TOUT EST DIT

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mercredi 1 février 2012

Le bouclier russe de Damas

Près de 6 000 morts depuis le 15 mars 2011. Des armes qui circulent dans tout le pays. Un régime arc-bouté qui massacre son peuple. Des hôpitaux transformés par les services de sécurité en piège fatal pour tous les blessés, même accidentels. C'est un authentique calvaire que vivent les Syriens depuis dix mois. Les appels à la retenue adressés à Damas n'ont jamais été jusqu'ici entendus. Le courage de la population civile n'en est que plus grand.

Avec l'échec, samedi, de la mission (dérisoire par son manque de moyens) de la Ligue Arabe, la crise syrienne vient d'entrer dans une nouvelle dimension, résolument internationale. Sous la pression conjointe de nombreux pays arabes, de la Turquie et des puissances occidentales, les Nations unies sont désormais saisies. Une proposition arabe, inspirée du scénario yéménite, a été avancée. Elle prévoit un transfert du pouvoir de Bachar à son vice-président, la constitution d'un gouvernement d'union nationale et la préparation d'un processus électoral.

Paris, Londres et Washington soutiennent à l'unisson cette proposition, comme l'illustre la présence simultanée à l'Onu de leurs trois ministres des Affaires étrangères. Plus inédite est l'alliance sunnite anti-Bachar qui s'est manifestée ces dernières semaines du Maghreb à la Turquie, en passant par les monarchies du Golfe. Même entre Qataris et Saoudiens, pourtant souvent rivaux, la volonté de faire tomber le régime syrien fait l'union. Au point de faire presque oublier la faiblesse et les divisions habituelles de la Ligue arabe. La concomitance de la crise syrienne et du regain de tension avec l'Iran n'y est sans doute pas étrangère.

Cette union bute, toutefois, sur le bouclier russe qui, au Conseil de sécurité, protège encore Damas. Ces dernières semaines, on a d'ailleurs senti sur le Palais de verre comme un air de guerre froide, tant la défense russe du régime syrien a le pouvoir de rappeler les équilibres du siècle passé. Moscou, comme Pékin, sont traditionnellement hostiles à la remise en cause et des pouvoirs autoritaires en place et des frontières. Ils y voient toujours, en creux, une menace réelle pour leur propre équilibre.

Dans le cas syrien, les intérêts de la Russie sont comme des nerfs à vif. Parce que l'effet domino du printemps arabe n'est pas sans échos dans les rues de Moscou, en proie à une contestation inédite à quelques semaines des prochaines élections. Parce que la mosaïque communautaire de la Syrie est un matériau aussi inflammable que celle du Caucase. Parce que, dans un grand Proche-Orient en pleine recomposition, les points d'appui de l'ancienne puissance soviétique se font rares depuis la guerre d'Irak. Parce que les rivages syriens offrent des ports d'attaches, comme Tartous, où accostent souvent des navires russes, comme celui soupçonné, début janvier, d'avoir livré soixante tonnes d'armes à la Syrie.

Bref, pour une grande puissance stratégique farouchement attachée à son rang, Damas permet à Moscou d'avoir un pied au Proche-Orient. Le soutien à Bachar est moralement intenable, mais la médiation russe est politiquement incontournable. Et les Russes, échaudés par les maigres fruits récoltés après leur abstention sur le dossier libyen, y comptent d'autant plus que sur un point l'analyse fait l'unanimité : la Syrie, par sa composition communautaire, risque la guerre civile. En un mot, de se libaniser.

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