Vitesse et mondialisation
« Nous sommes à la fin d'un monde connu. »
« La société n'existe plus. »
Deux titres chocs. L'un dans la revue Bretons (1), où le philosophe et urbaniste Paul Virilio, auteur du Grand Accélérateur, met en garde contre la tyrannie de l'immédiateté. L'autre dans le journal économique Les Échos (2), où l'on rend compte du dernier livre du sociologue Alain Touraine, Après la crise.
« Le progrès et l'accélération du réel dominent désormais l'accélération de l'histoire », dit Paul Virilio. C'est un fait que nous avons le sentiment d'être entraînés irrésistiblement dans une sorte de course effrénée. Tout se transforme autour de nous : les transports, les communications. Les échanges se font de plus en plus rapides. Cette rapidité empiète sur la réflexion. On suit en courant, en s'adaptant comme on peut, sans trop se demander où va tout cela. L'essentiel, pour chacun, est de rester dans le coup. Cependant, sans qu'on s'en aperçoive, les relations changent de nature. Un mail est à peine reçu qu'il est lu et qu'on expédie la réponse qui donne lieu, en retour, à un autre mail immédiat. Et ainsi de suite... C'est, dit Virilio, « la fin d'un monde qui était un monde rythmique avec des saisons, avec un emploi du temps, avec des liturgies. Ce monde-là se termine ».
De l'opinion publiqueà l'émotion publique
De son côté, Alain Touraine constate que le monde des élites, celui des grandes institutions financières et industrielles, n'appartient plus au territoire national. Grâce à la globalisation, il est désormais du domaine mondial et s'affranchit de la tutelle des États. Les grands acteurs sociaux et les peuples sont dépassés, ne savent plus comment réagir face à cette dénationalisation de l'économie.
On comprend l'étonnement, la sidération des opinions qui tendent à se recroqueviller sur elles-mêmes avec le risque de se réfugier dans l'individualisme, le communautarisme, le sectarisme, la xénophobie engendrés par la peur d'être noyé dans un mouvement qu'on ne domine pas. Il se peut aussi que ces évolutions engendrent une énorme communauté d'émotions qui s'empare des publics. « L'opinion publique pourrait céder sa place à l'émotion publique », comme le craint Paul Virilio. Dans les deux cas,la démocratie se trouve mise en danger.
Faut-il avoir peur de tout cela ? Sans doute vaut-il mieux en être conscient pour s'efforcer de dominer ces évolutions. Mais comment y parvenir, sinon, pour les jeunes, par l'éducation. Ainsi les programmes d'histoire et de géographie sont plus importants que jamais pour que les nouvelles générations sachent qu'elles sont placées sur une trajectoire et qu'elles ne sont pas seulement dans l'instantanéité et dans la délocalisation.
Il y a problème aussi pour les religions. C'est une évidence qui leur impose d'intensifier leurs réflexions spirituelles en vue de réussir à transcender ces chocs et soubresauts.
Enfin, pour tous, c'est la nécessité d'un approfondissement qui permette de retrouver les valeurs essentielles résidant et souvent somnolant au coeur de chacun. Elles s'appellent, par exemple, la liberté associée à la responsabilité, la solidarité qui se traduit en engagement.
(1) Mensuel d'octobre 2010.
(2) Édition du 23 septembre 2010.