lundi 1 août 2011
Calme à l’intérieur, tragique à l’extérieur
Il aura donc fallu attendre ce 1er août pour que l’agenda politique se vide enfin après une saison politique 2010-2011 qui n’a pas connu une seule semaine de répit. Le petit monde du pouvoir est sur les genoux au point que le dernier conseil des ministres avant la trêve estivale a été avancé sans état d’âme de deux jours et se déroulera exceptionnellement ce matin, un lundi, à l’hôtel de Marigny en face de l’Élysée, puisque «Le Château» est en travaux.
Avec la présentation du projet de loi sur le système du médicament, l’ordonnance établie par le docteur Bertrand ne sera d’ailleurs pas anodine. Prescrite aux parlementaires pour l’automne, son importance est aussi symbolique que technique : ne suggère-t-elle pas qu’il n’y aura aucun repos dans l’action gouvernementale jusqu’au printemps 2012 ? Le président de la République est en effet déterminé à faire du dernier cinquième de son mandat une année «utile». Travailler jusqu’au bout - c’est dans sa nature - sera aussi un excellent argument électoral pour un président sortant qui, cette fois, jouera sans doute plus sur l’image de son expérience présidentielle en pleine crise que sur des idées neuves.
Le principe d’un dévouement excluant la logique de vacances, c’est beau et ce devrait sans doute être ordinaire, mais les ministres ne joueront pas forcément les héros, pressés de souffler avant une échéance qui s’annonce épuisante. Prévoyants, bon nombre de députés et de sénateurs, eux, ont déjà décroché depuis le 14 juillet, annonçant sans trop de scrupules leur absence jusqu’à «fin août» soit cinq à six semaines loin de Paris. Rares sont les puristes qui regrettent de ne pas être convoqués cette semaine pour examiner la rectification budgétaire permettant de contribuer au plan grec que présentera aujourd’hui François Baroin. Le contrôle du parlement, pourtant réclamé, attendra.
A gauche aussi, ça commence à ronronner au soleil. Au moins jusqu’au 23 août, on va pouvoir oublier un peu DSK et reprendre des forces avant le grand rendez-vous des primaires. Il n’y a guère que la toujours pétaradante Ségolène Royal pour profiter de ce vide, bien décidée à occuper le terrain avec même une conférence de presse rue de Solférino. Foin des sondages, on ne se débarrassera pas si facilement de l’outsideuse ! Les Verts - on devrait dire les EELV ! - sont au vert, piqués tout de même par l’aiguillon Hulot qui regrette de s’être fait avoir comme un bleu et verse un peu d’acide, depuis Saint-Lunaire, dans le magazine Bretons. Quant à Marine Le Pen, elle se serait sans doute bien passée de la provocation paternelle, qui lui fait monter le rouge au front, juste avant le congé national.
Rien que des histoires intérieures bien dérisoires, ce luxe des démocraties apaisées, quand un monde, impuissant mais pas honteux, regarde à peine, en plein été, onze millions de Somaliens crever de faim.
La politique à son paroxysme
Comme on le sait, la dette américaine colossale est plafonnée par une loi du Congrès, c'est-à-dire des deux Chambres législatives qui doivent s'accorder pour autoriser le Président à l'augmenter. Or l'économie américaine, tant publique que privée, est droguée à l'endettement depuis la Première Guerre mondiale. Les choses ont commencé à se gâter sérieusement lorsque l'idéologie républicaine de la présidence Bush a aggravé le problème : baisse des impôts, en particulier pour les plus riches, accompagnée d'une folle croissance des dépenses militaires. La crise financière et bancaire de 2008-2009 a encore accru la nécessité d'injecter massivement des capitaux pour sauver cequi pouvait l'être, au prix d'un endettement supplémentaire massif. Le plafond autorisé est atteint et il faut donc le relever. C'est là qu'interviennent quelques facteurs propres au fonctionnement de la démocratie américaine.
En premier lieu, la Constitution organise structurellement la faiblesse du pouvoir, par toute une série de limites qui témoignent de la suspicion constante des Américains son égard. Le Président n'est fort qu'en matière de politique étrangère ou dans le domaine de la défense. Mais pour le reste, il passe son temps à négocier et pas seulement avec les leaders des partis.
Car, et c'est là une autre caractéristique des USA, les partis n'existent pas en tant qu'organisations disciplinées et soumises à leur leader, même dans les situations graves. Chaque vote doit être négocié pied à pied. Rien de nouveau sous le soleil dans une tradition vieille de deux siècles. Mais un facteur aggravant est apparu, notamment après les mid-term élections de 2010 : l'émergence plus marquée du populisme ¯ ce phénomène est une autre constante américaine ¯ au sein de la droite qui s'est radicalisée sous l'effet de la crise et de l'influence croissante des très conservatrices églises évangéliques. Le parti républicain, profondément divisé entre son aile modérée (si l'on peut dire...) et ses challengers internes radicaux du Tea Party, a la plus grande difficulté à faire des compromis.
Un facteur supplémentaire de blocage est d'ordre conjoncturel : la campagne présidentielle va s'ouvrir à la fin de l'année. Les républicains veulent mettre Obama en difficulté en conditionnant leur acceptation d'un relèvement modeste du plafond de la dette à son échelonnement en deux phases, l'une immédiate, l'autre au printemps prochain... en pleine campagne électorale. Obama serait alors grillé à petit feu. Cette solution est inacceptable pour Obama et aurait l'inconvénient de faire perdurer la nervosité des marchés
Cette situation de blocage, extrêmement périlleuse, non seulement pour les États-Unis mais pour la planète tout entière, illustre parfaitement l'observation d'un homme politique américain selon lequel « All politics is local » (la politique n'est que locale). Le monde entier est, aujourd'hui, suspendu aux décisions d'élus dont l'horizon politique et idéologique ne dépasse pas les bornes de leur circonscription. Ou pour reprendre le titre du film de Kubrick, c'est risquer d' aller dans le mur « Eyes wide shut », les yeux grand fermés...
(*) Président de la fondation Carlo Alberto, Turin.
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