Le mouvement social n'est-il qu'une simple contestation de la réforme des retraites, ou exprime-t-il un mal-être plus large, sur fond d'antisarkozysme ? La question est complexe, et de la réponse dépend une partie de l'avenir de la grogne. Le pari du gouvernement, qui consiste à tenir coûte que coûte, en espérant que le mécontentement s'essouffle une fois le texte voté, est risqué.
"La retraite à 60 ans, c'est le symbole du modèle social français. C'est ce qui a structuré le regard des Français sur cette question pendant près de cinquante ans. Avant 1982, c'était la quête essentielle. Après 1982, c'est resté un marqueur", estime le politologue Roland Cayrol. Selon lui, en défendant la retraite à 60 ans, les "Français veulent défendre l'ensemble de leur modèle social".
Brice Teinturier, directeur délégué de l'institut Ipsos, fait un constat similaire : "Le sujet des retraites est autonome. Une telle réforme est de nature, en soi, à mobiliser l'opinion. Mais, une fois que l'on a dit ça, un certain nombre de sujets, comme le bouclier fiscal, entrent en écho avec cette réforme, qui est considérée comme injuste." Avec cette réforme, c'est bien la question de l'ensemble de la politique sociale qui est posée.
Depuis le début du mouvement social, le soutien de l'opinion aux grévistes et manifestants est fort. Et, surtout, remarquablement stable. Les études se suivent et se ressemblent. Le baromètre de CSA montre que 71% des Français soutiennent ou ont de la sympathie pour la journée d'action de mardi. Point encore d'essoufflement.
"La particularité de ce mouvement, c'est que l'opinion était acquise à une réforme des retraites, et qu'elle semble se faire peu d'illusions sur les concessions qu'elle peut obtenir", note Frédéric Dabi, directeur du département opinion de l'IFOP.
La contestation, pourtant, ne faiblit pas. "Dès le début, alors que le gouvernement a voulu présenter sa réforme comme équitable, elle a été perçue comme injuste, constate M.Teinturier. La réforme de 2003, qui avait aligné la durée de cotisation des fonctionnaires sur le régime général, avait, elle, été considérée comme équitable."
Pour autant, le mouvement est-il parti pour agréger les mécontentements ? Pas sûr. "Nombreux sont ceux qui ne se reconnaissent plus dans leurs représentants, qu'il s'agisse des politiques ou des syndicats", rappelle M. Dabi. Autre souci : il est difficile de s'investir dans une action dont on peine à percevoir le gain potentiel.
"Pour le gouvernement, on voit bien quelle peut être la victoire. S'il tient, il pourra dire qu'il a été courageux. Pour les syndicats, il n'y a pas de scénario de sortie de crise. Qu'est-ce qui pourrait symboliser une victoire ? Un retrait pur et simple de la réforme ? Qui peut y croire ? La situation ne laisse pas de porte ouverte", constate M. Cayrol.
"BOULE DE CRISTAL"
L'avenir du soutien dont bénéficie le mouvement reste très incertain. En raison, notamment, de l'entrée dans le mouvement des jeunes. Une "bavure" policière, hantise des pouvoirs publics, le ferait basculer dans une autre dimension. Les débordements de "casseurs" pourraient à l'inverse jouer en faveur du gouvernement.
"La suite, c'est de la boule de cristal, convient M. Teinturier. Mais la dynamique naturelle, c'est que le mouvement s'affaiblisse. Pour des raisons économiques, notamment : faire grève coûte cher."
Quelles seront les conséquences de cette réforme ? "Pour le pouvoir, on voit bien quel peut être le gain. En tenant, il peut consolider son socle d'électeurs de droite", pense M. Cayrol.
"Le mouvement laissera des traces profondes, estime M.Teinturier. Chez les supporteurs de la réforme, qui sauront gré au pouvoir, s'il tient, d'avoir tenu. Mais aussi chez tous ceux qui, à l'inverse, estimeront que le gouvernement a été rigide, a refusé de négocier."