Premier ministre, sujet secondaire
Avec les journées parlementaires de l'UMP, qui s'ouvrent ce matin à Biarritz et seront clôturées demain par François Fillon, les spéculations vont repartir bon train sur l'identité du deuxième - et sans doute dernier -Premier ministre de ce quinquennat de Nicolas Sarkozy. Le ministre de l'Ecologie, de l'Energie, Jean-Louis Borloo, pour l'ouverture au centre ? Le ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche, Bruno Le Maire, pour jouer la carte de l'efficacité et des résultats, à dix-huit mois de la fin du mandat présidentiel ? Le jeune ministre du Budget et des Comptes publics, François Baroin, pour faire monter une jeune génération ? Le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Jean-François Copé, pour redonner du pouvoir à Matignon ? Ou - même si l'hypothèse n'est plus la plus probable -l'actuel titulaire du poste, François Fillon ?
A vrai dire, il peut paraître singulier que cette question suscite encore un tel intérêt, tant la fonction politique de Premier ministre sort affaiblie des trois premières années de présidence Sarkozy. Contrairement à ce qui avait été pronostiqué par François Fillon lui-même, la réforme du quinquennat n'est pas, en elle-même, à l'origine de l'effacement du chef du gouvernement, lequel serait victime du surcroît de légitimité que donnerait au chef de l'Etat la concordance des mandats présidentiel et parlementaire. Même s'il aura marqué de sa rigueur la politique économique et financière, les nuances exprimées par François Fillon auront été trop minces, ses audaces trop rares, ses risques trop timides pour qu'il laisse une empreinte institutionnelle différente de celle des autres « premiers » Premiers ministres de la V e République.
Comme Pierre Mauroy ou Alain Juppé, ceux qui l'ont précédé à ce poste et à ce rang se sont inscrits, avec le chef de l'Etat, dans une relation de sujétion. « Le Premier ministre, sous la Ve République n'est pas toujours le chef réel du gouvernement et ce dernier, sauf en cas de cohabitation, et contrairement à l'article 20 de la Constitution, s'il "conduit" la politique de la nation, ne la "détermine" pas », résume Bastien François, professeur de sciences politiques, pour qui le quinquennat « ne change pas la nature du régime » (1). L'affaiblissement de la fonction primo-gouvernementale est plutôt à chercher dans la pratique d'un pouvoir que Nicolas Sarkozy a choisi d'exercer pleinement et François Fillon d'abdiquer largement. Est-il possible, dès lors, de construire une deuxième partie de quinquennat dont la physionomie institutionnelle serait très différente, avec un rééquilibrage des pouvoirs, au détriment de l'Elysée, à l'avantage de Matignon ? Un peu comme l'avait fait François Mitterrand, à l'été 1984, en appelant Laurent Fabius.
Les partisans d'une répartition des rôles plus équilibrée ne manquent pas d'arguments. Ils font valoir que, à son acmé, l'impopularité du chef de l'Etat se nourrit pour l'essentiel du reproche fait à la gouvernance sarkozyenne - l'hyperprésidence et son corollaire, l'hypo Premier ministre. Ce rejet présumé d'un président omniprésent lui imposerait, pour restaurer son image au moment où s'ouvre la dernière phase de son mandat, d'en venir à un schéma où, analyse un ministre prétendant au poste, « c'est Matignon qui gouverne et prend les coups ». Un président qui prendrait de la hauteur pour faire de la politique en vue de sa réélection à la manière d'un Mitterrand avant 1988 ? Un chef du gouvernement « les mains dans le cambouis » qui assure la bonne exécution des dernières réformes présidentielles et s'assure de tirer tous les résultats des précédentes ?
Le raisonnement est convaincant. Mais outre que, par inclinaison personnelle, l'on imagine mal Nicolas Sarkozy se muer en président au-dessus de la mêlée, le risque politique d'un changement aussi brutal qu'artificiel serait sans doute supérieur au bénéfice. « Dans l'oeil des Français, l'image rétinienne est celle d'un hyperprésident et on ne la changera pas », analyse à raison un visiteur très écouté du chef de l'Etat. « Faire resurgir de l'ombre une stature présidentielle qu'il a abaissée serait extrêmement difficile », confirme en d'autres termes le politologue François Miquet-Marty, directeur général adjoint de l'institut Viavoice. Surtout, fait-il observer, cette question de l'équilibre des pouvoirs est accessoire aux yeux des Français, au regard de leurs attentes, comme le sont les moyens en regard des objectifs : « Ils se moquent bien de savoir qui gouverne, du président ou du Premier ministre pourvu qu'ils voient les résultats de l'action politique. » Bien sûr, la désignation du prochain titulaire du poste - fût-il moins capteur de popularité que l'est François Fillon -n'est pas sans intérêt, car non dénuée d'impact sur le caractère de la dernière partie du quinquennat. Mais elle est très secondaire.
Bien plus déterminants pour Nicolas Sarkozy, dans la perspective de 2012, seront la situation de la gauche et celle de l'économie. La compétition interne à la candidature socialiste puis l'émergence de la personnalité qui affrontera le président sortant auront inévitablement pour effet de décentrer de la scène un chef de l'Etat qui, aujourd'hui, faute d'adversaire, déroule toujours un one-man-show politique. Pour corriger les travers de l'hyperprésidence, une vraie concurrence externe sera diablement plus efficace qu'une fausse concurrence interne. Reste aussi à espérer que, comme ce fut le cas au printemps 2005 après l'échec du référendum européen, la séquence économique soit en phase avec la nouvelle séquence politique. Plus rapide et plus forte que prévu, la reprise de la création d'emplois donne du crédit à ce scénario. Les 160.000 nouveaux postes attendus l'an prochain feront plus pour l'avenir de Nicolas Sarkozy que le seul poste de Premier ministre.
(1) « Quinquennat, conséquences politiques », Economica 2000.Jean-Francis Pécresse est éditorialiste aux « Echos ».