On savait depuis longtemps que le système approchait de son point de rupture. Cela faisait des années qu’il imposait au paysage politique de telles contorsions qu’il avait fini par le redessiner sur un mode très artificiel. Que sa boussole indiquant la droite, la gauche et les extrêmes s’affolait de plus en plus rendant illisible la carte des convictions et des idéologies. Et voilà qu’il se fissure au moment où l’on ne s’y attendait pas, au lendemain d’un premier tour des cantonales sans grand enjeu aux résultats déformés par l’abstention.
Elle est tellement dérisoire cette allumette «Front républicain» dont le soufre porte tout à coup à incandescence les contradictions, qui ne sont pas nouvelles, entre le chef de l’État et son Premier ministre ! Tellement décalée... Surtout aujourd’hui, au moment où on la ressort de la vieille boite à surprises de la présidentielle de 2002. Presque dix ans ont passé ! Complètement périmée, la flamme inquiétante qui avait mobilisé plus de quatre Français sur cinq derrière Jacques Chirac pour faire barrage au candidat Front national. Elle chauffe mais elle ne brûle plus.
Que d’énergie gaspillée à se déchirer sur l’opportunité du vade retro FN. Trop tard ! La frontière entre la droite dite républicaine et celle qui ne le serait pas n’existe déjà plus. Pourquoi redresser, au moment des élections, des barrières qui sont déjà tombées ? A l’UMP, de nombreuses voix et les esprits de milliers d’électeurs les ont renversées pour aller vagabonder sans complexe sur les territoires jadis interdits où l’étranger, forcément trop en nombre, est responsable de tous les maux, où la préférence nationale est revendiquée, où la méfiance envers la différence est proclamée, où le scepticisme envers l’euro et la mondialisation est décliné, où l’identité nationale veut résister à la diversité, où les boat people, hors la loi, pourraient être rembarqués sur leurs bateaux et renvoyés à la mer sans état d’âme... Existe-t-il vraiment une si grande distance entre les propos d’un respectable Claude Guéant évoquant - sincèrement ? - le sentiment des Français de «n’être plus chez eux» et ceux d’une Marine Le Pen qui, après son père, dénonce inlassablement «l’invasion maghrébine»?
Alors il est temps, pour la société française, de tomber les masques, de disloquer ce front commun des hypocrisies. Il est temps de mettre au jour la vraie frontière des valeurs qui sépare les uns et les autres au risque de faire exploser les confortables entités politiques. Pas pour empoisonner le débat public, déjà moribond de toute façon, mais pour le refonder, au contraire, sur des bases claires : il a besoin de repères authentiques. N’est-ce pas, après tout, le message que les électeurs de ce mois de mars 2011 - qui n’ont que faire de la polémique du ni-ni ou du «tous contre le Front» - ont glissé dans les urnes ?