Peu transparentes, dépensières, sujettes aux conflits
d’intérêts : l’indépendance de la vingtaine d’agences spécialisées de
l’UE pose des problèmes tant au point de vue financier que du contrôle
démocratique, dénonce Die Presse.
Très exactement 6 157 euros : voilà ce que coûte une réunion du
conseil d’administration de l’Efsa, l’autorité européenne de sécurité
des aliments. Par personne. On ne sait pas si les quinze membres du
conseil d’administration ont été conduit à Parme [siège de l’Efsa] sur
des chaises à porteurs, ni s’ils y ont dégusté des œufs de caille
pochés tout en parcourant l’ordre du jour.
Ce que l’on sait très bien, en revanche – grâce à l’infatigable
Monica Macovei, députée européenne roumaine spécialisée dans la lutte
contre la corruption – c’est la conception qu’ont ces gens-là de leur
fonction. Sur la seule année 2010, l’Efsa a déboursé 49 millions
d’euros pour des contrats externes
"de communication et de gestion".
Comment de tels dysfonctionnements sont-ils possibles?
Il ne s’agit pas de la seule anomalie constatée dans les agences
européennes, qui sont aujourd’hui au nombre de 24. Ancien patron de
l’Agence européenne des médicaments à Londres, c’est ainsi le plus
naturellement du monde, ou presque, que Thomas Lönngren a rejoint
l’industrie pharmaceutique en début d’année.
Mella Frewen, qui fut longtemps lobbyiste du fabricant de semences
américain Monsanto à Bruxelles et qui est aujourd’hui responsable du
lobby de l’industrie agroalimentaire, est, quant à elle, sur le point
d’entrer au conseil d’administration de l’Efsa.
Les organisations non gouvernementales elles-mêmes ne savent plus
faire la part de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas : la
patronne de l’Agence européenne pour l’environnement de Copenhague a
pris sur ses heures de bureau pour partir aux Antilles avec une poignée
de collaborateurs. Pour y étudier la biodiversité. Au profit de
l’organisation de défense de l’environnement "Earth Watch" – mais aux
frais du contribuable. "Earth Watch" a présenté une facture de 2 000
euros pour chaque participant au voyage. Cela ne ressemble pas seulement
à une subvention croisée. C’en est une.
Comment de tels dysfonctionnements sont-ils possibles ? C’est très
simple : parce que personne ne s'en soucie. Quand on demande à la
Commission européenne ce qu’elle a l’intention de faire pour remédier
aux dysfonctionnements de ces agences, on obtient invariablement la
même réponse : nous avons les mains liées, le règlement intérieur des
agences ne prévoit aucun droit d’ingérence, et nous avons déjà proposé,
voilà des années, une réforme du mode de surveillance.
Les gouvernements européens sont manifestement les premiers
responsables de cette situation. Depuis maintenant des années, la
création d’agences fait l’objet d’une compétition inconvenante entre
les pays membres.
Chacun doit au moins avoir la sienne. Etonnamment, lors des habituels
blocages qui caractérisent les sommets européens, le fait de proposer
l’ouverture de tel ou tel bureau peut faire des miracles pour atteindre
le consensus sur d’autres sujets.
Même les politiques autrichiens, qui aiment tant dire du mal des
"fonctionnaires de Bruxelles",
s’empressent alors de donner leur accord. Lorsque l’Agence des droits
fondamentaux a vu le jour à Vienne, le 1er mars 2007, les membres du
gouvernement ont rivalisé d’enthousiasme dans leurs déclarations, si
bien qu’il fallait les lire deux fois pour être sûr qu’il ne s’agissait
pas de parodies de chansonniers.
Fermer les agences superflues
La ministre des affaires étrangères, Ursula Plassnik, s’est laissé
aller à déclarer que la création de l’Agence des droits fondamentaux
allait
"conforter encore la position de Vienne de siège d’organisations internationales majeures".
Le chancelier fédéral Alfred Gusenbauer a parlé d’un
"signal envoyé par l’UE aux hommes et aux femmes".
Soit dit en passant, l’Agence des droits fondamentaux ne s’est trouvée
au cœur d’une vague agitation qu’une seule fois en cinq ans lorsque
Viviane Reding, la commissaire à la Justice et aux droits fondamentaux,
s’est indignée du projet de transposer en vers la Charte des droits
fondamentaux de l’UE.
Le député européen Martin Ehrenhauser a raison : il faudrait fermer
l’agence viennoise pour ne rien mettre à la place. D’autant qu’elle
fait – chèrement – doublon avec le Conseil de l’Europe.
L’ironie veut que les Européens pourront, s’ils sont plus d’un
million, lancer une initiative citoyenne à partir du 1er avril. Plus de
démocratie, plus de participation, plus de transparence, selon la
formule du moment.
Or, pendant ce temps, les autorisations de nos médicaments et
l’évaluation des risques posés par les aliments que nous consommons se
font dans l’ombre et dans le flou juridique.
Cette situation est insupportable. Les gouvernements devraient
mettre à profit les négociations sur le cadre financier de l’UE pour la
période 2014-2020 pour fermer les agences superflues et renforcer la
surveillance des autres. A défaut, ces agences de l’ombre pourraient
bientôt voler de leurs propres ailes sans retour en arrière possible.