Depuis un mois, le néon rouge d'un nouveau lieu culturel brille au fond d'un passage quasi désaffecté du centre d'Athènes, lueur d'espoir pour un immeuble parmi les centaines de bâtiments vides de la capitale grecque qui attendent de renaître.
«Depuis l'ouverture, au moins mille personnes ont visité ce passage où elles n'avaient jamais mis les pieds, rien que ça, c'est positif», constate Anna Taouksi, qui pilote avec quatre amis cette étonnante terrasse coincée entre deux hautes barres d'immeubles des années 50 et flanquée, au rez-de-chaussée, d'un restaurant.
La terrasse du Bread and Roses repérable à son néon en forme d'étoile rouge le long de l'avenue Panepistimiou, l'une des principales artères d'Athènes, est proposée gratuitement aux organisateurs de concerts, lectures, projections et autres événements culturels.
Sur un mur, une fresque de crustacés en mosaïque rappelle que l'endroit a connu des jours meilleurs : «C'était un restaurant chic, les serveurs portaient des noeuds papillon», raconte Anna. «Tout ça s'est arrêté dans les années 1970».
La municipalité d'Athènes a ainsi perdu en trente ans un quart de sa population, passée de 886 000 habitants en 1981 à 665 000 en 2011, dernier recensement en date.
Un tiers de commerces fermés
«C'est le fruit de l'exode vers les banlieues, explique le géographe Thomas Maloutas. En l'absence de logements sociaux, les pouvoirs publics ont encouragé, après la guerre, l'accès à la propriété et le centre d'Athènes est devenu très dense».
«Le coup de grâce a été porté par la dictature (1967-1974) qui a "offert" 20% de surfaces constructibles supplémentaires aux petits propriétaires. Résultat: des immeubles de six étages ont poussé dans des rues étroites. Avec la hausse de la circulation, ces quartiers se sont dévalués et la population est partie», explique-t-il.
Puis est venue en 2010 la crise économique : 31% des commerces d'Athènes sont aujourd'hui fermés, selon la confédération du commerce grec (Esee), s'ajoutant à la surface inoccupée.
Une récente cartographie de 1650 bâtiments d'un des quartiers les plus centraux a dénombré entre 35 et 40% de bureaux, logements et commerces vides, selon Nikos Triantafyllopoulos, auteur de l'étude.
«Le bâti abandonné était une réalité bien avant la crise, mais on ne le voyait pas. Aujourd'hui, on a l'impression de ne voir que ça», observe Panagiotis Tournikiotis, enseignant à l'École d'architecture de l'Université polytechnique d'Athènes.
De cet électrochoc sont nées depuis quatre ans une multitude d'initiatives publiques ou associatives pour faire renaître le coeur de la ville.
«Rethink Athens»
«C'est comme si la crise nous avait réveillés et fait prendre conscience qu'il fallait prendre soin de notre ville», estime Irina Gratsia, l'une des architectes à l'origine du projet «Monumenta» qui depuis 2013 recense tout le bâti du 19e et de la première moitié du 20e siècle.
L'équipe du projet: «des passionnés, simples citoyens, qui ne veulent pas que disparaisse un pan du patrimoine», explique-t-elle.
Encore plus ambitieuse, l'initiative «Rethink Athens» a pris la forme d'un concours international d'architecture lancé en 2010 sous l'impulsion de la fondation Onassis pour remodeler le centre-ville. De nombreux événements publics ont accompagné le développement du projet pour impliquer les Athéniens.
L'équipe d'urbanistes néerlandais Okra a gagné le concours avec une proposition axée sur la réduction de la circulation, l'augmentation des surfaces piétonnes, des espaces verts, la récupération des eaux et un concept baptisé le «théâtre de 1000 pièces» visant spécifiquement les bâtiments abandonnés.
«L'idée est de proposer des contrats d'occupation temporaire des surfaces vides pour des projets culturels, des événements, des start-up. C'est une stratégie qui a porté ses fruits sur le long terme dans d'autres villes comme Amsterdam ou Berlin», explique Martin Knuijt, l'un des membres d'Okra.
Le lancement des appels d'offres pour l'ensemble du plan de rénovation est prévu d'ici à la fin de l'année.
«Je suis né dans le centre d'Athènes, puis ma famille a déménagé en banlieue. La maison de la fin du 19e où nous habitions a été classée en 1990 et s'est écroulée en 1998 : Je suis un exemple vivant de l'histoire d'Athènes !», plaisante Panagiotis Tournikiotis, également directeur de «Rethink Athens».
Il voit maintenant «les enfants des familles parties à la périphérie revenir au centre, dans l'appartement vide des parents ou grands-parents» : «C'est maintenant qu'il faut agir pour qu'ils restent».