mardi 21 février 2012
Le soupçon
Entendons-nous : rien d’anormal à ce qu’un ancien ministre d’État, redevenu député, cherche à rebondir. Rien de choquant à ce qu’il vise, avec son curriculum vitae, avec sa riche expérience, un rôle dirigeant plutôt que subalterne. Rien d’abusif à ce qu’il fasse jouer ses réseaux, ses amitiés. Chacun fait de même pour ses proches, ses enfants, ses amis, même si ce n’est pas toujours à la même altitude.
En revanche, ce qui déconcerte, dans cette manœuvre, hier révélée, qui mettrait Jean-Louis Borloo à la tête de Veolia, c’est que l’Élysée semble s’être pris pour Pôle Emploi, qu’un grand patron d’EDF semble jouer les chasseurs de têtes pour en faire tomber une et en couronner une autre. Ce qui trouble, c’est que l’homme ainsi pressenti, huit ans ministre, est le président du plus vieux parti de France (le parti radical) et se prépara pendant des mois à l’élection présidentielle.
D’où le soupçon. Est-ce là l’indice d’une gratitude du Château pour qui a renoncé à une candidature gênante au centre droit ? Cette idée obéirait-elle à d’autres objectifs que celui de trouver le patron taillé sur mesure pour une entreprise de 315 000 salariés ?
Nous ne sommes pas très à l’aise, en France, avec le mélange des genres qui fait d’un politique un grand patron, ou d’un grand patron un politique. Peut-être, là-dessus, pourrait-on évoluer certaines des compétences souhaitées sont évidemment communes. En revanche, ce qui choque dans cet éventuel arrangement, c’est l’idée qu’un fauteuil de patron, en partie contrôlé par l’État, puisse être une monnaie d’échange pour un renoncement ou un ralliement politique.
À moins qu’on ne veuille ainsi économiser un scrutin accaparant et coûteux. Recrutons François Hollande à Air France, François Bayrou au Louvre, Eva Joly à Areva, Marine Le Pen à la Française des Jeux et Dominique de Villepin à la Comédie française. Et le combat cessera faute de combattants.
Tarpéienne
C’était écrit, annoncé et déjà commenté: Dominique Strauss-Kahn et Nicolas Sarkozy allaient se retrouver fin avril sur un plateau de télévision, pour un duel devant décider du prochain président de la République... Le duel n’aura pas lieu. Tous deux seront cette semaine à Lille, mais sans se croiser : Nicolas Sarkozy y vient jeudi soir en meeting, DSK y sera peut-être encore, mais en garde en vue. Car il est entendu ce matin par un juge, menacé d’être poursuivi pour complicité de proxénétisme et abus de biens sociaux. Ainsi roulent les destins, qui nous font souvenir que la roche Tarpéienne est proche du Capitole, les pensionnaires de Dédé la Saumure pas très éloignées des experts du FMI, et la chute toujours proche de la gloire. Nous aimerions l’oublier, parce que ces apparentements font désordre. Mais comme la vie serait ennuyeuse, si elle devait ressembler à un commentaire de journaliste.
Tragédie grecque
Le scénario catastrophe de la banqueroute et de la sortie de l'euro semblait une nouvelle fois pouvoir être évité, hier soir, à Athènes. La perfusion massive de 130 milliards d'euros d'aides communautaires et internationales, conjuguée à l'effacement d'au moins 100 milliards de dettes bancaires, conforte l'espoir d'une solide rémission du grand malade grec.
On voudrait même croire aux prémisses d'une guérison définitive. On en est, malheureusement, assez loin. La lucidité impose de regarder les faits sans faux-fuyant. La bonne volonté impuissante du Premier ministre Papademos et de ses alliés ne permet pas de voir le ciel se dégager pour une économie grecque en récession depuis quatre ans. Pour une population minée par un chômage de 40 % chez les jeunes, et par des salaires qui ont chuté de 30 % chez les fonctionnaires en deux ans.
Faut-il le rappeler ? La Grèce sort déjà d'un plan d'aide colossal de 110 milliards qui s'est soldé par un bilan plus que mitigé. L'État n'a pas su (pu) restaurer sa légitimité pour prélever l'impôt, amorcer les réformes cruciales exigées (refonte de l'administration, privatisations) et faire partager équitablement le fardeau de la cure d'austérité. Contrairement au Portugal et à l'Irlande qui ont su amorcer collectivement les efforts nécessaires et peuvent espérer s'en tirer, raisonnablement.
Faut-il le souligner ? Même si elle fonctionnait à 100 % - hypothèse d'école - l'aide proposée par les créanciers d'Athènes contre l'administration d'un traitement de choc serait somme toute insuffisante. Elle ne ferait passer le niveau d'endettement que de 160 % de la richesse produite (PIB) à 120 % ! On serait encore très loin du rétablissement.
Faut-il le remarquer ? L'acceptabilité sociale de l'austérité imposée au peuple grec - imaginez une baisse brutale des salaires de 20 % en France ! - touche ses limites. Et pour cause. Au terme de deux ans de purge, la Grèce n'a jamais été aussi cruellement inégalitaire, écartelée entre ses « riches », échappant à l'impôt ou impunément « planqués » à l'étranger, et ses classes populaires, fonctionnaires en tête, apparemment les seules taillables et corvéables.
En fait, la Grèce se trouve coincée dans une impasse tragique, entre deux choix impossibles. Le choix de la restructuration drastique qu'essaie d'impulser la communauté internationale sous l'égide de la très rigoriste Allemagne se heurte au mur de l'histoire et de la culture grecque, à ses comportements et à ses intérêts. En l'état, il s'avère irréaliste. L'alternative de la sortie de l'euro, portée par l'extrême droite comme l'extrême gauche, est encore moins réjouissante. Elle signerait le retour à une monnaie nationale dévaluée et à un appauvrissement généralisé. Elle casserait pour de bon une économie déjà chancelante. Les projections économiques d'un tel scénario ne laissent aucun doute. La production de richesse pourrait être amputée de moitié dans l'année de sortie de l'euro !
Accepter dans la douleur un plan au-dessus de ses forces ou prendre une échappatoire suicidaire, le dilemme paraît intenable. Alors ? Les Grecs essaient d'y échapper en prenant de plus en plus la tangente de l'économie grise, clandestine, non déclarée. C'est-à-dire en faisant exactement le contraire de ce que veulent ses tuteurs monétaires... et de ce qu'il faudrait faire pour réintégrer la classe européenne !
Paul Burel
As Greece stares into the abyss, Europe must choose
The way out of the financial crisis faced by Greeks requires a choice about what kind of Europe we want
Six inches from the riot policeman's shield outside the Greek parliament last Friday, a tall, pale boy was shouting at a man who could have been his uncle: "It's your generation that brought us to this point, but it's mine that has to pay for it. You have to take responsibility for what's happening here." Across the road, a middle-aged woman roared at the line of cops: "Traitors! Collaborators! We're Greeks. You're beating up your mothers and your sisters." Another, her head wrapped in a pink scarf, screamed at the parliament: "They've drunk our blood, we don't have anything to eat. They've sold us to the Germans. My child owes money, they're about to take her house. I hope they all get cancer." All of them were in an ecstasy of rage, reluctant to go home and lose that temporary release.
As I write, the Greek parliament is preparing to vote on the bond swap agreed with the country's private creditors and on the new deal with the EU and the IMF, which would lend the country €130bn in exchange for cuts that slice the last little bits of flesh from the economy – including a 22% reduction in the minimum wage and 150,000 public sector job losses by 2016. Without the deal, Greece will default by March; with it, the country will sink into a still deeper depression, with no end in sight. In a televised effort to rally the country behind yet more austerity, the finance minister, Evangelos Venizelos, laid out a blunt choice between sacrifices and worse sacrifices, humiliation and still deeper humiliation, if Greece should default and leave the eurozone.
It's not clear, though, how many people were listening. Exhausted by interminable cliffhangers and last chances, many Greeks have turned off the terrorist soap opera of the TV news and are trying as best they can to get on with their lives. The misery to which Athenians have been reduced – the soup kitchens, the homelessness, the depression and suicides, the rising tide of poverty that's swallowing the middle class – is now a staple of the features pages. It's harder to describe the sense of pervasive breakdown that gets under the skin; the feeling of disorientation and lost identity that comes with the collapse of the assumptions people lived by and the stories they told themselves about the future and the past.
When you ask people on the street if they would rather Greece went bankrupt than submit to further measures, many now point out that it is already bankrupt, that public sector workers have gone unpaid for months, that hospitals have no supplies, that the poor are being wrung dry in order to pay the banks. "Let's get it over with," a woman who works for the education ministry said to me. "Then we'd know we only had €250 a month and we could start again. This is not the people's Europe we dreamed of." The fact that Poul Thomsen of the IMF, the eurozone's poster boy Mario Monti, the markets and countless economists agree that more austerity will deepen Greece's depression without making the debt sustainable adds weight to her argument. The icy reception given last week to the Greek delegation in Brussels confirms the sense that its lenders are ready to end the relationship.
Why, then, have large sections of the Greek elite clung so hard to the fantasy that a new loan deal can "save" the country? The obvious answer is that default is a black hole and an enormous risk. No one can predict what suffering a default might bring. Another is that the current crop of politicians built their careers in the system that is now unravelling, based on oligarchies, clientelism and corruption; they've proved unwilling to make the reforms that might, in a different global climate, have revived both Greece's economy and its democracy.
The deeper reasons, though, may be cultural and political. The crisis has intensified old splits in Greek society. You can see it in the polls, which show support ebbing from the centre to the edges of the political spectrum, and especially to the fragmented left. You can see it, too, in the historical parallels people reach for in a vain attempt to name this unprecedented nightmare. Protesters chant slogans from the dictatorship of 1967 to 1974, comparing the deal's Greek enforcers with the CIA-backed junta. Both left and right talk about a new German occupation – an understandable reference given that Germany is calling the shots and that Greeks last queued at soup kitchens in the 1940s, but one that can edge into racism or crude exaggeration, as in a recent headline that read simply "Dachau". Both those tropes call up the silent ghosts of the Greek civil war, which launched the cold war in Europe and outlawed the Greek left for the next 30 years. In this story, the west plays the part of the repressive imperial interloper.
For the liberal centre, this is populist anathema. To them Europe is still Greece's heartland and its hope, the only guarantor of liberal capitalism, human rights and democracy. A few weeks ago a distinguished law professor compared the prospect of default to the Asia Minor disaster of 1922, which brought a million-and-a-half refugees into Greece and convulsed the state, and went so far as to suggest that leaving the eurozone would end the 200-year cycle of the Greek Enlightenment.
The trouble with historical metaphors is that they can obscure the present: what's really at stake here is not Greece's identity but Europe's. All eyes are fixed on Athens, but the way out of the crisis requires a choice about what kind of Europe we want. The one we have now, with its deep structural inequalities and its rigid adherence to a failed economic ideology, protects neither democracy nor human rights. Stiff-necked and punitive, it prefers to eat its children.
Vendredi 10 février, devant le Parlement, à Athènes. Un grand jeune homme pâle hurle au visage d’un policier antiémeute qui pourrait être son oncle : “C’est votre génération qui nous a amenés là, mais c’est la mienne qui doit payer. C’est à vous d’assumer la responsabilité de ce qui se passe.” De l’autre côté de la rue, une femme rugit à l’adresse du cordon de flics : “Traîtres ! Collaborateurs ! Vous tapez sur vos mères et vos sœurs.” Une autre s’époumone en direction du Parlement : “Ils ont bu notre sang, nous n’avons rien à manger. Ils nous ont vendus aux Allemands. Ma fille a des dettes, ils vont lui prendre sa maison. J’espère qu’ils auront tous le cancer.”
La misère à laquelle sont réduits les Athéniens – la soupe populaire, les sans-abri, les dépressions, les suicides, la vague de pauvreté qui engloutit les classes moyennes – est largement décrite dans les médias. En revanche, il est bien plus difficile de dépeindre la désorientation, l’impression de perte d’identité née de l’effondrement des certitudes dans lesquelles les Grecs vivaient.
Quand on demande aux gens dans la rue s’ils préféreraient que la Grèce soit en faillite plutôt que d’adopter de nouvelles mesures d’austérité, beaucoup soulignent que le pays est déjà en faillite, que les salariés du secteur public ne sont plus payés depuis des mois, que les hôpitaux n’ont plus de médicaments, que les pauvres sont pressurés afin de rembourser les banques. “Finissons-en, me déclare une employée du ministère de l’Education. Comme ça, on saura que l’on n’a que 250 euros par mois, et on pourra repartir. Ce n’est pas l’Europe des peuples dont nous rêvions.” Un argument de poids, d’autant que de nombreux économistes reconnaissent que davantage d’austérité ne fera qu’aggraver la dépression grecque sans permettre de gérer la dette.
Dans ce cas, pourquoi tant de membres de l’élite hellène s’accrochent-ils au fantasme d’un nouvel accord sur un prêt susceptible de “sauver” le pays ? Parce que la faillite est un trou noir, un risque énorme. Mais également parce que la classe politique a bâti sa carrière sur un système qui se délite, un système fondé sur l’oligarchie, le clientélisme et la corruption. Elle a refusé d’appliquer les réformes qui, dans un climat mondial différent, auraient pu ressusciter à la fois l’économie de la Grèce et sa démocratie.
Mais les raisons profondes sont sans doute d’ordre culturel et politique. La crise a creusé de vieux clivages. On le constate dans les sondages, qui montrent un glissement de l’opinion, du centre vers les extrêmes de l’échiquier politique, en particulier vers une gauche fragmentée. On peut le voir également dans les parallèles historiques qu’établissent les Grecs dans le vain espoir de donner un nom à ce cauchemar sans précédent. Les manifestants reprennent les slogans de l’époque de la dictature, entre 1967 et 1974, comparant le gouvernement chargé d’appliquer l’accord à la junte soutenue par la CIA.
Tant à gauche qu’à droite, on parle d’une nouvelle occupation allemande – ce qui est compréhensible : l’Allemagne dicte sa loi, et les Grecs n’avaient pas fait la queue à la soupe populaire depuis les années 1940. Néanmoins, ces références ont des relents de racisme, comme l’a illustré récemment la une d’un journal barrée d’un seul mot : “Dachau”. Dans cette rhétorique, qui invoque le spectre de la guerre civile, l’Occident joue le rôle de la puissance impériale répressive.
Aux yeux des centristes libéraux, c’est une abomination populiste. Pour eux, la Grèce appartient toujours à l’Europe. Son salut passe par l’Europe, garante du capitalisme libéral, des droits de l’homme et de la démocratie.
L’ennui avec les métaphores historiques, c’est qu’elles occultent le présent. Le véritable enjeu à l’heure actuelle, ce n’est pas l’identité de la Grèce mais celle de l’Europe. Tous les regards sont tournés vers Athènes, mais pour sortir de la crise, il faudrait choisir le genre d’Europe que nous voulons. Celle que nous avons actuellement, avec ses profondes inégalités structurelles et son adhésion rigide à une idéologie économique qui a montré ses limites, ne constitue un rempart ni pour la démocratie ni pour les droits de l’homme. Intransigeante et répressive, l’Europe préfère dévorer ses enfants.
As I write, the Greek parliament is preparing to vote on the bond swap agreed with the country's private creditors and on the new deal with the EU and the IMF, which would lend the country €130bn in exchange for cuts that slice the last little bits of flesh from the economy – including a 22% reduction in the minimum wage and 150,000 public sector job losses by 2016. Without the deal, Greece will default by March; with it, the country will sink into a still deeper depression, with no end in sight. In a televised effort to rally the country behind yet more austerity, the finance minister, Evangelos Venizelos, laid out a blunt choice between sacrifices and worse sacrifices, humiliation and still deeper humiliation, if Greece should default and leave the eurozone.
It's not clear, though, how many people were listening. Exhausted by interminable cliffhangers and last chances, many Greeks have turned off the terrorist soap opera of the TV news and are trying as best they can to get on with their lives. The misery to which Athenians have been reduced – the soup kitchens, the homelessness, the depression and suicides, the rising tide of poverty that's swallowing the middle class – is now a staple of the features pages. It's harder to describe the sense of pervasive breakdown that gets under the skin; the feeling of disorientation and lost identity that comes with the collapse of the assumptions people lived by and the stories they told themselves about the future and the past.
When you ask people on the street if they would rather Greece went bankrupt than submit to further measures, many now point out that it is already bankrupt, that public sector workers have gone unpaid for months, that hospitals have no supplies, that the poor are being wrung dry in order to pay the banks. "Let's get it over with," a woman who works for the education ministry said to me. "Then we'd know we only had €250 a month and we could start again. This is not the people's Europe we dreamed of." The fact that Poul Thomsen of the IMF, the eurozone's poster boy Mario Monti, the markets and countless economists agree that more austerity will deepen Greece's depression without making the debt sustainable adds weight to her argument. The icy reception given last week to the Greek delegation in Brussels confirms the sense that its lenders are ready to end the relationship.
Why, then, have large sections of the Greek elite clung so hard to the fantasy that a new loan deal can "save" the country? The obvious answer is that default is a black hole and an enormous risk. No one can predict what suffering a default might bring. Another is that the current crop of politicians built their careers in the system that is now unravelling, based on oligarchies, clientelism and corruption; they've proved unwilling to make the reforms that might, in a different global climate, have revived both Greece's economy and its democracy.
The deeper reasons, though, may be cultural and political. The crisis has intensified old splits in Greek society. You can see it in the polls, which show support ebbing from the centre to the edges of the political spectrum, and especially to the fragmented left. You can see it, too, in the historical parallels people reach for in a vain attempt to name this unprecedented nightmare. Protesters chant slogans from the dictatorship of 1967 to 1974, comparing the deal's Greek enforcers with the CIA-backed junta. Both left and right talk about a new German occupation – an understandable reference given that Germany is calling the shots and that Greeks last queued at soup kitchens in the 1940s, but one that can edge into racism or crude exaggeration, as in a recent headline that read simply "Dachau". Both those tropes call up the silent ghosts of the Greek civil war, which launched the cold war in Europe and outlawed the Greek left for the next 30 years. In this story, the west plays the part of the repressive imperial interloper.
For the liberal centre, this is populist anathema. To them Europe is still Greece's heartland and its hope, the only guarantor of liberal capitalism, human rights and democracy. A few weeks ago a distinguished law professor compared the prospect of default to the Asia Minor disaster of 1922, which brought a million-and-a-half refugees into Greece and convulsed the state, and went so far as to suggest that leaving the eurozone would end the 200-year cycle of the Greek Enlightenment.
The trouble with historical metaphors is that they can obscure the present: what's really at stake here is not Greece's identity but Europe's. All eyes are fixed on Athens, but the way out of the crisis requires a choice about what kind of Europe we want. The one we have now, with its deep structural inequalities and its rigid adherence to a failed economic ideology, protects neither democracy nor human rights. Stiff-necked and punitive, it prefers to eat its children.
Le spectre de la guerre civile
Les émeutes du 12 février attestent la révolte de beaucoup de Grecs contre une Union européenne impérialiste et répressive.
La misère à laquelle sont réduits les Athéniens – la soupe populaire, les sans-abri, les dépressions, les suicides, la vague de pauvreté qui engloutit les classes moyennes – est largement décrite dans les médias. En revanche, il est bien plus difficile de dépeindre la désorientation, l’impression de perte d’identité née de l’effondrement des certitudes dans lesquelles les Grecs vivaient.
Quand on demande aux gens dans la rue s’ils préféreraient que la Grèce soit en faillite plutôt que d’adopter de nouvelles mesures d’austérité, beaucoup soulignent que le pays est déjà en faillite, que les salariés du secteur public ne sont plus payés depuis des mois, que les hôpitaux n’ont plus de médicaments, que les pauvres sont pressurés afin de rembourser les banques. “Finissons-en, me déclare une employée du ministère de l’Education. Comme ça, on saura que l’on n’a que 250 euros par mois, et on pourra repartir. Ce n’est pas l’Europe des peuples dont nous rêvions.” Un argument de poids, d’autant que de nombreux économistes reconnaissent que davantage d’austérité ne fera qu’aggraver la dépression grecque sans permettre de gérer la dette.
Dans ce cas, pourquoi tant de membres de l’élite hellène s’accrochent-ils au fantasme d’un nouvel accord sur un prêt susceptible de “sauver” le pays ? Parce que la faillite est un trou noir, un risque énorme. Mais également parce que la classe politique a bâti sa carrière sur un système qui se délite, un système fondé sur l’oligarchie, le clientélisme et la corruption. Elle a refusé d’appliquer les réformes qui, dans un climat mondial différent, auraient pu ressusciter à la fois l’économie de la Grèce et sa démocratie.
Mais les raisons profondes sont sans doute d’ordre culturel et politique. La crise a creusé de vieux clivages. On le constate dans les sondages, qui montrent un glissement de l’opinion, du centre vers les extrêmes de l’échiquier politique, en particulier vers une gauche fragmentée. On peut le voir également dans les parallèles historiques qu’établissent les Grecs dans le vain espoir de donner un nom à ce cauchemar sans précédent. Les manifestants reprennent les slogans de l’époque de la dictature, entre 1967 et 1974, comparant le gouvernement chargé d’appliquer l’accord à la junte soutenue par la CIA.
Tant à gauche qu’à droite, on parle d’une nouvelle occupation allemande – ce qui est compréhensible : l’Allemagne dicte sa loi, et les Grecs n’avaient pas fait la queue à la soupe populaire depuis les années 1940. Néanmoins, ces références ont des relents de racisme, comme l’a illustré récemment la une d’un journal barrée d’un seul mot : “Dachau”. Dans cette rhétorique, qui invoque le spectre de la guerre civile, l’Occident joue le rôle de la puissance impériale répressive.
Aux yeux des centristes libéraux, c’est une abomination populiste. Pour eux, la Grèce appartient toujours à l’Europe. Son salut passe par l’Europe, garante du capitalisme libéral, des droits de l’homme et de la démocratie.
L’ennui avec les métaphores historiques, c’est qu’elles occultent le présent. Le véritable enjeu à l’heure actuelle, ce n’est pas l’identité de la Grèce mais celle de l’Europe. Tous les regards sont tournés vers Athènes, mais pour sortir de la crise, il faudrait choisir le genre d’Europe que nous voulons. Celle que nous avons actuellement, avec ses profondes inégalités structurelles et son adhésion rigide à une idéologie économique qui a montré ses limites, ne constitue un rempart ni pour la démocratie ni pour les droits de l’homme. Intransigeante et répressive, l’Europe préfère dévorer ses enfants.
Cohn-Bendit: "sur la Grèce, la gauche française est hypocrite"
Le Parlement français va ratifier, ce mardi, le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES), doté de 500 milliards d’euros, qui va prendre, en juillet prochain, la succession du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Mais, le Parti socialiste, le Front de gauche et les Ecologistes sont divisés sur ce texte : en effet, il prévoit que seuls les pays qui ratifieront le traité sur « la stabilité, la coordination et la gouvernance économique de l’union économique et budgétaire », qui rend notamment obligatoire l’intégration de la règle d’or budgétaire dans les constitutions nationales, pourront bénéficier du MES. Or, François Hollande, le candidat socialiste à la présidentielle, a annoncé son intention de le renégocier s’il est élu, car il estime qu’il fait l’impasse sur la solidarité financière et la croissance économique.
Si le Front de gauche votera contre la ratification du MES, le PS a décidé de s’abstenir tout comme il l’avait fait, le 7 septembre 2011, sur l’extension des moyens du FESF. « Nous contestons le lien entre le MES et le traité budgétaire », m'a expliqué Harlem Désir, député européen et numéro 2 du PS. Une position qui s’explique aussi par ses divisions internes, l’aile gauche du parti étant partisan d’un vote négatif... « Mais nous sommes très clairs, nous sommes pour le MES », affirme Désir. Cécile Duflot, la patronne des Verts, elle, milite plutôt pour « un refus de participer au vote d’un projet de loi qui imbrique totalement le MES et le traité budgétaire. Si on vote pour en affirmant qu’on veut renégocier le traité budgétaire, notre position deviendra inaudible, car trop subtile », m'a-t-elle dit. Daniel Cohn-Bendit, coprésident du groupe Vert au Parlement européen, conteste ce refus de voter en faveur du MES.
Que reprochez-vous à la gauche française dans cette affaire ?
Il y a une hypocrisie dans la position de la gauche française, Vert y compris. Le Mécanisme européen de stabilité est l’une des rares choses positives qu’on a pu arracher au Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement et surtout à l’Allemagne : il instaure une solidarité financière entre les pays de la zone euro dont on a besoin si l’on ne veut pas laisser sombrer le Portugal, l’Italie, l’Espagne ou la Grèce. Surtout, le MES est la porte d’entrée vers les obligations européennes. Si demain, la gauche parvient au pouvoir, elle sera très contente d’avoir un MES à sa disposition pour organiser la solidarité. Le refuser, c’est injurier l’avenir.
Comment expliquez-vous la position du PS et des Verts ?
Son problème, c’est le lien qui est fait avec le traité sur « la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire » que François Hollande veut renégocier. En votant le MES, la gauche estime qu’elle se lie les mains, ce qui est faux. D’une part, il faut avoir conscience qu’Angela Merkel n’a accepté de payer pour le MES qu’à la condition qu’on adopte le traité d’union budgétaire. D’autre part, Hollande, s’il est élu, pourra conditionner la ratification du traité budgétaire à l’adoption d’un second volet renforçant la solidarité financière et d’un plan d’investissement destiné à relancer l’économie européenne. La chancelière allemande sera alors dans une position très difficile, car son traité d’union budgétaire n’a de sens que s’il est ratifié par la France. Elle devra donc négocier avec la France, d’autant que cette dernière sera soutenue par une majorité du conseil européen et du Parlement européen, libéraux et conservateurs compris.
La gauche française n’aurait-elle pas un problème avec la culture de stabilité allemande ?
Je ne le crois pas puisque François Hollande veut rétablir l’équilibre budgétaire dès 2013. Il est nécessaire que tous nos pays purgent leurs comptes publics parce qu’on ne pas continuer à endetter les générations futures. De toute façon, ce débat est derrière nous : le « six pack » qui réforme le pacte de stabilité et la gouvernance économique de la zone euro a été adopté l’année dernière. Le traité d’union budgétaire ne change pas grand-chose de ce point de vue, en dehors de la règle d’or qui n’est que la transcription au niveau national de ce qui existe au niveau européen. La réalité de l’Europe d’aujourd’hui c’est la culture de stabilité pour tous. Le débat ne porte donc pas sur la stabilité dont nous avons besoin, mais sur la façon d’organiser la solidarité.
Le Parlement européen a dénoncé mercredi dernier la dureté des conditions imposées à la Grèce.
On voit aujourd’hui que les politiques d’austérité imposées à la Grèce dans une période de crise économique et politique ne peuvent pas réussir. On a l’impression que la zone euro veut prouver que les Grecs sont incapables de réussir et que ce sont eux qui veulent la rupture. C’est irresponsable alors que les citoyens grecs restent attacher à l’euro, comme le montrent tous les sondages : une enquête parue hier dans le quotidien Ethnos montre que 76 % des Grecs, contre 19,6 %, veulent rester dans l’euro et que 82 % d’entre eux imputent la responsabilité de la crise à leurs politiciens et non à l’Europe ou aux marchés. Une telle maturité est incroyable ! On ne peut pas les laisser tomber.
Le gouvernement allemand est l’un des plus durs avec la Grèce.
C’est une attitude électoraliste : si en France il est porteur de dénoncer la rigueur ou la volonté de domination allemande, en Allemagne il est bien vu de dénoncer les menteurs et les fraudeurs grecs. Ce qui montre que tous ces gens ont une nano conscience européenne. Surtout, l’opinion allemande a la mémoire courte : en voulant absolument punir les fautes grecques, elle oublie un peu vite que le monde a rapidement pardonné les atrocités commises par les Nazis. Pourtant, il existait, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un plan américain, le plan Morgenthau, visant à démanteler l’Allemagne : il a finalement été abandonné au profit du plan Marshall et de l’annulation de la dette de guerre qui a permis à mon pays de se redresser rapidement. Aujourd’hui, la question est la même: veut-on anéantir la Grèce ou la relancer ?
Que faut-il faire pour aider la Grèce ?
La première chose à faire, c’est de lever le secret bancaire dans l’Union et en Suisse. On estime à 200 milliards d’euros l’argent placé sur des comptes à l’étranger par les Grecs. Il faut s’assurer qu’il s’agit d’argent légal. Ensuite, il faut geler les avoirs des armateurs grecs qui ne payent pas d’impôts, réduire le budget militaire non pas de 1,5 % par an, mais de 8, 9, 10 %, annuler tous les contrats d’armement, élaborer un plan d’investissement dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie afin de réduire la dépendance de la Grèce vis-à-vis de l’extérieur. Enfin, il faut une réforme de l’État pilotée par les Grecs et les Européens.
Ne faudrait-il pas annuler aussi tout ou partie de la dette grecque détenue par les États et la BCE ?
J’ai tendance à pousser dans cette direction. Mais il faut une forte conditionnalité : si rien ne change en Grèce, c’est de mettre de l’eau dans une passoire. Il faut des réformes économiques et politiques réelles avant d’annuler la dette.
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