’Allemagne en perdrait 23. Un exercice de projection réalisé précédemment par Eurostat visait à estimer la part de la population d’origine étrangère en 2060 (exercice pas complètement satisfaisant d’un point de vue scientifique pour des raisons qu’il serait difficile d’expliquer ici). Il anticipait que la moitié des moins de 40 ans seraient d’origine étrangère en Espagne et en Allemagne en 2060, un peu plus de 40 % au Royaume-Uni et 20 % en France.
Pour la France, c’est peu crédible car on y est déjà. Même si ces chiffres étaient corrects, toutes les personnes d’origine étrangère ne sont pas musulmanes. À partir de l’enquête Trajectoires et origines réalisée par l’Ined et l’Insee en 2008, j’ai estimé à 4 millions le nombre de musulmans déclarés (soit 6,8 % de la population de France métropolitaine) et à 4,8 millions le nombre de personnes dont au moins un parent est musulman, soit respectivement 34 % et 41 % de l’ensemble de la population d’origine étrangère sur deux générations.

Le document compare le nombre moyen d’enfants par femme en France , "1,8 enfant par femmes" à celui des "musulmans" qui serait de "8,1 enfants par femme". Pour la France, la vidéo affirme également que "30% des enfants de moins de 20 ans sont musulmans" et qu’en 2027 "un français sur cinq sera musulman". Comment peut-on enquêter sur le sujet sachant qu’il n’y a pas de statistiques ethniques et religieuses en France. Dispose-t-on, malgré tout, d’estimations fiables sur le sujet ?

Les propagandistes ont du mal à résister à l’attraction des chiffres symboliques qui frappent l’imagination : 8,1 c’est 1,8 à l’envers. Tout cela est archi-faux. Aucun pays au monde n’a une fécondité d’un tel niveau aujourd’hui. Quelques pays ont encore un peu plus de 6 enfants par femme. C’est le cas du Mali, du Burundi, de la Somalie et de l’Afghanistan.
J’ai estimé la fécondité des femmes musulmanes en France, toujours d’après l’enquête Trajectoires et origines réalisée en 2008. À 40 ans, les femmes musulmanes nées dans les années 1958-1968 avaient 2,8 enfants en moyenne, contre, 1,9 chez les catholiques et 1,7 chez les femmes sans religion. Quant aux naissances, toujours d’après l’enquête Trajectoires et origines, pour les enfants nés en 2006-2008, un peu moins de 20 % d’entre eux auraient au moins un parent musulman.
Si la France n’avait jamais collecté les statistiques dont vous parlez, nous ne saurions absolument rien. Les chiffres que je vous ai donnés ne tombent pas du ciel. Ils sont sourcés. Nous n’avons pas d’enregistrement systématique, mais nous avons des enquêtes de temps en temps qui enregistrent des informations sur les ascendants (plus ou moins adéquates) et sur la religion. Ces statistiques ne sont pas interdites. Leur collecte est réglementée, mais relativement facile pour la statistique publique depuis 2004. L’Insee a freiné des quatre fers pendant longtemps avant de s’y résoudre.

D’après la vidéo, le nombre moyen d’enfants par femme en Europe est de 1,38 enfant. Toujours selon cette vidéo, l’Europe "cesserait donc d’exister" ou plutôt va exister autrement par "l’immigration". Quel est aujourd’hui le pourcentage de musulmans en Europe ? Comment ce pourcentage va -t-il évoluer dans les années à venir ?

Le nombre moyen d’enfants par femme dans l’Union européenne des 27 était de 1,59 en 2009, dernier chiffre publié par Eurostat à l’échelle de l’Union. C’est peu et annonce un déclin démographique que l’immigration contrecarre encore. De grosses différences subsistent entre les pays avec le Portugal à 1,32, l’Allemagne à 1,36 d’un côté, et la France à 2,0 et le Royaume-Uni à 1,94 de l’autre. Les premiers ont du souci à se faire, même si l’Allemagne peut espérer drainer une partie de la jeunesse européenne vers son économie.
Je vous ai cité plus haut quelques chiffres des projections d’Eurostat. Le scénario élaboré n’imagine pas une remontée très importante et rapide de la fécondité mais table plutôt sur l’immigration. Cela correspond tout à fait à la "philosophie" européenne qui n’imagine pas d’autre solution que l’immigration. Ce qui l’oblige à préparer les peuples européens à faire bon accueil aux nouveaux venus, puisque aucun autre choix ne semble possible, refrain bien connu. La politique familiale n’est pas une compétence européenne, l’immigration oui. Aucun effort n’est réellement entrepris à l’échelle européenne pour penser une politique qui permettrait à la démographie de l’UE d’être un peu moins dépendante et de compter plus sur ses propres forces en mettant au monde un peu plus d’enfants. L’Europe attend son salut démographique de l’extérieur en attendant le meilleur de "l’autre", toujours à l’honneur, même si les peuples craignent le pire.
Le Pew Forum, aidé de l’IIASA (International Institute for Applied System Analysis) a réalisé des projections de populations musulmanes dans le monde (2010-2030). En 2030, la population musulmane attendue en France métropolitaine serait légèrement inférieure à 7 millions, soit 10,3 % de la population totale. En 2030 comme en 2010, c’est en France que la population musulmane serait la plus importante, en nombre et en proportion, dans l’Union européenne des 15.

La France est le pays d’Europe qui compte le plus de musulmans. L’islam peut-elle devenir la première religion de France ?

Tout dépend comment l’on compte. Sur la simple affiliation, non bien sûr. Sur le nombre de fidèles vraiment engagés dans leur foi, c’est déjà pratiquement le cas puisque, parmi ceux qui déclarent accorder beaucoup d’importance à la religion, les musulmans sont plus nombreux que les catholiques entre 18 et 50 ans (enquête Trajectoires et origines 2008). Mais ce ne sont pas les musulmans qui portent la responsabilité de l’effondrement du catholicisme : 9 % des catholiques accordent beaucoup d’importance à la religion, contre 49 % chez les musulmans. L’islam est très dynamique, avec un taux de transmission qui s’est considérablement accru dans les générations les plus jeunes, alors que le catholicisme a déjà touché le fond. Les conversions ne sont pas pour l’instant, contrairement à une idée très répandue, un vecteur d’expansion de l’islam très important.

Presque partout en Europe, les formations d’extrême droite prospèrent sur le thème "de l’islamisation de l’Europe". Cela relève-t-il du fantasme ou recouvre-t-il une part de réalité ?

On peut entendre l’islamisation de deux manières. Une manière très littérale revient à dire que les musulmans seront bientôt majoritaires en nombre dans la population française, ce qui n’est pas réaliste du tout. S’il y a fantasme, il est là. Une autre manière consiste à penser que l’apparition d’une minorité musulmane importante, de plus en plus sûre d’elle et exprimant des exigences va changer notre cadre de vie, nos modes de vie et limiter nos libertés. Mais c’est déjà le cas. Pas la peine d’insister sur ce que l’islam a grignoté, d’ores et déjà, sur notre liberté d’expression. Christopher Caldwell a consacré un livre précisément à ce sujet, sans grand écho en France, malheureusement. Quand une culture tolérante accueille une culture intransigeante, c’est généralement la première qui cède. D’une certaine manière, la présence d’une population musulmane de plus en plus importante va nous obliger à décider ce sur quoi nous ne cèderons pas. Et, comme l’écrit Salman Rushdie, nous ne garderons que les libertés pour lesquelles nous serons prêts à nous battre. J’emploie le terme "battre" au sens figuré et non au sens d’un conflit armé. Je me sens obligée de le préciser, ce que je n’aurais sans doute pas fait 30 ans plus tôt.

1 commentaires:

Refroidi a dit…

Michèle Tribalat déclare :
« À partir de l’enquête Trajectoires et origines (…), j’ai estimé (…) à 4,8 millions le nombre de personnes dont au moins un parent est musulman »,
et
« A 40 ans, les femmes musulmanes nées dans les années 1958-1968 avaient 2,8 enfants en moyenne, contre, 1,9 chez les catholiques et 1,7 chez les femmes sans religion. Quant aux naissances, toujours d’après l’enquête Trajectoires et origines, pour les enfants nés en 2006-2008, un peu moins de 20 % d’entre eux auraient au moins un parent musulman. »

Si 7,5 % (4,8 millions sur 65 millions) de la population a un taux de fécondité qui est en gros 1,65 fois (2,8/1,7) celui du reste de la population, on s’attend à ce que cette minorité donne naissance à environ 7,5x1,65 = 12,4 % des enfants, ce qui est beaucoup moins que 20%. Je veux bien qu’il y ait un effet de pyramide des âges (les femmes musulmanes étant plus jeunes) mais si tous les chiffres sont vrais cela signifie que cet effet est très important.