mercredi 14 mai 2014
Élections européennes, les chefs d’entreprise appréhendent le fiasco
Les élections européennes vont tourner à la catastrophe. C’est le point de vue de nombreux chefs d’entreprise qui craignent que cet euroscepticisme n’entraîne une vague d’abstention et de refus de l’Europe… Sauf qu’après cela, qu’est ce qu’on fait ?
Beaucoup de grands patrons et notamment ceux du Cac40, que l’on retrouve dans la très secrète et puissante Association des grandes entreprises françaises (l’AFEP), ne décolèrent pas contre les responsables politiques et contre les organisations syndicales, y compris contre le Medef , parce qu’ils considèrent que les ambitions européennes sont complètement passées à la trappe, que la campagne pour les élections européennes tourne au festival des menteurs et des escrocs intellectuels et que l’on en arrive à dire n’importe quoi sur l’euro et l’Europe,qui seraient coupables de tout.
Ils redoutent : une abstention record, une montée du Front national et une tendance à déconstruire l’ensemble européen.
Il y a eu dans la construction européenne et le fonctionnement de la zone euro, d’énormes erreurs de commises. Bien ! Mais c’est le passé.
Première série d’erreurs, l’élargissement a été trop rapide et mal géré. On a accueilli des pays pour des raisons politiques alors que ces pays n’étaient pas en mesure d’assumer les contraintes économiques. L’ensemble est ingouvernable. Les règles d’organisation de cette copropriété donnent autant de poids dans la décision communautaire à un petit pays comme la Grèce qu’à l’Allemagne ou à la France. Comme si dans votre immeuble, l’étudiant qui possède un petit studio avait autant de pouvoir que la famille qui occupe le 200 m2 du dernier étage. Cela ne peut pas marcher. Or, l’europe est une sorte de copropriété.
La deuxième série d’erreurs se situe au niveau monétaire. Nous n’avons pas mis assez de politique dans la gestion commune des pays de la zone euro.Bref, l’évolution normale aurait été d’initier des institutions fédérales. Ce mouvement a été bloqué. Il s’est arrêté à la mise en place d’un début d’harmonisation budgétaire et fiscale. Le dernier traité adopté à l’arraché a bien institué le contrôle a priori des budgets, l’objectif de règle d’or, et la mise en place d’un gouvernement économique, mais reconnaissons que la crise a rendu l’application de cette coordination très difficile.
Sans gouvernement fédéral et sans coordination des politiques nationales, l’euro n’a jamais pu être géré au profit d’une politique de croissance. Pour fonctionner comme la réserve fédérale américaine, il aurait fallu que la Banque centrale européenne (BCE) puisse, par exemple, racheter de la dette publique… Mais laquelle ? Il aurait fallu que la BCE puisse choisir entre la dette grecque et la dette espagnole ou française. Cela n’était évidemment pas dans ses statuts. Qui plus est, ce serait politiquement hors de question puisque cette action reviendrait à imposer aux plus riches de contribuer à couvrir les besoins de plus faibles sans pouvoir les contrôler ou les gérer.
Les membres de l’AFEP, l’association française des entreprises privées, considèrent que tous ces dysfonctionnements ont alimenté les sentiments négatifs qui se développent à l’encontre de l’Europe, mais que le climat politique et les effets de la crise vont encore aggraver la perspective du scrutin européen. Le résultat est que l’euro et l’Europe vont encore être mis à mal.
Le vote en faveur des partis extrémistes de droite ou de gauche marquera très fortement le rejet de l’Europe, le refus de l’euro. C’est explicitement le projet affiche par Marine Lepen.
"Sortons de l’Euro, et tous nos problèmes seront réglés".
Le poids des abstentions sera lui aussi interprété comme une indifférence à l’Europe, alors que l’abstention sera en fait une façon de marquer le rejet de la politique Hollande.
Pour le reste du monde et pour les Européens, la France passera pour un pays qui tourne le dos à l’Europe.
Or, pour tous les acteurs du monde de l’entreprise, pour une majorité d’économistes,l’aventure européenne est le seul grand projet que les européens ont été capables de mettre en place. Par ailleurs, dans un monde complétement globalisé, où il n’existe que quelques pôles de développement (l’Asie, l’Afrique et les Amériques) les pays européens n’ont qu’une solution pour sauver leur propre modèle et leur propre culture, s’unir dans un ensemble cohérent.
Pour les chefs d’entreprise, la sortie de l’euro serait donc une catastrophe et un retour en arrière historique irrattrapable. A très court terme, l’abandon de l’euro entrainerait une chute de l’activité importante, une dévaluation dont les avantages ne dépasseraient pas six mois puisque nous n’avons pas d’exportations.Les frontières seraient donc rétablies, les droits de douane aussi, et quant à la dette, elle deviendrait impossible à rembourser en franc, ce qui veut dire que les épargnants seraient ruinés. Mais au-delà de cette "chienlit technique", il est évident que la fin de la construction européenne laisserait la place à une Europe des pays en concurrence exacerbée de laquelle seuls les plus forts sortiraient vivant. Et le seul État en Europe véritablement en ordre de marche est l’Allemagne.
Sortir de l’euro parce que on ne supporterait plus la discipline soit disant imposée par l’Allemagne reviendrait à lui faire le cadeau de pouvoir exercer son pouvoir économique sans limite.
Ce que les grands patrons ne comprennent pas, c’est l’incapacité des responsables politiques à faire la pédagogie de cette Europe. Ils ont tous peur de l’Europe et de son image sur les électeurs, donc ils n’en parlent pas. Et pourtant, ce sont bien eux qui ont façonné cette image d’une Europe impuissante et coupable de tous nos maux. Ce sont eux qui ont utilisé l’Europe comme le bouc émissaire des effets de leur incompétence et de leur lâcheté.
Résultat de cette débauche démagogique et populiste : la campagne pour les européennes n’existe pas. Les rares débats se résument à des batailles politiciennes ridicules.
Les chefs d’entreprise ne s’expriment pas.
Leurs représentants syndicaux (Medef, CGPME) sont aux abris, les jeunes qui sont massivement pour la construction européenne ne s’expriment pas. Ils n’iront d’ailleurs pas voter. Beaucoup grâce à Erasmus vivent l’Europe tous les jours. Ils sont à Barcelone ou à Berlin, ils parlent l’anglais, l’allemand ou l’espagnol contrairement à leurs parents qui dans les années 1960-70 préféraient les cours de gym, au cours de deuxième langue. Bravo.
Quant à la presse, elle relate le spectacle politique pour des lecteurs qui ne lisent plus les journaux. Et pour cause, le spectacle politique ne les intéresse plus. Il n’a aucun sens. A gauche comme à droite, chez les soi-disant libéraux comme chez les néo-conservateurs. Reste les extrémistes qui sont les seuls à présenter un programme. Mais quel programme !
Au lendemain des élections européennes, la France va se réveiller groggy.
Si ça lui chante…
Si ça lui chante…
On peut, sans chanter, commettre un « couac » retentissant ! Christiane Taubira vient d'en administrer la preuve. Non qu'il faille reprocher à notre ministre de la Justice de s'être abstenue de chanter La Marseillaise à l'unisson, samedi à Paris lors d'une cérémonie sur l'abolition de l'esclavage. Après tout, rien ne l'obligeait à vocaliser. En revanche, rien ne la contraignait, sur sa page Facebook, à justifier son silence en condamnant une propension au « karaoké d'estrade ». Christiane Taubira est trop intelligente pour n'avoir pas deviné que sa formule provocatrice provoquerait un tollé.
Peut-être a-t-elle même voulu le susciter pour mieux entonner ensuite le grand air de la calomnie et se victimiser dans une forme de racisme à rebours. C'est évidemment, de sa part, faire preuve d'une mauvaise foi absolue. Même si l'on n'est pas loin de la récupération politique chez certains qui ont vite fredonné le chant du départ… gouvernemental, beaucoup de Français ont été sincèrement choqués sans souscrire pour autant aux couplets frontistes.
Pour éviter ce vilain procès, resservi en toutes occasions par le pouvoir, il importe de souligner que Christiane Taubira, est une femme de conviction, cultivée, excellente oratrice. Pour tout cela, elle devrait précisément s'abstenir de ces saillies inutilement clivantes qui exacerbent un peu plus les débats. Surtout au moment où le Premier ministre, bien indulgent sur ce dérapage, en appelle sur tous les tons au rassemblement des Français et à l'apaisement de la société.
Par effronterie, Christine Taubira a raté une occasion de se taire. Et cela, même si l'on peut regretter que La Marseillaise soit sollicitée à tout bout de… chant ! Qu'elle soit défigurée sur les stades dans une vulgaire cacophonie n'est pas indispensable. Qu'elle y soit sifflée par des nationalistes corses un soir de mai 2002 au stade de France, provoquant le départ de la tribune de Jacques Chirac, est insupportable. Raison de plus pour qu'un ministre de la République ne donne pas le mauvais exemple. Pour un peu, on demanderait à Christine Taubira de s'excuser. Si ça lui chante…
Si ça lui chante…
Si ça lui chante…
On peut, sans chanter, commettre un « couac » retentissant ! Christiane Taubira vient d'en administrer la preuve. Non qu'il faille reprocher à notre ministre de la Justice de s'être abstenue de chanter La Marseillaise à l'unisson, samedi à Paris lors d'une cérémonie sur l'abolition de l'esclavage. Après tout, rien ne l'obligeait à vocaliser. En revanche, rien ne la contraignait, sur sa page Facebook, à justifier son silence en condamnant une propension au « karaoké d'estrade ». Christiane Taubira est trop intelligente pour n'avoir pas deviné que sa formule provocatrice provoquerait un tollé.
Peut-être a-t-elle même voulu le susciter pour mieux entonner ensuite le grand air de la calomnie et se victimiser dans une forme de racisme à rebours. C'est évidemment, de sa part, faire preuve d'une mauvaise foi absolue. Même si l'on n'est pas loin de la récupération politique chez certains qui ont vite fredonné le chant du départ… gouvernemental, beaucoup de Français ont été sincèrement choqués sans souscrire pour autant aux couplets frontistes.
Pour éviter ce vilain procès, resservi en toutes occasions par le pouvoir, il importe de souligner que Christiane Taubira, est une femme de conviction, cultivée, excellente oratrice. Pour tout cela, elle devrait précisément s'abstenir de ces saillies inutilement clivantes qui exacerbent un peu plus les débats. Surtout au moment où le Premier ministre, bien indulgent sur ce dérapage, en appelle sur tous les tons au rassemblement des Français et à l'apaisement de la société.
Par effronterie, Christine Taubira a raté une occasion de se taire. Et cela, même si l'on peut regretter que La Marseillaise soit sollicitée à tout bout de… chant ! Qu'elle soit défigurée sur les stades dans une vulgaire cacophonie n'est pas indispensable. Qu'elle y soit sifflée par des nationalistes corses un soir de mai 2002 au stade de France, provoquant le départ de la tribune de Jacques Chirac, est insupportable. Raison de plus pour qu'un ministre de la République ne donne pas le mauvais exemple. Pour un peu, on demanderait à Christine Taubira de s'excuser. Si ça lui chante…
Le " coprésident "
Le " coprésident "
Les mauvaises langues ne vont pas manquer de le souligner : quand Hollande n'est pas là, Valls danse. Et se montre. Alors qu'après sa rencontre plus conviviale que productive avec Angela Merkel, François Hollande se rendait dans le Caucase en marchant sur des 'ufs pour ne pas offenser Poutine, Manuel Valls était hier soir sur le plateau de TF1 pour répondre aux questions de Claire Chazal. On se demande quelle urgence avait donc pu pousser le Premier ministre à s'exposer médiatiquement quelques jours après l'interview du chef de l'État sur RMC et BFM-TV, et sa longue tribune sur l'Europe dans Le Monde.
D'autant plus qu'aucune annonce nouvelle ne devait être faite hier soir. Alors, il faut se rendre à cette évidence : Manuel Valls est venu pour occuper le terrain et ne rien dire de plus que le chef de l'État. Comme s'il s'agissait seulement pour lui de renforcer la crédibilité d'une parole présidentielle insuffisante pour convaincre les Français, et de redonner le poids de la conviction au message élyséen. On veut bien croire au partage des rôles, au sein de l'exécutif, mais il y a quand même, dans ce doublon assumé (?), une certaine singularité.
Les sondages aidant, Manuel Valls se comporte de plus en plus en coprésident. Autrement dit, il joue de son charisme et de son volontarisme pour « solidifier » les engagements de François Hollande. Et pourtant, Manuel Valls n'a rien dit de neuf, répétant que le scrutin européen serait « décisif » pour la France et l'Europe.
Rappelant la nécessité de réduire la fiscalité des ménages modestes dès cette année (650.000 foyers) et de mener à bien une réforme territoriale « toujours annoncée mais jamais faite » (en oubliant l'annulation de la réforme du conseiller territorial), Manuel Valls nous a offert une version courte de son discours de politique générale, dicté par l'urgence. Bien sûr, il a répété n'agir ni pour lui ni pour la gauche, mais pour l'intérêt de la France. On veut bien le croire sauf que son attitude de coprésident le positionne de plus en plus en candidat à une primaire PS en 2017.
Nous derniers du monde...
Nous derniers du monde...
Ce n’est plus acceptable, les bornes sont franchies, un sursaut est nécessaire, M. Montebourg doit devenir notre guide dans son juste combat contre les patrons, notamment d’outre Atlantique. Car l'agence financière américaine Bloomberg a procédé à un sondage auprès des investisseurs internationaux, pour savoir en quels dirigeants ils avaient confiance. Mme Merkel caracole en tête avec 76 % d’avis favorables, Obama se situe au milieu du classement et Poutine obtient quand même 15%. Hélas, honte sur nous, colère en nous, le dernier de ce hit-parade est François Hollande qui, lui, ne recueille que 11% de bonnes opinions. Cette fois, aucun doute possible: notre dernière place au concours de l’Eurovision n’était pas un accident. Elle était le début du complot international qui se trame contre nous.
L’effort de guerre sur les finances publiques
L’effort de guerre sur les finances publiques
C’est une rumeur, c’est une tentation : le gouvernement envisage d’amputer d’une poignée de milliards d’euros le budget de la défense, de manière à faire participer nos armées à ce qu’on pourrait appeler l’effort de guerre contre la dépense publique. Un milliard ou deux, cela semble peu de chose. Pourtant, si elle était avérée, cette hypothèse serait à la fois peu surprenante et vraiment consternante. Prévisible parce que, les contraintes de finances publiques ayant désormais changé, on imagine volontiers que ces budgets militaires ont pris un petit aspect cagnotte, très tentant pour les coupeurs de lignes de Bercy. Et prévisible aussi parce que François Hollande n’en serait pas à sa première promesse non tenue.
Il n’empêche, on a beau savoir que les lois de programmation triennale ne servent souvent qu’à être contournées, cette perspective est inquiétante. Dans un pays écrasé par sa dette, incapable de réduire la dépense publique tout en se rengorgeant de parvenir à en enrayer la hausse, le gouvernement ferait alors le choix de la facilité : au lieu de s’attaquer au poids de l’Etat, à ses effectifs et à ses missions, il toucherait aux éléments structurants de notre indépendance. Pire, les déficits restant abyssaux pour de longues années encore, on peut craindre que d’autres coupes viendront miter un peu plus notre dispositif de sécurité. Jusqu’à affecter, pourquoi pas, le cœur de la dissuasion nucléaire.
Toucher à ces budgets au nom de l’impératif de finances publiques, c’est faire la preuve concrète que la dette menace notre souveraineté. C’est aussi avouer notre incapacité, affligeante à dix jours des élections européennes, à répondre par l’Europe à un problème qui dépasse dorénavant nos capacités de nation.
Lettre ouverte à Madame la Ministre de la Culture
Madame la Ministre,
Je vous l'avoue, spontanément, je vous aurais donné du "Madamele Ministre", car cette féminisation des noms masculins qui ces derniers temps nous tombe dessus comme la vérole sur le bas clergé (je pense à l'horrible "écrivaine") ne me plaît guère, mais par crainte de vous agacer et pour en avoir le coeur net, j'ai tenu à vérifier dans ce qui est à mes yeux la loi et les prophètes de la langue française, le dictionnaire d'Émile Littré. Eh bien, vous auriez eu raison et moi tort : "ministre" est un substantif masculin, cela ne fait aucun doute, mais il existe aussi au féminin, et les trois exemples qu'en donne Littré sont décisifs, l'un étant de Bossuet et les deux autres de Racine.
Si donc, Madame la Ministre, je me permets de vous écrire cette lettre ouverte, c'est parce que je suis écrivain, que vous êtes ma ministre, et c'est votre soutien que je viens ici vous demander. Nous serions à Naples, c'est la protection de San Gennaro que j'implorerais, mais nous en sommes en France, pays à la sourcilleuse laïcité, et c'est donc à la vôtre que j'aspire.
Soigné pour un cancer, et parti me reposer quinze jours - à Naples, précisément -, je trouve à mon retour une lettre de l'Agessa - l'association qui gère la sécurité sociale des auteurs - datée du 18 avril dernier, où l'on me signifie que le maintien de mon affiliation à la sécurité sociale des écrivains a fait l'objet d'un avis défavorable de la Commission Professionnelle (sic, les majuscules ne sont pas de moi) au motif : "activité et revenus d'auteur insuffisants".
J'ai d'abord cru à un canular, à un mauvais pastiche de Kafka. Mais non, la lettre est authentique, et dans la France dont vous êtes la ministre de la Culture une Commission Professionnelle (avec double majuscule) refuse à Gabriel Matzneff sa qualité d'écrivain, vu qu'en 2013 il n'a pas assez publié et gagné d'argent.
Je suis un des écrivains français les plus connus de ma génération (celle de Georges Perec, de Philippe Sollers, de Dominique de Roux, de Jean-Edern Hallier) ; j'ai publié huit romans, deux recueils de poèmes, quatre récits, treize essais, douze tomes de mon journal intime, deux volumes de courrier électronique ; j'ai commencé à travailler jeune, je n'ai eu de toute ma vie ni un jour de congé payé, ni un jour de chômage, ni un jour d'arrêt maladie, ma plume a toujours été mon unique source de revenus et aujourd'hui - j'aurai soixante-dix-huit ans dans trois mois -, c'est plus que jamais "marche ou crève", comme à la Légion ; en 2010, les éditions du Sandre m'ont consacré un gros ouvrage collectif où des universitaires, des critiques littéraires, des confrères étudient mes livres, me rendent hommage, disent l'importance de mon travail (de ce que ces messieurs-dames de la "Commission Professionnelle" appellent mon "activité d'auteur"), la place qu'occupe celui-ci dans la littérature contemporaine; en 2013, bravant les puritains qui me tiennent pour un auteur scandaleux, le jury du prix Renaudot a eu le courage de couronner mon dernier essai, Séraphin, c'est la fin !.
Pourtant, moi qui suis affilié à l'Agessa depuis qu'elle existe, c'est précisément cette année 2013 sur quoi elle s'appuie pour décider ma radiation, au motif : activité et revenus d'auteur insuffisants.
Je serais curieux, Madame la Ministre, de connaître les noms des membres de cette Commission Professionnelle qui a décidé que Gabriel Matzneff ne mérite pas la qualité d'écrivain et doit être radié. Quels qu'ils soient, ils me rappellent le tribunal soviétique qui, voilà quelques années, jugea mon confrère Joseph Brodsky. Ces juges lui demandaient de prouver qu'il était poète, exigeaient ses diplômes de poète. Et comme Brodsky ne put fournir aucun certificat, les juges lui demandèrent : "D'où vous vient le droit d'oser vous proclamer poète ?" Alors Brodsky de répondre : "Je crois que cela me vient de Dieu." Il fut condamné "pour parasitisme social" à cinq ans de travaux forcés.
La Commission Professionnelle qui m'a radié n'a pas voulu, en m'envoyant cette lettre extraordinairement désinvolte, froide, méprisante, me condamner au bagne. Elle a simplement tenté de m'humilier, de me contraindre à les supplier, à chercher des voies de recours. Et elle a, d'une certaine manière, déjà triomphé, car cette lettre ouverte que j'ose vous adresser, Madame la Ministre, qu'est-elle sinon la recherche d'une voie de recours qui me permettrait de continuer à bénéficier de la sécurité sociale des écrivains ?
Mes livres, je les écris avec le sang de mon coeur, je tâche à ce qu'ils soient aussi beaux que possible, je leur infuse le talent, la force créatrice dont la nature (j'allais écrire Dieu, comme Brodsky, mais restons laïques jusqu'au bout) a bien voulu me doter, et pourtant ils ne me font pas gagner beaucoup d'argent ; ce ne sont pas des best-sellers. Je le regrette, mes éditeurs itou, mais c'est ainsi. L'Agessa a raison, je suis pauvre. Ce n'est pas une raison pour tenter de m'humilier. À moins que le but secret de la Commission Professionnelle ne soit de me pousser au désespoir, c'est-à-dire à la solution que, de Nerval à Crevel, de Pavese à Franco Lucentini, choisirent bon nombre de mes confrères, ici et de l'autre côté des Alpes. Ah ! La dolce morte ! Elle réglerait tout.
Pourtant, Madame la Ministre, je vais résister encore un peu à cette tentation. Je ne voudrais pas vous contraindre à assister à mes obsèques, l'office funèbre de l'Église orthodoxe est fort long et vous avez beaucoup de travail. Je préfère vous prier, respectueusement, d'intervenir en ma faveur, d'expliquer à l'Agessa qui je suis. Vieux, malade, très fatigué, je n'en ai plus la force.
Maurice Allais, économiste visionnaire
Le regard perçant malgré des lunettes à montures épaisses, Maurice Allais pouvait sembler un personnage sévère et de relation difficile. Pourtant, travailler auprès de lui révélait vite un savant passionné qui consacrait chaque instant de sa vie à l'étude et à la recherche, un homme qui ignorait certes les jugements en demi-teinte ou les appréciations ambiguës, mais qui prodiguait aux plus jeunes ses encouragements et son aide souvent généreuse. Ingénieur du Corps des mines, professeur à l'École des mines deParis et directeur de recherche au CNRS, Maurice Allais fut aussi professeur à Paris-X-Nanterre, dont le plus grand amphithéâtre porte depuis peu son nom.
Le seul économiste français à avoir obtenu un prix Nobel d'Économie à ce jour était en même temps un personnage difficile à classer. Passionné de physique et d'histoire, ce major de Polytechnique s'était lancé - seul et sans connaissance préalable du domaine - dans l'étude de la science économique, parce qu'il avait constaté les ravages du chômage aux États-Unis lors de la crise des années trente. Démobilisé en 1940, il parvint en moins de trois ans à reconstruire la discipline dans un ouvrage majeur, aujourd'hui publié sous le titre de Traité d'économie pure.
Remise en cause des idées reçues
Né en 1911 dans une famille très modeste, pupille de la nation dès 1915, il aspirait socialement à une société ouverte, où les élites issues de milieux défavorisés pourraient arriver à remplacer celles des milieux installés. Mais socialisme et libéralisme comportaient à ses yeux - sous condition d'une rigoureuse honnêteté intellectuelle - certaines règles susceptibles d'être fructueuses du point de vue collectif. Loin d'obéir à une idéologie quelle qu'elle soit, ses convictions personnelles ont ainsi été forgées à partir de l'observation des faits.
Il voulait cette observation rigoureuse et celle-ci a souvent conduit Maurice Allais à remettre en cause les idées reçues, l'amenant ainsi à découvrir qu'il existe des réticences à s'amender chez les intellectuels aussi. Combat difficile, car Maurice Allais était prêt à payer le prix de la fidélité à ses idées : cet économiste étiqueté "libéral" refusa ainsi d'entrer dans la Société du Mont-Pèlerin parce que le président - Von Hayek - lui avait demandé de ne plus insister sur l'appropriation collective de la rente foncière !
Pépites d'idées inexploitées
Cette originalité sourcilleuse, Maurice Allais l'a exprimée en français de façon quasi exclusive jusqu'au milieu des années soixante. Les ouvrages couronnés en 1988 par le prix Nobel n'ont donc jamais été traduits en Anglais - ce que la Fondation Maurice Allais s'efforce de faire aujourd'hui. Qu'il eût été ignoré des économistes qui ne lisent pas le français n'aurait donc pas été étonnant, que ses écrits ne figurent pas encore dans nombre de bibliothèques françaises et ne soient pas davantage recommandés aux étudiants français en économie est beaucoup plus surprenant, surtout lorsque Maurice Allais est l'auteur séminal des modèles qu'on essaie d'inculquer.
Car Maurice Allais n'est pas seulement précurseur dans divers domaines : il a devancé les économistes de référence actuels pour la demande de monnaie, pour la macroéconomie qui considère la coexistence de plusieurs générations dans le partage des fruits de l'activité économique et des efforts d'épargne, pour le rôle des banques centrales, pour la tarification des services publics, pour la théorie du risque la plus avancée aujourd'hui, etc. Et les ouvrages de cet économiste puissamment intuitif restent semés de pépites d'idées inexploitées encore à ce jour (multiplicité de prix d'équilibre, de technologies de marchés, etc.), que les chercheurs français seraient avisés de développer.
Dans le domaine monétaire, certains chercheurs proposent aujourd'hui des idées voisines pour que soient à l'avenir évitées les crises du type de celle que nous vivons encore et contre lesquelles il avait été l'un des très rares à mettre en garde. De nombreuses personnalités rendront d'ailleurs hommage à ses travaux dans ce domaine dans le cadre des Ateliers Maurice Allais du 23 mai, auxquels les lecteurs du Point sont cordialement invités (voir le site web de la fondation). Et si Maurice Allais avait eu raison sur ce point-là aussi ?
* Bertrand Munier est notamment le président du Comité Scientifique de la Fondation Maurice Allais
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