Importance de l’emplacement des adjectifs, c’est bien le poids économique de la culture en France qui a donc été laborieusement évalué, et non le poids de la culture économique en France, ce qui aurait été très rapide et aurait abouti à un chiffre beaucoup beaucoup plus petit. Et finalement, publié vendredi dernier, ce document montre, après le calcul précis du Bulotron 2000 du ministère de la Culture et une confirmation du Pipovac 5000 du ministère de l’Économie, que la valeur ajoutée des activités culturelles en France s’élevait en 2011 à 57,8 milliards d’euros.
Voili, voilà, c’est dit, et il faut que cela se sache. En avant donc pour une brouettée d’articles plus ou moins bien troussés pour nous expliquer que la culture, en France, c’est du sérieux qu’on réussit même à mesurer, au laser s’il le faut.
Et pourquoi diable faut-il subitement calculer combien rapporterait la culture en France, aussi vague ce terme soit-il et aussi vaste puisse être l’étendue de ce qu’on colle sous ce dernier ? Parce qu’à mesure que les finances du pays s’appauvrissent, la levée des impôts correspondants passe de plus en plus mal auprès des contribuables dont les fins de mois deviennent assez âpres l’hiver aidant. Et comme, question coupes budgétaires, tous ces contribuables attendent encore tous qu’un début, même timide, d’efforts soit fait, le gouvernement sent qu’il va devoir justifier ses postes de dépenses un peu plus que les années précédentes.
Moyennant quoi, on a le droit aux délicieux articles de la propagande officielle. Celui duMonde, pas du tout caricatural pour un rond de saucisson, se permet même le luxe de débuter son brossage du poil de contribuable dès les premiers paragraphes, qui déboulent à temps pour justifier un titre alléchant, « L’État dépense plus de 13 milliards pour la culture » :
Non, la culture n’est pas le domaine de saltimbanques gourmands en subventions que l’on décrit parfois. C’est un secteur productif, crucial pour la « marque France ».
Ouf, heureusement que le gouvernement s’emploie donc à claquer 13 milliards là-dedans, nous avons failli croire que c’était en œuvres d’art douteuses, en répression des petites internautes, en frasques télévisuelles amusantes, ou que sais-je encore. En réalité, le message est clair : ici, d’un côté du goret, on pousse 13 milliards d’argent public, et de l’autre, là, il ressort la fameuse culture en question. Pour le reste, le goret fait du lard à hauteur de 57,8 milliards. Simple, non ?
Et il va de soi que ces 13 milliards injectés sont absolument indispensables puisque sans cela, la culture disparaîtrait rapidement du pays, comme le montrent tous ces pays qui ne subventionnent pas leur culture (ou pas autant que la France, disons) et qui ont disparu de la scène culturelle internationale comme – par exemple – tous les autres pays européens qui dépensent tous moins que nous pour ce ministère (les cons, s’ils savaient que c’est tout simplement grâce à ça qu’on rayonne tant dans le monde comme le prouve la domination des films de Pariwood !).
Mais plus sérieusement, même l’article du Monde est obligé de convenir que le rapport évoqué par le ministre Moscovici et l’onomatopée Orélifilipéti tient surtout de l’auto-justification : c’est un exercice avant tout politique pour faire passer l’idée qu’on va devoir continuer à abonder largement à ces puits sans fonds, d’une part parce que, mon bon monsieur, c’est de la créativité et donc de la richesse qui sont ainsi créées (etBastiat avec sa vitre cassée peut aller se rhabiller, le sot) et d’autre part, pragmatiquement, si on fait même semblant de vaguement frémir sur le robinet à subvention, les intermittents de l’emploi et les cultureux de combat déboulent dans vos journaux, dans votre télé, sur vos plateaux de théâtre ou dans vos salles d’animations communales en plein spectacle des CM2 pour pleurer sur le sort ignoble qu’on leur fait subir. Politiquement, c’est très risqué pour la majorité, surtout à quelques mois d’élections, d’autant qu’elles risquent d’être un naufrage amoindri seulement par la médiocrité consternante d’une opposition à l’intermittence intellectuelle patente.
En pratique, tout est donc fait pour polir et redorer le blason du ministère de la Culturepassablement amoché les mois passés grâce aux déclarations pitoyables de sa minustre, et montrer que ces tombereaux d’argent public ne servent pas à rien, et que même s’ils sont prélevés sur un peuple qui aurait eu nettement mieux à faire avec que des crottes bigarrées en PVC de six mètres de haut sur une place de gare perdue, au moins, ils génèrent de l’activité, de l’agitation, des mouvements, des spasmes. Et dans un pays qui se rigidifie tous les jours un peu plus, ces petits tressautements sont, quelque part, un peu rassurants.
Mais surtout, et c’est de looooooin le plus important pour nos petits commis étatiques, toute cette manœuvre médiatico-politicienne est une excuse plus ou moins solide pour aller tabasser ouvertement Apple, Google, Amazon, Steam et autres géants de l’internet parce que, d’après ce même rapport – comme c’est pratique – cette richesse culturelle ne retrouve pas sa part d’abondement chez ces géants-là. Ils échapperaient à la juste ponction, les vilains !
Eh oui : comme le notent les tâcherons inspecteurs qui ont pondu le fier rapport, avec tout ce numérique partout qui envahit l’espace culturel des gens, les chaînes traditionnelles de création de valeur sont toutes bouleversifiées. C’est attendrissant et cela se lit ainsi :
(…) avec la généralisation des jeux dématérialisés, les chaînes de vente de jeux vidéo physiques doivent réinventer leur modèle économique ; avec la consommation en ligne de programmes audiovisuels ou cinématographiques, les chaînes de télévision sont susceptibles de faire face à une baisse potentielle de leurs recettes publicitaires. (…) dès lors que les créateurs de séries télévisées ou de jeux vidéo peuvent s’adresser directement à leurs consommateurs via des plateformes numériques (Netflix, Facebook, AppStore), la définition d’un nouveau modèle économique (…) leur permettrait de s’affranchir du financement par les « éditeurs » (chaînes de télévision, éditeurs de jeux vidéo).
Et ça, voyez-vous mes petits amis, c’est über-mal parce qu’ainsi, Apple est devenu le plus grand fournisseur de jeux vidéos, alors qu’ils n’ont pas de boutiques partout et qu’ils ne vendent pas de jolis boîtiers physiques avec plein de TVA à tous les étages. Zut et flûte. Autrement dit, ce qui avant était par nature fort concentré dans certains réseaux et certains points de passage obligés, facilement taxables par l’État, se retrouve maintenant disséminé un peu partout, et… c’est un casse-tête pour alpaguer de la taxe là-dessus, ma brave dame.
Ne vous y trompez pas : nos socialistes trouveront un moyen (mauvais mais baste, passons) pour taxer aussi ces nouveaux échanges. L’État est aux abois et ne peut plus rien laisser passer. Mais si ce rapport, ces recommandations et ces nouveaux impôts montrent une chose, c’est que tous les jours, de plus en plus de domaines échappent maintenant aux doigts rapaces de l’État.
Et pas de doute : ça rend nerveux les minustres.