vendredi 13 décembre 2013
La tyrannie de l’anecdote
La tyrannie de l’anecdote
Le monde politique et médiatique ne bruisse en ce moment que de rumeurs concernant « le retour de Nicolas Sarkozy ». Les médias et la presse lui prêtent les propos suivants : « Je ne peux pas ne pas revenir, c’est une fatalité». Je trouve cette phrase d’autant plus invraisemblable que j’ai entendu dire Nicolas Sarkozy au moins cent fois, quand je travaillais à l’Elysée comme conseiller à ses côtés : « La fatalité, cela n’existe pas » cette philosophie étant, à mes yeux, la marque de fabrique du sakozysme. Tout l’univers médiatique se focalise sur l’image de François Hollande lui demandant aux obsèques de Mandela « où est l’avion », comme si cela avait le moindre intérêt alors que deux jeunes soldats français, de 22 et 23 ans, venaient d’être tués au Centrafrique. Le cas de Nicolas Sarkozy est symptomatique de l’incohérence du monde politico-médiatique français. Pendant un quinquennat, quand il était au pouvoir, il a subi au quotidien des torrents de haine, d’insulte, de crachats, de coups bas, de calomnies innommables. Mais aujourd’hui, bien qu’absent et silencieux, le même univers guette chacun de ses faits et gestes avec une obsession qui confine à la démence. Mais un « recours », cela ne se passe jamais ainsi dans l’histoire. Charles de Gaulle a connu une traversée du désert véritable – il écrivait ses Mémoires de guerre à Colombey – de plusieurs années sans faire l’objet matin et soir des conjectures du microcosme et il n’est revenu qu’à la faveur d’une épouvantable tragédie – la guerre d’Algérie – avec un projet muri de longue date de transformation profonde du pays. La question n’est absolument pas: "va-t-il revenir?" Mais "que ferait-il" ou "que pourrait-il faire s’il revenait?" L’actualité politico-médiatique s’emballe sur des personnages, figurines, des héros ou anti-héros de la grande comédie humaine, les petites phrases réelles ou supposées, les images idolâtres ou repoussoir, toujours éphémères. Or, les Français, la majorité silencieuse, la France « d’en bas » comme disait l’autre, se moquent de ces jeux de rôle. Ils attendent des politiques des réponses crédibles aux drames du chômage, de l’exclusion, de la saignée fiscale, du déclin économique, de l’insécurité et de la crise scolaire, dont ils souffrent dans leur chair. Il attendent un peu sérieux, de constance et de vision de l’avenir tandis que le monde politico-médiatique se complaît dans l’anecdotique.
Les deux visages de François Hollande
Le phénomène n'a pas échappé aux grands organes de presse anglo-saxons, comme le « New York Times » ou l'« Economist » : il y a deux François Hollande, mou à l'intérieur, dur à l'extérieur. Chez lui, le président est fustigé pour ses hésitations ; dehors, il surprend par son esprit de décision. Faible là où on le croyait fort, ayant eu le temps de tout apprendre, au poste de premier secrétaire du PS, des méandres de la politique politicienne ; fort là où on craignait ses faiblesses, du fait de son inexpérience des questions diplomatiques, et même de sa méconnaissance de plusieurs zones cruciales du monde, comme l'Asie.
Sur la scène internationale, le chef de l'Etat a su faire preuve, à bon ou mauvais escient - c'est une autre affaire -, de détermination. Il a engagé en janvier 4.500 soldats français pour enrayer la rébellion au Mali. S'est déclaré prêt, avec une hâte ressemblant presque à de la précipitation, à mener une guerre punitive en Syrie, après ce qu'il avait appelé« le massacre chimique de Damas ». C'est encore la France qui a levé le menton lors de la négociation sur la levée partielle des sanctions avec l'Iran, ce qui a valu à François Hollande une standing ovation à la Knesset lors de sa visite en Israël. Son voyage au printemps en Chine, suivi par celui de Jean-Marc Ayrault cet automne, semble avoir ouvert une nouvelle ère dans les relations entre les deux pays. A la fin du mois d'août, à l'occasion de son discours devant la conférence des ambassadeurs, le titulaire de l'Elysée avait déjà donné une sorte de feu vert à nos chefs d'entreprise tentés par des accords capitalistiques avec l'ogre chinois : « Quand nous avons la possibilité d'avoir des capitaux qui s'investissent en France, expliquait-il alors,y compris dans notre appareil industriel, je ne veux pas les repousser. » Dans le même discours, il affirmait qu'il était « plus que temps d'agir en Centrafrique ». Ce qui se produit effectivement aujourd'hui.
Au final, il se dessine un « hollandisme » en matière de politique internationale, concept désespérément évanescent sur le plan intérieur. Handicap depuis dix-huit mois de la présidence Hollande, à cause de l'embrouillamini de ses relations avec les Verts, l'écologie pourrait bien lui apporter un peu de lustre en 2015 grâce à l'organisation à Paris de la Conférence des Nations unies sur le climat. Même sur le terrain de l'Europe, où les premiers pas du nouveau pouvoir avaient peu convaincu, la France vient de marquer des points. L'accord sur le dumping social est à mettre à son crédit, et notamment du président qui est allé arracher à Varsovie le soutien des Polonais. Si l'Union bancaire aboutit enfin, lors du prochain sommet européen, malgré les réserves de l'Allemagne, ce sera un acquis historique du quinquennat. Finalement, le seul point noir de taille dans ce tableau flatteur, c'est sans doute la relation franco-allemande, qui n'est plus ce qu'elle a été. Mais qui ne sait que cela s'explique par l'inquiétude de Berlin devant le flou et les incertitudes du « hollandisme » intérieur.
Le billet de Michel Schifres
Notre madeleine
Les cheminots sont aujourd’hui en pleine action, c’est-à-dire en grève. Des trains ne rouleront pas, d’autres arriveront en retard, ce qui ne surprendra personne chez ceux qui utilisent quotidiennement les lignes ferroviaires. On ne pourra pourtant pas prétendre que nous n’avons pas été prévenus : un préavis national et des dizaines d’autres sur le plan local ont été déposés sans que cela change quoi que ce soit. Tel est un des charmes de la démocratie sociale en France : inventer des dispositions censées annuler les affrontements mais dont chacun se moque. Le mouvement a toutefois un immense avantage : il nous replonge dans le passé. Car tout le monde, quel que soit son âge, a connu une grève à la SNCF.
C’est un rite immuable. Le cheminot est notre madeleine de Proust.
Arnaud Montebourg, ou l’anti-manuel d’économie
Il faut vraiment défendre une vision totalement figée de l’économie pour avoir l’idée, comme Arnaud Montebourg, de démolir la stratégie d’une entreprise au prétexte qu’elle ne vendrait pas assez cher ses produits. C’est pourtant ce que vient de faire le ministre du Redressement productif en reprochant à Free d’inclure gratuitement la 4G dans son forfait de base, au motif que les concurrents risquent de ne pas pouvoir suivre cette offre et d’être contraints de réduire leurs coûts, et leurs effectifs.
On sait donc désormais qu’un des ministres clef de Bercy défend cette thèse saugrenue que la concurrence, même franco-française, est nuisible à l’emploi, que l’innovation est dangereuse pour l’économie, et que les consommateurs ne sont pas là pour profiter des baisses de tarifs mais doivent accepter le principe de subventionner l’emploi par des prix élevés.
On peut très bien ne pas apprécier la personnalité de Xavier Niel, son côté trublion : il est sûrement très agaçant pour beaucoup (dont ses concurrents) et très incontrôlable aux yeux de tous (dont les ministres). Mais entre, d’un côté, quelqu’un qui a créé à la longue des milliers d’emplois, un des rares Européens à avoir généré de toutes pièces un business à plusieurs milliards d’euros, un acteur de la nouvelle économie qui a fait de la compétitivité une arme de conquête redoutable, et de l’autre, un prince du discours, une sorte d’anti-manuel d’économie plus concerné par la défense de secteurs de l’industrie du XXe siècle que par la promotion de celle du futur, plus actif dans la stigmatisation des patrons en difficulté que dans l’accompagnement des entreprises en conquête, le choix est vite fait. Arnaud Montebourg est un bretteur sans pareil, un promoteur emphatique de ses causes. Dommage que ses combats soient le plus souvent mauvais pour notre économie.
Ils en attendent "un discours nettement à droite" : mais que mettent exactement derrière le mot droite les électeurs potentiels de Nicolas Sarkozy ?
Selon le sondage PollingVox pour Valeurs actuelles, 61% des sympathisants UMP (55% au premier tour) souhaitent que Sarkozy, pour son retour, adopte un discours "nettement à droite". Concrètement, qu'est-ce que recouvre cette expression ? Qu'est-ce que PollingVox entend par "nettement à droite" ?
Guillaume Peltier : "Nettement à droite" s’entend par opposition à "modérément à droite" qui était l’autre possibilité de réponse proposée par PollingVox, choisie par 39% des sympathisants de droite. C’est, il me semble, l’idée très simple d’une droite qui s’assume de droite, qui ne s’excuse pas de ne pas être de gauche. Plus largement l’idée de "nettement" renvoie à l’idée de courage c’est-à-dire de la capacité à porter des idées nouvelles et audacieuses.
Jérôme Fourquet : Nous avons réalisé un sondage identique pour Le Figaro Magazine où 24% des sympathisants UMP souhaitent qu'en cas de retour au pouvoir, Nicolas Sarkozy mette en œuvre une politique "de droite modérée", 55% "de droite" et 8% "très à droite". En résumé, 2/3 des sympathisants UMP veulent que Sarkozy mène une politique de droite, mais pas forcément très à droite. Le reste est sur un positionnement plus centriste. Ce résultat se retrouve d'ailleurs ans le classement des personnalités UMP préférées de sympathisants : Nicolas Sarkozy, François Fillon et Alain Juppé.
Au sein de l'électorat UMP, 6 électeurs sur 10 sont les tenants d'une ligne à droite, une droite assumée, décomplexée, mais qui n'est pas pour eux l'extrême droite. Cet électorat ne se voit pas comme un électorat extrême mais comme un électorat qui veut afficher ses valeurs. Cela nous place clairement dans la continuité du quinquennat de Nicolas Sarkozy et surtout de la deuxième moitié de sa campagne en 2012.
Comment aurait-il fallu procéder pour mettre des éléments objectifs derrière cette expression ?
Guillaume Peltier : Tester des mesures concrètes plutôt qu’un positionnement général ! La grille de lecture très à gauche, un peu à gauche, un peu à droite ou très à droite me paraît, si ce n’est périmée, du moins peu pertinente. Parce que les Français ne croient plus en la crédibilité de la parole publique et sont défiants vis-à-vis des partis politiques. Le siècle des idéologies est dépassé. Nous sommes dans celui du pragmatisme. C’est pourquoi il est toujours intéressant de tester des idées : l’alignement public/privé des régimes de retraite, le rétablissement du jour de carence pour les fonctionnaires, la suppression des régimes spéciaux, la réforme du droit du sol, le rétablissement du ticket modérateur pour l’AME…
Quels thèmes sont caractéristiques d'un positionnement clairement à droite ? Comment a évolué l'opinion des sympathisants UMP et des électeurs de Nicolas Sarkozy sur ces thèmes ?
Guillaume Peltier : Le champ du régalien bien entendu, mais pas seulement. C’est aussi l’idée de la protection face à la mondialisation, de la liberté et de la souplesse dans le monde du travail parce qu’avant de redistribuer la richesse, encore faut-il la créer… Et surtout l’idée centrale du mérite qui permet d’offrir une nouvelle grille de lecture à la société fondée sur l’ascension sociale. Je ne suis pas certain que le clivage droite/gauche fonctionne à plein ; à mon sens, depuis Maastricht, à ce clivage horizontal s’est substitué un clivage vertical entre les élites et le peuple. C’était le sens de la campagne 2012 de Nicolas Sarkozy : une campagne au peuple. Je crois que les Français ne nous ont pas reprochés une campagne trop à droite (réflexe de Pavlov des commentateurs politiques) mais de ne pas être aller assez loin dans nos réformes pendant le quinquennat.
Jérôme Fourquet : On a d'abord un axe classique et social avec un positionnement clairement à droite et libéral. Concrètement, cela passe par la remise en cause des 35 heures, un programme de réduction massif des dépenses et des déficits publics, un retour à la règle de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, des mesures contre l'assistanat, pour un allègement des charges, de la réforme du code du travail, etc. Ce sont des mesures qui pourraient être prises très rapidement par ordonnance en cas de victoire de la droite en 2017.
Sur la dimension identitaire et sécuritaire, on parle d'une réforme de la justice et d'un débat sur les peines planchers. Surtout, les sympathisants réclament d'avantage de fermeté en matière d'obtention de la nationalité française.
On voit que sur ces différents thèmes, il y a une radicalisation de l'électorat UMP, un durcissement encore plus net sur les thématiques identitaires et sécuritaires. C'est ce qui fait croire à certains qu'il y a une fusion des droites mais je pense que ce n'est pas encore le cas.
Quelle est leur positionnement en matière d'immigration ?
Guillaume Peltier : 9 électeurs de droite sur 10 souhaitent par exemple la remise en cause de l’acquisition automatique de la nationalité française. Ce plébiscite n’est peut-être pas surprenant, mais ce qui est nouveau, c’est que les Français dans leur ensemble y sont très largement favorables (72%) et qu’à gauche, se dégage presque une majorité sur cette idée, à 47%... (sondage BVA/Itélé, octobre 2013)
Jérôme Fourquet : J'ai rédigé, avec Marie Gariazzo, une note pour la fondation Jean-Jaurèssur ce sujet en septembre 2013 et qui montre que, de 2006 à 2013, le positionnement des électeurs UMP en matière d'immigration s'est durci. Ainsi, en septembre 2013, 87% des sympathisants UMP pensaient qu’" il y a trop d’immigrés en France", soit 25 points de plus qu'en avril 2006. Du côté du FN, ils sont 96%, à penser la même chose.
Que pensent les électeurs de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité ? Prônent-ils avant tout une plus grande fermeté ?
Guillaume Peltier : Les Français – sympathisants de gauche comme de droite – sont majoritairement favorables aux mesures dites sécuritaires, comme par exemple la mise en place de caméras de vidéoprotection dans les villes. La gauche a fait sa révolution sémantique sur ce sujet : regardez comme les déclarations d’un Manuel Valls sont aux antipodes du "sentiment" d’insécurité dont parlait Lionel Jospin en 2002. Mais le problème s’est en réalité décalé : si les Français reconnaissent que les policiers font bien leur travail, c’est le laxisme de la justice qui est sévèrement pointé du doigt. Sur ce point, la politique pénale de Madame Taubira (la suppression des peines-planchers par exemple) ne va pas dans le sens d’une réconciliation des Français avec leur justice.
Jérôme Fourquet : Sur ce thème aussi leur positionnement s'est durci. La période est objectivement plus dure avec la crise économique mais l'électorat UMP, ou au moins une partie, a considéré que la politique menée par Nicolas Sarkozy n'était pas à la hauteur des attentes de 2007. Dans la dernière partie de son mandat, il y a eu une prise en compte de ce décalage grandissant pour faire comprendre que ce message était entendu. C'est qui a donné naissance à cette parole décomplexée de la part d'une frange de l'UMP.
En matière de fiscalité ? Sont-ils globalement favorable à une baisse des impôts ?
Guillaume Peltier : Je ne suis pas certain qu’il existe ne serait-ce qu’un seul Français qui ne soit pas favorable à une baisse des impôts, après le matraquage fiscal imposé par le gouvernement de François Hollande. Sur cette question, le ras-le-bol fiscal s’est mué en explosion sociale. François Hollande aura réussi le "tour de force" de se mettre à dos la France du travail, il aura réussi à réveiller la France laborieuse, habituellement silencieuse. Qu’ils s’appellent, pigeons, poussins, dindons ou bonnets rouges, ce sont les artisans, commerçants, les professions libérales, les agriculteurs, les profs de prépa, qui manifestent leur exaspération fiscale avec un seul mot d’ordre : laissez-nous travailler en paix ! Regardez comme les chiffres sont éloquents à cet égard : février 2011, 27% des Français jugent "excessif" le montant de leurs impôts (51% "assez élevé"). En novembre 2013 ils sont 45%, soit un bond de 18 points ! (43% "assez élevé", selon un sondage Ifop/Le Figaro novembre 2013). Enfin, dans ce contexte, il n’est pas anodin que la fiscalité apparaisse comme le premier enjeu pour les municipales de mars prochain (à 51%) devant la sécurité (32%). Par dela la fiscalité il nous faudra surtout une audace nouvelle dans la baisse des dépenses publiques (réduction du nombre de fonctionnaires, réforme de la Sécurité sociale…) .
Jérôme Fourquet : L'électorat adhère 5 sur 5 au discours de l'UMP en la matière qui dénonce à l'envi le matraquage fiscal. Leur positionnement s'est radicalisé également sur l'impôt et ils sont globalement devenus très sensibles à la question du déficit public. D'une manière générale, ils considèrent qu'il est urgentissime de tailler dans les dépenses. Ils sont en outre favorables à la réforme fiscale proposée par Ayrault.
Quelle est leur position sur des sujets plus sociétaux comme le mariage pour tous ou l'Aide médicale d'État (AME) ? Sont-ils vraiment pour une suppression de ces aides ?
Guillaume Peltier : Les sympathisants de droite étaient très majoritairement opposés au mariage et surtout à l’adoption par les couples de même sexe. Sur l’AME, l’idéologie socialiste l’a emporté sur le bon sens et s’est traduite par la suppression du ticket modérateur. Résultat, l’AME, exclusivement destinée à plus 250 000 sans-papiers, pourrait coûter, selon les prévisions, près de 820 millions d’euros en 2013 contre 700 millions en 2012… Ce sont ces dérives qui exaspèrent nos compatriotes, de droite comme de gauche… La droite de demain que j’appelle de mes vœux, c’est la droite du courage et du mérite !
Jérôme Fourquet : Sur l'AME, ils sont assez remontés. C'est également le cas sur le mariage pour tous même s'ils étaient essentiellement opposés non pas au mariage mais au droit l'adoption qui en découlait. Sur ces thématiques, on retrouve grosso modo la distinction entre un tiers qui prônent un recentrage des idées et deux tiers qui veulent une droite assumée. Les deux tiers des sympathisants UMP sont aujourd'hui favorables à la suppression de l'AME et de la loi Taubira.
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