TOUT EST DIT

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jeudi 13 mai 2010

Transparence et vérité


Qui ignore le surnom de la jeune femme qui encore mineure entretenait des relations tarifées avec des footballeurs ?

Les médias le ressassent, quelques-uns en donnent même l'image. Au nom du devoir d'information, disent-ils. En réalité, pour attirer l'auditeur ou le lecteur alléché par le scandale.

Qui connaît les raisons profondes de la crise grecque qui menace pourtant l'économie de l'Europe, c'est-à-dire le pouvoir d'achat, l'emploi de certains d'entre nous ?

En revanche, beaucoup ont entendu parler de l'affaire du financement de la campagne électorale d'Édouard Balladur en 1995, grâce à une sombre histoire de vente de sous-marins, ce qu'il s'est empressé de démentir et qui n'a pas été prouvé. Mais l'opinion, n'en doutons pas, a conclu, une fois encore, que politique rime avec corruption, comme les démagogues ne cessent de le répéter.

La vie privée elle-même n'est plus respectée. Ce n'est pas nouveau. Mais le phénomène était limité. Seuls les chanteurs de rue informaient le peuple de Paris, au XVIIe siècle, des relations intimes de la Reine de France, veuve de Louis XIII, avec le Cardinal Mazarin. Bien plus près de nous, nous fûmes, au début des années 1980, quelques-uns à savoir que François Mitterrand avait une fille. Mais, l'existence de celle-ci n'ayant guère d'importance politique, la presse n'en parla guère. Aujourd'hui, bien des médias ne s'en priveraient pas, concurrencés qu'ils sont par Internet, sorte de place publique mondiale où chacun peut lancer sans risque la plus folle rumeur.

Il est vrai que, soucieux de leur « communication », les personnes extérieures tombent parfois dans le piège : notre président de la République n'a-t-il pas commenté lui-même, dans un livre émouvant paru en 2006, l'état de ses relations avec son épouse de l'époque ? Et bien des chefs d'entreprise ou des financiers étalent leur luxe sans comprendre qu'ils nourrissent l'exaspération de ceux que la crise a durement frappés.

Bien entendu, cette dégradation de l'information est « justifiée » par la nécessité de la transparence en démocratie. Le mot est à la mode depuis une dizaine d'années. Françoise Giroud, grande journaliste, le qualifiait alors de « formidable hypocrisie où chacun veut voir mais pas être vu sans voiles ».

La transparence a certes des vertus. Comme la vérité avec laquelle on la confond souvent. Toutes les grandes religions et les grandes morales ont prôné la vérité. Avec raison, bien sûr. Mais la transparence n'est pas obligatoirement la vérité : on pourrait la comparer à un coup de projecteur donné sur une partie d'un paysage que la vérité, elle, éclaire dans sa totalité. Pour prendre un exemple simple, mettre en parallèle les consommations moyennes en carburant de véhicules de même puissance est certes utile, mais il faudrait informer aussi sur les autres caractéristiques de ces voitures.

Aux États-Unis, où existe un fort mouvement pour la transparence, un grand professeur de droit, Lawrence Lessig, a évoqué un autre de ces risques dans un article du New Republic, journal que l'on pourrait difficilement qualifier de réactionnaire. Il citait le cas d'Hillary Clinton qui avait d'abord fermement combattu un projet de loi sur les cartes bancaires, poussée par le monde financier. Elle fut élue en 2001 sénatrice de New York et vota alors pour ce projet. Or, sa campagne électorale, qui coûtait cher, avait été financée en partie (140 000 $) par des partisans de la loi. Qui peut jurer qu'Hillary Clinton a voté ainsi en raison de cet apport en dollars ? Elle a pu changer d'opinion pour d'autres causes, entendre d'autres arguments, constater que ses électeurs étaient favorables à une telle loi...

Nous expliquons bien des attitudes par l'attrait de l'argent, la cupidité. Et il ne faut certes pas les sous-estimer, les origines de la crise actuelle le montrent assez bien. Mais ils ne sont pas, dans tous les cas, la seule raison possible. Le résultat de cette explication simple, écrit Lawrence Lessig, est « la destruction de toute possibilité de confiance ».

Il existe, en outre, les secrets d'intérêt public ou privé qui ne sont pas moralement condamnables, nécessaires ou contraires à la bonne gestion d'un État, d'une société, à l'harmonie d'une famille. Dans un de ses plus grands livres, Franz Kafka a mis en scène le visiteur d'une petite société qu'un personnage guide dans un château. Et celui-ci lui explique qu'il existe de multiples commissions ou organismes pour vérifier la bonne gestion de ce petit monde. Le visiteur demande alors qui gouverne. Alors le guide hésite. Il n'en sait rien. La transparence a fini par tuer le pouvoir.

(*) Écrivain et journaliste.

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