TOUT EST DIT

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mercredi 10 octobre 2012

Les cinq dates qui fâchent Grecs et Allemands

Les difficultés entre Athènes et Berlin ne datent pas d'aujourd'hui. Petit tour d'horizon historique des raisons de cette inimitié.
• 7 mai 1832
Ce jour-là, le jeune Otton, fils du roi Louis 1er de Bavière, signe le second protocole de Londres. Les trois grandes puissances d’alors (France, Royaume-Uni et Russie) ont reconnu précédemment l’indépendance de la Grèce vis-à-vis de la Sublime Porte (l’empire ottoman), mais à condition qu’elle soit une monarchie et qu’ils choisissent le futur souverain.
Le jeune roi débarque en Grèce en février 1833, accompagné d’une suite de militaires et d’administrateurs allemands. Après quatre siècles d’occupation turque, le pays est organisé à l’européenne très rapidement. Mais la société grecque a bien du mal à entrer dans le moule bavarois et Otton multiplie les maladresses et dépense beaucoup. Or les impôts, lourds et impopulaires, rentrent mal. Le pays est déjà en faillite quasi-permanente, tandis que le roi s’enferme de plus en plus dans une tour d’ivoire où lui et sa suite dévore un budget de l’Etat de plus en plus dépendant des emprunts internationaux. Otton comprend mal la Grèce: il refuse de se convertir à l’orthodoxie et place sa capitale dans la mythique Athènes, alors une simple bourgade.
Le 3 septembre 1843, des officiers grecs occupent le palais royal et contraignent Otton à accorder une constitution. Pour regagner de la popularité, Otton entretient alors le nationalisme grec et lance une des idées qui ont coûté le plus cher à la Grèce moderne, la Grande Idée (Megala Idea), autrement dit la reconquête de Constantinople et la réunion de tous les Hellènes dans la même nation. Otton va dépenser des sommes colossales pour financer l’armée grecque et, lors de la guerre de Crimée en 1853, il pousse son pays dans le camp russe contre les Ottomans, alors alliés à la France et au Royaume-Uni. Les deux puissances font alors le blocus du pays et l’armée turque met en déroute les Grecs. Le pays est à nouveau ruiné et épuisé. Très impopulaire, Otton est finalement chassé par un nouveau coup d’Etat en 1862. Il mourra à Bamberg, en Bavière, cinq ans plus tard en protestant de son amour pour la Grèce. Mais son souvenir n’est guère agréable aux Hellènes.
• 9 décembre 1893

La Grèce de la fin du 19ème siècle connaît enfin une forte croissance économique. Un des acteurs de cette croissance est le premier ministre Charilaos Trikoupis qui développe l’investissement public, par exemple, dans de grands projets comme le Canal de Corinthe. L’argent afflue beaucoup en Grèce, notamment d’Allemagne où les banques vendent des titres grecs à leurs clients en promettant de juteux retours.
Mais la Grèce est encore une économie fragile. Le budget de l’Etat reste désespérément déficitaire tant continuent à peser les dépenses militaires. Et le poids des raisins de Corinthe dans l’économie est surdéveloppé et encore encouragé par l’Etat qui y voit un moyen de disposer de rentrées aisées de numéraires. En 1891, cette stratégie échoue. Le marché du raisin de Corinthe s’effondre sous la surproduction et la crise se transmet au reste de l’économie hellénique. Les rentrées fiscales baissent, le déficit public se creuse encore. Les banques allemandes, elles, continuent à prêter. Jusqu’à ce jour du 9 décembre 1893, où Charilaos Trikoupis prononce à la tribune de la Vouli, l’assemblée nationale grecque, son mot devenu historique: «malheureusement, nous sommes en faillite!» Il suspend les remboursements aux créanciers internationaux. Les banques et les épargnants allemands s’étranglent de rage.
Pendant les deux ans qui suivent, le gouvernement grec continue à ne pas regarder à la dépense. Il accepte, malgré la faillite, d’organiser les premiers jeux olympiques de l’ère moderne en 1896 et en 1897, le successeur de Théodore Deliyannis, commet l’erreur d’attaquer les Turcs pour soutenir les Crétois révoltés. En Allemagne, on perçoit l’intérêt de cette erreur: un général allemand, le baron von der Goltz organise les troupes ottomanes qui écrasent les Grecs en 30 jours. Le traité de Constantinople impose une forte indemnité de guerre à la Grèce de 4 millions de livres. Athènes est évidemment incapable de payer. Les Grands, Allemagne en tête, en profitent alors pour imposer une commission internationale, peuplée de sujets du Reich, qui va gérer les finances publiques grecques dans l’intérêt des créanciers internationaux. La Grèce paiera jusqu’en 1941 des traites à Berlin.
• 6 avril 1941
Depuis 1936, le général Metaxas a instauré en Grèce, avec la bénédiction du roi Georges II, un régime dictatorial. En 1939, le pays, toujours en détresse financière, se proclame neutre malgré les pressions britanniques. Mais c’est sans compter avec la soif de puissance de Benito Mussolini qui lance le 28 octobre 1940 un ultimatum demandant à la Grèce de céder aux Italiens quelques points stratégiques. Le «Non!» de Metaxas est devenu légendaire et le 28 octobre est aujourd’hui un jour férié en Grèce connu sous le nom de «Jour du Non».
L’armée grecque repousse alors à la surprise générale les Italiens venus d’Albanie et occupent même une partie de ce pays. La situation préoccupe Hitler: il a besoin de maîtriser les Balkans pour ne pas être pris à revers par les Britanniques lors de son invasion de l’URSS. Le 6 avril 1941, l’armée allemande envahit la Grèce et occupe Athènes le 27. Le pays est partagé en trois zones d’occupation, allemande, bulgare et italienne.
L’occupation de la Grèce fut une des plus dures d’Europe. Le pays est littéralement pillé, la famine et l’hyperinflation sévissent. La résistance devient rapidement une force considérable, et les représailles sont inconcevables de cruauté. Dans l’inconscient collectif grec, ces massacres sont incarnés par celui du village de Distomo, l’Oradour grec, où 218 personnes de tout âge et de tout sexe furent éliminées dans des conditions indescriptibles en juin 1944. Des souvenirs qui sont remontés à la surface ces derniers temps en Grèce.
• 15 octobre 1946
Après la guerre, la Conférence de Paris fixe un montant d’indemnités que devra payer l’Allemagne aux alliés. La Grèce obtient 7 milliards de dollars. Mais l’Allemagne n’a alors aucun Etat et ni la RFA, ni la RDA ne reconnaissent ces décisions après leurs fondations en 1949. Les Allemands de l’Ouest jugent qu’Athènes a reçu 25 milliards d’euros de matériels pris en Allemagne par les forces d’occupation. Ils considèrent également que le problème des réparations a été réglé par l’accord de Londres de 1953. Ils ne paieront donc jamais ces indemnités aux Grecs.
Récemment, les Grecs ont rouvert ce dossier et plusieurs partis politiques, de gauche comme de droite, en ont fait un argument électoral. Syriza, la coalition de la gauche radicale, a même jugé que ces 7 milliards de dollars représentent aujourd’hui 1000 milliards d’euros.
• 9 mai 2010
A l’automne 2009, le nouveau premier ministre Georges Papandréou dévoile au monde l’ampleur du déficit grec. Tout l’hiver, la chancelière allemande Angela Merkel refuse d’agir. En mars, Athènes est au bord de la faillite. Berlin refuse pourtant d’intervenir au nom du principe de non renflouement des pays de la zone euro. Surtout, la chancelière ménage son électorat avant l’élection régionale très importante pour elle de Rhénanie du Nord Westphalie, le Land le plus peuplé d’Allemagne. Au fond de la campagne du Sauerland, elle n’hésite pas à promettre que «pas un euro allemand n’ira en Grèce». Parallèlement, la presse allemande se déchaîne et multiplie les caricatures des Grecs paresseux et assistés.
Pendant que Berlin hésite et résiste aux pressions de ses partenaires européens, la situation se dégrade, le Portugal, puis l’Espagne sont attaqués sur les marchés. La contagion est lancée, la crise grecque devient une crise de la dette européenne. Le 9 mai, un programme d’aide est accordé à la Grèce à des conditions drastiques. Berlin l’a exigé. Mais l’économie grecque, prise à la gorge va entrer dans une profonde dépression et il faudra venir encore une fois en aide à Athènes et couper dans la dette privée, sans pour autant régler le problème. Le même jour, la coalition de la chancelière perd lourdement le Land. L’incompréhension entre les deux pays ne cessera depuis lors de se creuser.

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