La dégradation de 9 pays de la zone euro, parmi lesquels la France, montre clairement que la politique européenne de fonds de sauvetage doublée de l'austérité fiscale a mis à plat le continent. Il est temps qu'Angela Merkel et ses partenaires trouvent une solution crédible à la crise, écrit Wolfgang Münchau.
La semaine dernière avait été le théâtre d’une brève euphorie, mais la réalité nous a rattrapés. La nouvelle tombée le 13 janvier n’est pas vraiment une surprise. La dégradation de la note de la France était un choc annoncé.
Tout comme l’échec des négociations entre les investisseurs et le gouvernement grec au sujet d’une participation volontaire à la restructuration de la dette publique hellène. Une proposition fondamentalement irréaliste a été rejetée. Ne feignons pas d’en être étonnés.
Pourtant, ces deux événements sont importants parce qu’ils nous dévoilent le mécanisme à l’œuvre derrière ce qui nous attend probablement cette année. La zone euro est emportée dans une spirale faite de dégradations, de chute du produit intérieur brut, de hausse de la dette et de nouvelles dégradations. La récession n’en est qu’à ses débuts.
Il est désormais probable que la Grèce se déclare en défaut de paiement pour l’essentiel de sa dette et qu’elle soit même contrainte de quitter l’euro. Quand cela se produira, les feux de la rampe se braqueront aussitôt sur le Portugal, et ce sera le signal d’une nouvelle série de dégradations contagieuses.
Une géographie économique remodelée
Le Fonds européen de stabilité financière (FESF), institution dépourvue de moyens, est lui aussi menacé de dégradation [mécaniquement] puisqu’il a emprunté sa notation à ses membres. Compte tenu de son organisation, sa capacité de prêt effective s’en trouve ainsi affectée. Même si la dégradation de la note française n’est pas une surprise, les Etats membres de la zone euro ne disposent d’aucun plan de secours, tout juste de quelques scénarios destinées à colmater les brèches dans l’urgence.
Ils pourraient décider de gérer simultanément le FESF et son successeur permanent. Ou d’allouer immédiatement à ce dernier l’ensemble des capitaux du FESF. Ce qui creusera un peu plus des budgets nationaux à l’aube d’une année difficile.
En dégradant la note de la France et de l’Autriche mais pas celle de l’Allemagne et des Pays-Bas, Standard & Poor’s a également réussi à donner une forme à ce que pourrait être la géographie économique en cas d'éclatement. Politiquement, il aurait été beaucoup plus facile de faire face à une dégradation de tous les membres titulaires d’un triple A.
L’Allemagne est dorénavant le seul grand pays à se voir décerner la meilleure note. Une décision qui va compliquer la tâche de Berlin quand il lui faudra accepter les obligations de la zone euro. La différence de notation s’enfonce comme un coin entre la France et l’Allemagne et déséquilibrera encore un peu plus leur relation.
La nouvelle de la relégation a suscité une réaction épidermique qui nous prouve une fois encore que la crise et la recherche d’une solution se déroulent dans des univers parallèles. Le commentaire d’Angela Merkel, qui a déclaré que l’UE devait maintenant se hâter de boucler le traité fiscal, est caractéristique de cette rupture. Quoi qu’il advienne, la discipline fiscale reste leur/ seule réponse.
Cette réaction à la crise passe à côté du poids écrasant du secteur privé dans le déséquilibre interne de la zone euro. La conclusion du traité fiscal, aujourd’hui principale priorité de la politique de l’Union, est au mieux une diversion hors de propos.
Il est plus que probable qu’elle ne fasse qu’accentuer la tendance à une austérité pro-cyclique du genre de ce que nous avons vu en Grèce. Je m’attends par ailleurs à voir l’UE infliger des réglementations vengeresses aux agences de notation. Que cela soit justifié ou non, ce n’est là encore qu’une diversion.
Un système qui continue de se déliter
Il y a quelque temps, je soutenais que le sommet de décembre était la dernière chance d’un redémarrage intégral du système. A l’époque, on aurait pu envisager un marchandage grandiose portant sur un budget commun de la zone euro, des euro-obligations, une politique capable de maîtriser les déséquilibres internes de la zone et, dans ce contexte, l’imposition de restrictions sévères aux budgets nationaux.
Merkel et ses acolytes à Berlin et à Bruxelles ont voulu se targuer d’une réussite parce que le sommet des 8 et 9 décembre ne débouchait sur aucune des solutions évoquées ci-dessus, à l’exception du rééquilibrage du budget.
Maintenant que Merkel a obtenu ce qu’elle voulait, le système continue de se déliter. A chaque tour de la spirale, le coût financier et politique de résolutions inefficaces se fait plus lourd. Nous avons dépassé le stade où les électorats et leurs représentants sont prêts à payer le prix toujours plus élevé qu’implique la réparation du système.
La semaine dernière, une poignée de députés vétérans de la CDU au pouvoir, que je considérais auparavant comme des ténors de la modération, ont affirmé qu’un départ de la Grèce de la zone euro ne serait finalement pas si grave. Les attentes évoluent rapidement, et il en va de même de la disposition à accepter une fin brutale.
Et non, l’énorme injection de liquidités à laquelle a procédé la Banque centrale européenne (BCE) ne va pas non plus résoudre le problème. Loin de moi l’idée de sous-estimer l’importance de cette décision. La BCE a empêché un effondrement du crédit, et c’est tout à son honneur.
Le retour de l’argent à long terme et sans limite pourrait même avoir un impact marginal sur la volonté des banques de prendre part aux enchères de la dette publique. Avec de la chance, cela pourrait nous permettre de surmonter la rude période de refinancement de la dette au printemps prochain. Mais une averse de liquidités ne suffit pas à répondre au problème sous-jacent d’une absence d’ajustement macroéconomique.
Même les réformes économiques, aussi nécessaires soient-elles pour d’autres raisons, ne peuvent résoudre ce problème. C’est une illusion européenne de plus. Nous en sommes désormais au point où, pour sortir efficacement de la crise, il faudrait une autorité fiscale centralisée et puissante, dotée du pouvoir de fiscaliser et d’allouer des ressources dans toute la zone euro. Ce qui, bien sûr, n’arrivera pas.
Telle est l’ultime implication de la dégradation des notes de la semaine dernière. Nous n’en sommes plus au stade où un bricolage technique pourrait encore fonctionner. La boîte à outils est vide.
Contrepoint
Une intrusion anti-démocratique
Face à la dégradation tous azimuts "aussi gonflée que contradictoire" de neuf pays de la zone euro par S&P, la Süddeutsche Zeitung est passablement indignée : "Un monopole jette la pierre à la politique de gouvernements démocratiquement élus", déplore le quotidien de Munich, appelant à responsabiliser ces “examinateurs auto-proclamés” :
L'agence lance son message que personne n'avait demandé, au bon moment, deux semaines avant le prochain sommet de l'UE : ‘Faites ce que nous vous disons. Vous n’avez pas le choix.’ Elle n'hésite pas à mettre des pays du club de l'euro à un même niveau avec des pays en développement. Qui prête de l'argent à l'Italie ou à l'Espagne court le même risque que s'il envoyait son argent en Inde, en Colombie ou aux Bahamas. C'est absurde, c'est ridicule. […] Mais il y a plus dangereux : Standard & Poor’s […] tente d'intervenir directement dans la politique européenne. C'est n'est pas la tâche d'une agence de notation. Les Américains poussent de plus en plus ouvertement les Européens du continent à adopter les principes anglo-saxons dans leurs politiques économique et financière. C'est-à-dire, imprimer de l'argent quand nécessaire, pour sauver des banques et initier des programmes de relance. Qui ne le fait pas obtient des mauvais notes.