Entre un ministre des Affaires étrangères contesté et une coalition de moins en moins unie, le gouvernement d'Angela Merkel navigue à vue sur la scène internationale. Un flou qui rejaillit sur l'ensemble de l'Europe.
Combien de temps un gouvernement peut-il continuer de la sorte ? Rarement l’Allemagne a joué un rôle aussi important en Europe, et rarement sa politique étrangère a été aussi apathique. La crise de la politique extérieure allemande mine chaque jour un peu plus ce qui relevait autrefois de la politique intérieure. Le sort de ce gouvernement tient à une seule et unique question : parviendra-t-il à redéfinir la position de l’Allemagne en Europe ? Ou, pour le dire de manière plus brutale : parviendra-t-il à réacclimater les Allemands à l’Europe ?
Cependant, sur la question du sauvetage de l’euro, la chancelière a des raisons de trembler pour sa majorité. Ursula von der Leyen [ministre du travail], sa camarade de cabinet, profite de la brèche stratégique laissée par Angela Merkel pour se poser en dauphine potentielle : elle appelle de ses vœux la création des
"Etats-Unis d’Europe" – un projet jugé démoniaque, hélas pour elle, par le FDP et la CSU.
Pourquoi a-t-il fallu que l’Allemagne hérite d’un ministre des affaires étrangères que personne ne prend au sérieux au moment précis où la classe politique se détourne des questions de politique étrangère ? Les tentatives infructueuses de Guido Westerwelle d’attribuer la chute de Kadhafi aux sanctions allemandes ont révélé une fois de plus aux yeux de tous le déboussolement de la politique allemande.
La crise identitaire allemande
Si Guido Westerwelle est en sursis, toute la politique étrangère allemande l’est aussi. L’Allemagne se trouve
face à une question aussi importante que le furent jadis celles du réarmement, de l’intégration à l’Ouest ou de l’Ostpolitik : quel est l’avenir de l’Allemagne en Europe ? Jadis apanage des technocrates, la politique européenne est désormais le théâtre de la crise identitaire allemande. La vieille maxime selon laquelle ce pays est trop petit pour dominer l’Europe et trop grand pour en assurer l’équilibre ne semble plus d’actualité.
Le marché qui avait fait ses preuves un temps – l’Allemagne joue le rôle de moteur économique, la France celui de moteur politique – ne tient plus. Autrefois, l’Allemagne pouvait acheter son pouvoir. Aujourd’hui, elle est aussi une force politique incontournable en Europe. L’Europe ne trouvera son salut ni contre la volonté des Allemands, ni sans eux.
L’euro a été introduit sous la pression des Français, dans le but d’empêcher l’hégémonie de l’Allemagne en Europe. Or, ironie du sort, il a justement servi de base à la suprématie allemande. Les Allemands sont les grands gagnants de l’Europe, et pourtant beaucoup, ici, ont le sentiment d’avoir été trahis par l’Union. L’euro a fait de l’Allemagne une puissance hégémonique inquiète. L’Allemagne a peur de l’Europe, et les Européens ont peur de la puissance de l’Allemagne.
Et voilà que les Allemands doivent réformer l’Union au moment même où ils commencent à ne plus se considérer comme des Européens modèles, mais comme des victimes. Il fut un temps où l’Europe était une valeur en soi. Aujourd’hui, ils sont nombreux à penser que la doctrine du
"plus d’Europe" est une menace pour les valeurs et la prospérité.
Une nouvelle Europe en catimini
Poussée par les marchés, c’est donc en catimini que la chancelière construit la nouvelle Europe. Si, officiellement, elle se bat pour la diffusion de la
culture allemande de stabilité, sa politique impose peu à peu dans les esprits les notions de gouvernement économique, de ministère européen des finances, d’obligations européennes et – même désormais – d’Etats-Unis d’Europe.
En tapinois, l’Allemagne a commencé à réformer l’Europe à son image : ainsi Nicolas Sarkozy, qui fut autrefois le porte-parole des pays endettés, se pose aujourd’hui en promoteur de stabilité. Le gouvernement doit se défaire de son entêtement stratégique et rendre compte du fait que la position allemande a changé davantage que le silence de Berlin ne le laisse supposer.
Outre l’Europe, une autre grande question est celle de la participation de l’Allemagne aux conflits armés. Quelle leçon tirer des interventions de ces vingt dernières années – de la Bosnie à la Libye en passant par l’Afghanistan ? Courage, fuyons – et plus jamais d’interpositions ? La guerre en Libye instille le doute, même si ce n’est en rien un modèle. La
"culture de la retenue" ne doit pas devenir synonyme de non-ingérence systématique au nom de la morale.
Troisième question de fond : Israël. Quelle position l’Allemagne adoptera-t-elle en septembre lorsque les Palestiniens demanderont la reconnaissance de leur Etat auprès des Nations Unies ? Peut-on décemment leur refuser ce souhait au lendemain du Printemps arabe ? Nous devons rompre avec les rituels diplomatiques sans substance avec le Proche-Orient, sans nous positionner pour autant contre Israël et les Etats-Unis.
Le choix de l’Allemagne de ne pas aller en Libye a placé le pays aux côté de la Russie, de la Chine et de l’Inde. Mais si l’Allemagne doit trouver de nouveaux partenaires stratégiques, le non-alignement n’est pas une solution. Nous avons besoin de toute l’Europe si nous voulons pouvoir nous mesurer à la Chine – et, à l’inverse, l’Europe a besoin de nous pour compter dans le monde.
De quelle Europe l’Allemagne veut-elle ? De quelle Allemagne l’Europe a-t-elle besoin ? Ce gouvernement ne vivra que s’il trouve une réponse à ces questions.