Pour financer sa dette, la France emprunte à 2% à dix ans. Bonne nouvelle me direz-vous. Eh bien non. Car une situation aussi irrationnelle est nécessairement la traduction d’un dysfonctionnement grave, lourd de menaces à terme.
Rappelons-nous ces fortes paroles : « Mon véritable adversaire
n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa
candidature, il ne sera donc pas élu et pourtant il gouverne. Cet
adversaire, c’est le monde de la finance » (François Hollande le 22 janvier 2012).
Pas rancunier pour deux sous ce « monde de la finance » ! Et même
très gentil avec le pays désormais dirigé par celui qui l’a désigné
comme ennemi, puisqu’il lui prête aux taux les plus bas de l’histoire.
Environ 2,20 % à 10 ans. Mieux, cet été, la France a emprunté à 3 mois
et à 6 mois à des taux négatifs. Concrètement, une fois l’inflation
prise en compte, cela signifie que les investisseurs acceptent au mieux
de prêter sans rémunération, quand ils ne perdent pas de l’argent …
Bonne nouvelle me direz-vous. Eh bien non. Car une situation aussi
irrationnelle est nécessairement la traduction d’un dysfonctionnement
grave, lourd de menaces à terme.
De quoi s’agit-il ? A la base, d’un excès d’argent dans le système
par rapport à ses capacités d’absorption. Les investisseurs
internationaux, principalement asiatiques et moyen-orientaux, disposent
d’énormes masses de liquidités dont une partie doit s’investir en euros,
parce qu’il leur faut répartir leurs risques. Mais la crise au sud de
l’Europe les conduit à chercher des valeurs refuges. La dette publique
allemande d’abord. Celle de la France ensuite, car il faut éviter de
mettre tous ses œufs dans le même panier.
Regardons en effet les chiffres. Notre dette totale est de plus de 1.800 milliards d’euros, dont 1.400 milliards ont une durée de vie de plus de sept ans. Cela signifie que pour 1 % d’intérêts en plus, nous paierons presque immédiatement 4 milliards supplémentaires. Et à terme 18 milliards. Notre équilibre budgétaire est donc hypersensible au niveau des taux d’intérêt demandés par les investisseurs.
Or quel est le prix que devrait en bonne logique demander quelqu’un qui prête à la France ? Même si le risque était nul, il lui faudrait demander un minimum de rémunération réelle au-delà de l’inflation, minimum qui selon les économistes devrait être de l’ordre de grandeur de la croissance prévisible. Avec une inflation autour de 2 %, le taux sans risque devrait donc déjà être sensiblement supérieur à 3.
Ce à quoi s’ajoute le coût du risque. Mais qui peut croire que ce risque est nul ? D’une part, beaucoup s’inquiètent de notre désindustrialisation, de l’absence de vraie réforme structurelle et du risque de contagion de l’Europe du Sud. D’autre part personne ne peut nier que l’Europe traverse une zone de turbulence et que nos déficits budgétaires et commerciaux ne sont pas rassurants. Au minimum personne ne peut considérer ce risque négligeable. Et donc même en restant optimiste on devrait emprunter bien au-delà de 4 %, soit 2 % au minimum plus cher que ce que nous payons. Ce qui veut dire que notre déficit « logique », celui qui est cohérent avec notre situation, devrait toutes choses égales par ailleurs être plus lourd d’au moins 40 milliards que dans l’hypothèse du maintien des taux actuels – et a toutes chances d’être à ce niveau un jour proche. Arithmétiquement.
Les marchés prendront-ils cela en compte rapidement ? L’effort budgétaire prévu pour 2013 est de 30 milliards d’euros, dont 20 de recettes supplémentaires et 10 seulement de baisses de dépenses. Le fragile équilibre qui en résulte peut être rompu à tout moment, si un mouvement de défiance gagne les marchés. Or les craintes évoquées ci-dessus, et notamment l’absence de réformes structurelles, la difficulté à tenir les promesses, sont un terrain propice pour que cela se produise, sans parler de la hausse prévisible du chômage. Et ne nous illusionnons pas. Les marchés réagiraient dans un tel cas avec excès, dans le sens inverse de celui d’aujourd’hui. C’est comme cela qu’ils fonctionnent ; il faut le savoir et l’accepter. Les vilipender à nouveau demain ne servira à rien.
Une de nos nombreuses erreurs aujourd’hui est donc de vouloir bâtir notre avenir en croyant qu’un tel dysfonctionnement est appelé à perdurer. Voir dans la « clémence » actuelle des marchés un blanc-seing durable pour le statu quo serait de l’inconscience. Sachons au contraire profiter du répit qui nous est ainsi offert, et rapidement : sur les marchés comme en montagne, la météo peut évoluer très rapidement sans signe précurseur, et la lune de miel devenir beaucoup, beaucoup moins romantique.