Surtout, ne rien laisser paraître. Depuis l'annonce-surprise de la candidature de Ségolène Royal aux primaires socialistes, la direction du parti comme les partisans de Dominique Strauss-Kahn jouent les indifférents. Martine Aubry n'a pas souhaité réagir, mardi 30 novembre, préférant coller à son agenda de maire de Lille.
Harlem Désir, numéro 2 du PS, a expliqué dans une déclaration :
"Il y a des candidatures, Ségolène Royal a la liberté de se déclarer candidate comme les autres, c'est le principe même des primaires." Chez les strauss-kahniens, on fait dans l'ironie :
sur son blog,
Jean-Christophe Cambadélis écrit ainsi qu'il
"n'est pas anormal (...) que les candidats les moins bien placés dans les sondages et dans le Parti socialiste se lancent de loin".
Pourtant, en interne, la nouvelle n'est pas prise à la légère. En se lançant aussi tôt dans la bataille des primaires, Ségolène Royal a, une fois n'est pas coutume, bousculé le PS.
Aubry prisonnière de ses engagements
Au jeu de dupes qu'elle jouait avec Ségolène Royal, Martine Aubry a perdu une manche : en la ramenant au sein du PS et en la mettant en avant dans les médias, la première secrétaire pensait "normaliser" l'ex-candidate et la circonvenir. Même si la direction ne se faisait pas d'illusion sur une candidature de la présidente de la région Poitou-Charentes, personne ne s'attendait à ce que celle-ci fasse mouvement si vite.
"Elle a vu les déclarations de candidature se multiplier et a craint de voir l'espace médiatique lui échapper", explique-t-on dans l'entourage de Martine Aubry.
Est-ce l'allusion de Martine Aubry, sur France 2 le 25 novembre, à l'existence d'un "accord" de non-agression entre elle, DSK et Royal, qui a précipité les choses ? C'est l'hypothèse de certains au PS. Pas du tout, répond-on dans l'entourage de la première secrétaire : elle s'est contentée de rappeler un engagement que Ségolène Royal a été la première à faire, celui d'éviter les querelles fratricides. On note d'ailleurs que la présidente de région s'y est à nouveau engagée une fois sa candidature déclarée. Une version à nuancer : si Mme Royal a évoqué à nouveau la possibilité de s'effacer si elle n'est pas la mieux placée, elle a marqué la différence, mercredi 30 novembre sur France 2, entre Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry, ramenée au rang de candidate "comme les autres".
Si ses proches soulignent qu'elle
"est dans son rôle de première secrétaire en se concentrant sur le projet et les propositions socialistes" plutôt que sur les querelles de personnes, force est de constater que Martine Aubry semble aujourd'hui prisonnière, prise en tenaille entre la pression de la gauche du parti (Hamon et Emmanuelli), qui la poussent à s'engager, et son engagement d'attendre une décision de Dominique Strauss-Kahn.
Cette promesse pèse sur tout le parti et condamne la première secrétaire à rester en retrait jusqu'au printemps, où elle pourrait être amenée à jouer les recours si DSK "n'y va" pas. Si toutefois elle le souhaite. Au sein du PS, et particulièrement à la gauche du parti, on s'inquiète de plus en plus, en effet, du peu d'enthousiasme que manifeste Martine Aubry à l'idée d'une candidature aux primaires.
"Elle fera son devoir", répond-on dans son entourage, sans plus de précision.
DSK poussé à faire un signe
Les strauss-kahniens ont beau assurer que la candidature de Mme Royal ne change rien, la vérité est plutôt inverse. Le patron du FMI ne peut, de par sa fonction, manifester aucun signe officiel d'un retour anticipé en France. En a-t-il l'intention ?
"J'en suis convaincu", répond le sénateur PS de Côte-d'Or
François Patriat, l'un de ses plus chauds partisans. Interrogé par LeMonde.fr, il évoque des
"signes positifs" donnés par DSK au cours de sa visite en France, fin novembre. Et puis, ajoute-t-il,
"s'il avait choisi de ne pas revenir, il l'aurait fait savoir plus vite".
Ségolène Royal a eu beau jeu, mardi 30 novembre, sur France 2, de rappeler qu'il a, dans un entretien au magazine allemand
Stern, promis d'assurer sa fonction
"jusqu'à la fin. Et la fin c'est 2012". La présidente de région estime que cette réponse signifie qu'il a renoncé. Faux, répond M. Patriat :
"Vous l'imaginez répondre autre chose ? S'il répondait qu'il ne veut pas aller au bout de son mandat, il serait immédiatement très affaibli au sein du FMI."
Reste à décider quand DSK sera en mesure d'annoncer ses intentions.
"On a attendu cinq mois, on peut bien tenir cinq mois de plus", estime François Patriat, qui n'envisage, comme la direction du PS, aucun changement dans le calendrier. La limite serait donc celle de l'inscription aux primaires, fixée à juin 2011, pour une élection à l'automne. Certes porté par les sondages, Dominique Strauss-Kahn peut-il pour autant se permettre de laisser plus de six mois d'avance à ses concurrents ? Même pour le grand favori des sondages, ce serait dangereux.
Hollande, Valls, Montebourg et la question du calendrier
Avec la déclaration précoce de Ségolène Royal, la question du calendrier des primaires se fait aiguë. Et les voix sont de plus en plus nombreuses, au sein du PS, à évoquer une accélération de celui-ci, surtout parmi les "petits" candidats. Jusqu'ici, les strauss-kahniens refusent mordicus de disqualifier leur leader, et sont suivis par la direction du PS. Mais d'autres insistent sur la nécessité de ne pas laisser la France trop longtemps sans une figure pour incarner l'opposition à
Nicolas Sarkozy. C'est le cas des proches de Ségolène Royal, qui sont partis du constat de la nécessité pour la gauche d'avancer et de pousser son avantage face à un président affaibli, pour justifier la déclaration de leur candidate.
Une manœuvre, là encore, habile : cet avis est partagé par beaucoup au PS, à commencer par François Hollande (qui n'est toujours pas officiellement en campagne) et ses partisans.
"Les Français voudront savoir début 2011 qui se propose de leur montrer un chemin", estime le député de la Seine-
Saint-Denis Bruno Le Roux, soutien de François Hollande, interrogé par LeMonde.fr. Lui propose
"un processus après les cantonales, sur trois mois, avril, mai, juin, peut-être juillet, pour un débat ramassé" entre les candidats.
Bruno Le Roux estime que ce calendrier ne dérangerait pas les strauss-kahniens.
"Dans son interview à Stern
, DSK peut vouloir dire deux choses : soit qu'il n'est pas candidat, mais je ne le crois pas, soit que de toute façon, son mandat court jusqu'après la présidentielle et qu'il n'y a pas à 'rendre possible' sa candidature." En clair, démissionner en avril ou en juin ne changera pas fondamentalement les choses. Ce calendrier permettrait, selon lui, d'avoir plus de temps pour que le candidat fasse campagne.
"Penser qu'on arrivera à une osmose avec le pays en trois mois, c'est une profonde erreur du PS", juge le député. Quant à savoir si l'affichage public permanent des désaccords et des calculs tactiques des uns et des autres permettra plus facilement cette "osmose"...
Samuel Laurent