mardi 27 mai 2014
François Hollande ou l'ère du vide
Dans le fond, il y avait, une belle bibliothèque avec des livres reliés. Sans doute Démosthène, Cicéron, l'Histoire de France. Deux drapeaux, l'un tricolore, l'autre étoilé. Un costume, une cravate et un monsieur qui comme dans les vieilles foires a passé sa tête pour se fondre dans le décor. Il est resté pendant cinq minutes, comme ces enfants qui s'amusent à mimer les soldats, les professeurs ou les rois. Il a prononcé des mots à la file en agitant ses mains, en prenant des airs inspirés, convaincus, soucieux. Il n'avait pas beaucoup de temps, on lui a demandé de parler vite. Ce qu'il a fait. Au début, il s'est trompé et a confondu européen et eurosceptique, ensuite il s'est efforcé de faire des phrases comme Nicolas Sarkozy: la France, elle veut que…L'Europe, elle est…Appuyer sur le pronom personnel, il paraît que ça fait peuple. Qu'un écrivain qui s'appelle Céline écrivait comme ça. Il a dit des choses. Il n'a pas dit grand-chose. Parfois il avalait ses mots, d'autres fois il mettait l'accent tonique sur la mauvaise syllabe, comme s'il lisait en phonétique.
Sans doute était-il un peu fatigué? La veille, il avait fait dix heures de voiture, en respectant les limites de vitesse, les pauses qui s'imposent toutes les deux heures. Il avait même récupéré un vieux copain de régiment sur une aire d'autoroute pour évoquer leurs souvenirs dans les bouchons qui commencent avant le péage de Saint Arnoult. Avaient-ils pris une crème brûlée au Bœuf jardinier ? Toute la journée il avait téléphoné pour savoir s'il devait parler ou se taire. Il avait finalement choisi d'affronter les choses et de regarder les Français dans les yeux. Il a dû perdre l'habitude car il avait l'air comme étranger à lui-même. Un peu comme Jacques Chirac à la fin de son deuxième mandat. Il y avait des livres, des drapeaux, un costume, mais ce ne pouvait pas être l'Elysée, l'héritier de Louis XIV, le maître de la cinquième puissance, le chef des armées. Et puis d'un coup l'image a disparu et David Pujadas a affirmé que le chef de l'Etat avait fini son allocution. C'était donc lui le président soutenu par 5, 7% des inscrits sur les listes électorales! Une tête, une cravate, des lunettes, quelques mots et puis rien.
Éric Zemmour : "Il y a du Marchais dans Hollande"
Lorsque le secrétaire général du Parti communiste Georges Marchais était gêné par une question, il avait le don rare de trouver une réponse qui n'avait aucun rapport avec la question, rappelle Éric Zemmour. À son interlocuteur qui osait lui faire remarquer, il lâchait avec aplomb : "Vous avez vos questions, j'ai mes réponses".
Le peuple a ses questions, le pouvoir a ses réponses
Il y a du Marchais dans Hollande par rtl-fr
Il y a du Marchais dans Hollande quand ce dernier répond "non" au peuple français. On ne change pas une équipe qui perd, analyse Éric Zemmour. Le peuple a ses questions, et le pouvoir a ses réponses. En baissant les impôts des plus modestes, le Premier ministre Manuel Valls fait semblant de faire un geste de gauche.
Si la gauche est coincée, la droite ne l'est pas moins. "Selon le modèle de Georges Marchais, dès dimanche soir Alain Juppé a donné sa réponse à la déflagration électorale : le retour de l'UDI dans le giron de l'UMP. Une réponse arithmétique à une question politique".
Si la gauche est coincée, la droite ne l'est pas moins. "Selon le modèle de Georges Marchais, dès dimanche soir Alain Juppé a donné sa réponse à la déflagration électorale : le retour de l'UDI dans le giron de l'UMP. Une réponse arithmétique à une question politique".
François Hollande n'est plus protégé que par les institutions
François Hollande n'est plus protégé que par les institutions
François Hollande n'est plus protégé que par... par rtl-fr
L'épuisement du neurone
L'épuisement du neurone
Quel week-end ! Mis à part les tragédies imprévisibles, la liste des évènements attendus était ces deux derniers jours impressionnante. Ceux qui s’intéressent à l’actualité via la télévision ne savaient plus où donner de l’œil. A peine en avaient-ils terminé samedi avec la coupe d’Europe de rugby qu’ils devaient suivre la cérémonie de clôture du festival de Cannes, regarder la finale madrilène de la Ligue des Champions en foot sans négliger pour autant le voyage historique du Pape. Le lendemain, la F1 se déchainait à Monaco et Roland-Garros commençait sa quinzaine. Il fallait aussi fêter sa maman. Bref, le cerveau n’en pouvait plus et le neurone battait de l’aile. Oui, quel week-end. Pourtant j’ai la sensation désagréable d’avoir oublié quelque chose. Mais quoi donc ?
Souci de justice
Souci de justice
La politique est un art compliqué à laisser aux spécialistes. Sinon, on n’y comprend vite rien. Ainsi, en écoutant le premier ministre confirmer ses choix fiscaux, la conclusion s’imposait d’elle-même : plus le Front national monte, plus les impôts baissent. Déjà, il y a quelques temps, un phénomène encore plus étonnant s’était produit : le gouvernement, dans sa grande sagesse, avait décidé de supprimer l’imposition demandée à des contribuables qui n’en payaient pas auparavant. Cela dit, l’idée n’est pas sotte et peut être aisément généralisée : instituer un tribut et, un an plus tard, l’annuler. Cela ferait rentrer un peu de sous et témoignerait du souci de justice d’un pouvoir de gauche. On l’appellerait la taxe temporaire et elle serait levée dans tous les domaines.
Le coup de tonnerre du 25 mai
Le coup de tonnerre du 25 mai
Il y avait eu un 21 avril, avec l’élimination de la gauche au premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Il y aura dorénavant un 25 mai. Une date qui restera comme le symbole du jour où plus d’un électeur sur quatre a voté en France pour le Front national, où beaucoup plus d’un électeur sur trois, et parfois un sur deux, a violemment rejeté l’Europe. Un 25 mai triomphal pour la stratégie de Marine Le Pen qui s’installe au centre du jeu politique français en le dynamitant.
C’est là une leçon terrible pour les partis traditionnels de gouvernement : après une campagne entièrement en défense, sans perspective, sans véritable projet, leurs scores misérables viennent souligner leur incapacité à formuler une offre entraînante pour l’Europe. Un vide d’autant plus spectaculaire qu’en face, Marine Le Pen a réuni sur ses listes des millions d’électeurs qui, pour bon nombre d’entre eux, ne croyaient pas vraiment son programme applicable mais voulaient exprimer leur exaspération et leur doute à l’égard de la trajectoire que les « partis républicains » leur proposent depuis des années. Comme on dit souvent : ça, c’est fait !
De cet état des lieux pathétique, de cette France politique en lambeaux, il peut sortir le meilleur comme le pire. Le pire serait que, loin de se ressaisir, l’UMP qui va traverser une semaine de tous les dangers ne s’enfonce dans ses querelles sous le regard impuissant du centre.
Le pire pour le gouvernement serait que le Parti socialiste une nouvelle fois humilié ne l’entraîne dans une dérive anti-Bruxelles, une contestation de gauche de ses choix budgétaires et sociaux. Quant à François Hollande, son bilan est limpide : il avait promis de relancer la croissance et de réorienter l’Europe ; aujourd’hui, la France est plantée, et le PS par son score exécrable fait perdre toute chance aux sociaux-démocrates de gagner le Parlement européen. Quelle déroute ! Mais jusqu’où fera-t-il chuter la France ?
Coincés dans les embouteillages
Coincés dans les embouteillages
Coincé dans les embouteillages, le chef d’une des plus grandes puissances mondiales se hâtait avec lenteur pour rejoindre son palais où il devait prendre connaissance de la plus mémorable raclée subie par son parti en un demi-siècle.
Coincée dans les embouteillages, la France est immobile. Deux années de décisions à contresens lui ont fait perdre un temps infini : augmentation des dépenses publiques, embauche de dizaines de milliers de fonctionnaires, choc fiscal pour tous, instauration d’un climat de défiance vis-à-vis des entreprises et culpabilisation de la finance. Exactement le contraire de ce qu’ont fait les autres pays, nos voisins, pourtant engagés sur la même route que nous, affrontant les mêmes difficultés que nous.
Coincée dans les embouteillages, notre économie fait du surplace et la France déprime : pas de croissance, pas d’emplois. Tant de promesses de réformes ont été faites dans les derniers mois : après avoir été augmentés, les impôts devaient baisser, la contrainte bureaucratique être simplifiée, la dépense publique reculer, les rigidités sociales être assouplies. Rien de concret n’a suivi, ou si peu. Ainsi, que s’est-il passé depuis les annonces, en janvier dernier, d’un nouvel élan social-démocrate ? Rien d’autre qu’un accord-cadre patronat-syndicats, très chic en affichage et quasi-nul en pratique.
Coincé dans les embouteillages, notre président de la République est désormais paralysé, pris entre la colère grandissante d’une partie de sa majorité à son endroit, l’inlassable pression réformatrice de Bruxelles et l’inquiétude croissante des autres pays européens qui craignent pour eux-mêmes les conséquences d’un échec de la France.
Coincé dans les embouteillages, impopulaire comme nul autre avant lui, François Hollande baisse la vitre de sa voiture. Il sourit.
CHRONIQUE D'UNE RACLEE ANNONCEE...
Faut-il plaindre la Gauche, le PS, les Verts, le Front du Gauche pour la râclée qu'ils vont prendre...
Il est peu de cas dans l'histoire où une telle râclée est si méritée... Ils auront tout fait : Arrogance saoûlante... Contre-pied permanant du désir des français et de l'interêt de la Nation... Récession, impôts, immigration, délinquance, mariage pour tous... Laxisme à la sauce Taubira... Partie de jambes en l'air présidentielles (c'est pas le plus grâve)... Hallucinant dialogue en direct du Kosovo avec une adolescente demeurée et sa famille de bras cassés qui ont quand même coûtés 500 000 euros à la France... Candidature annulée in extremis d'un certain DSK, piètre économiste et braguette au vent... Mensonges Cahuzac... Acharnement hystérique contre un humoriste déviant... Matraquage et parcage de militants chrétiens du Printemps Français... Hordes sauvages dépouillant bijoutiers et touristes, écumant les campagnes... La liste est interminable des bévues et des ratages...
Et pire, ce sont de mauvais comiques, des clowns tristes, des "has been", des comiques sur le déclin qui ont réussi à mettre le pied dans la porte et qui se sont engouffrés dans le théâtre des illusions, menant la politique à son degré zéro...
Un seul chiffre : Poutine, 81% d'opinions favorables... François, 18%... Et le second avec sa politique catastrophique, ses échecs monstrueux, nous enseignait à dézinguer le premier... Qui va se faire dézinguer maintenant ? Il est toujours un temps où la réalité, le bon sens, l'histoire rattrapent les farceurs...
Les dernières cartes de François Hollande pour tenir encore trois ans
En changeant de premier ministre au lendemain des élections municipales de mars 2014, François Hollande a
utilisé l'outil politique le plus évident d'un président confronté à une situation de crise grave. Sous la pression de l'urgence, il est surprenant qu'il n'ait pas attendu les élections au Parlement européen qui s'annonçaient perdues d'avance pour jouer cette carte maîtresse. La voie d'un nouveau changement de premier ministre lui est désormais fermée au moins pour les deux ans qui viennent. Il reste au chef de l'Etat trois années de mandat à effectuer. L'impasse dans laquelle il donne l'impression de se trouver, à ce stade de son séjour à l'Elysée, paraît elle aussi sans précédent. Confronté à une impopularité qui pulvérise tous les records de l'histoire de la République et ne cesse de s'aggraver, face à un effondrement sans précédent du parti socialiste qui s'apparente à une humiliation (14% aux Européennes), quelles sont désormais les alternatives qui se présentent à lui? Quatre hypothèses semblent envisageables au regard de la panoplie qu'offrent les institutions et de l'expérience de la vie politique française.
La première est celle de la «reconquête». François Hollande tente de reprendre son destin présidentiel en main en multipliant les initiatives et en essayant de transformer sa «communication» de renouveler son image. Il lui faudrait dans cet objectif quitter l'habit du président «normal» ayant axé ses deux premières années sur la condamnation du bilan de son prédécesseur, et au contraire apparaître en chef de l'Etat unitaire, à l'écoute des Français, le cœur à l'ouvrage pour résoudre leurs problèmes. Le président est alors dans une logique de quitte ou double. Si la situation générale s'améliore, il peut en tirer profit. Si elle se dégrade, il en est tenu pour responsable. Dans quelle mesure est-il possible de redresser une image personnelle fortement dégradée? Cette interrogation est la clé de la réussite d'un tel scénario. Le scénario de la «reconquête» comporte deux sous-options: celle de «l'unité nationale» avec l'ouverture du gouvernement à des personnalités de l'opposition ou celle du «retour aux fondamentaux» de gauche.
La seconde est le retour à la «présidence constitutionnelle»selon la formule en usage sous la IIIe République. Le chef de l'Etat prend de la hauteur, se cantonne à son rôle d'arbitre et de garant des institutions. Il laisse donc au premier plan le premier ministre. Ce partage des rôles est conforme à l'article 20 de la Constitution qui confie au premier ministre la responsabilité de diriger la nation. La nomination de Manuel Valls à Matignon, sa présence médiatique laisse penser à l'adoption d'un scénario de ce type qui permet au président de se protéger derrière l'activisme de son premier ministre. En dehors des cohabitations où le premier ministre est aux commandes, ce type de situation a prévalu à plusieurs reprises, par exemple entre François Mitterrand et Michel Rocard, Jacques Chirac et Alain Juppé. Dans ce schéma, le plus probable, le chef de l'Etat investit son rôle de chef de la diplomatie et de chef des armées celui qui lui a le mieux réussi jusqu'à présent avec l'intervention au Mali et au Centrafrique. L'inconvénient pour lui de ce scénario: le risque d'un effacement et de devoir renoncer à une candidature en 2017 au profit du premier ministre.
La troisième est celle du «coup politique», celui de la dissolution en application de l'article 12 de la Constitution. Le président de la République, à cours de solutions, face à une crise de société et une succession de mouvements sociaux, décide l'organisation de nouvelles élections législatives. Celle-ci, dans le climat actuel, déboucherait inévitablement sur une victoire de l'opposition et sur la perspective d'une cohabitation avec un premier ministre de l'autre bord. Il faut bien voir que dans tous les cas de figure de ce type (1986-1988 et 1997-2002), la cohabitation a permis la réélection du président candidat . Cette formule constituerait un joker pour François Hollande déterminé à tenter le tout pour le tout en vue d'une réélection. Beaucoup de commentateurs de la vie politique penchent vers une telle issue, dans le courant de 2015. Pourtant, les évènements de ces derniers jours semblent en éloigner quelque peu la perspective. En cas d'effondrement total du PS, à l'image du résultat des européennes, l'opposition pourrait refuser de gouverner et le président contraint à la démission à l'image d'Alexandre Millerand qui s'est trouvé dans cette situation en 1924.
La quatrième est celle d'un «référendum suicide» à l'image du général de Gaulle en avril 1969. Elle est extrêmement improbable mais l'histoire politique ne manque pas de soubresauts et d'événements les plus imprévisibles à l'image du caractère humain. On ne peut exclure entièrement le choix personnel d' un François Hollande posant la question de confiance aux Français sur un sujet de société essentiel à ses yeux et engageant la suite de son mandat. Ce peut être une manière de sortir d'une présidence mal engagée par la grande porte, gaullienne. A priori, rien ne laisse aujourd'hui envisager une telle issue.
Front de gauche : changer ou disparaître
Pour Aurélien Bernier, auteur de « La gauche radicale et ses tabous », le Front de gauche ne peut plus fuir après ces européennes. Puisque le FN, écrit-il, « représente bien mieux la rupture avec la mondialisation », la gauche radicale doit débattre de tous les sujets sans exclusive : souveraineté nationale et sortie de l'euro compris. Et il en appelle à « convoquer au plus vite des assises sur les questions européennes ».
Il aura fallu trente ans au Front national pour améliorer, aux élections européennes, son score historique de 1984. Inexistant au scrutin de 1979 (seuls 0,76 % des inscrits votaient pour lui), le parti de Jean-Marie Le Pen multipliait par huit son nombre de voix cinq ans plus tard et talonnait le Parti communiste français. A cette époque, le vote était protestataire : contre l'insécurité, contre le chômage et la crise attribués en partie à l'immigration, et contre le « tournant de la rigueur » opéré par le Parti socialiste en mars 1983. Mais qui se souvient qu'en 1984 le Front national était ultralibéral et pro-européen tandis que ceux qui s'opposaient radicalement à la construction européenne étaient les communistes ?
Trente ans plus tard, les rôles sont inversés. L'extrême-droite française est devenue « anti-mondialiste », « anti-européenne » et « anti-système » tandis que la gauche radicale s'est mise à rêver une « réforme de l'intérieur de l'Union européenne » à laquelle plus grand monde ne croit. En parallèle, l'européisme du Parti socialiste s'est confirmé au point de se confondre avec celui de la droite libérale, tandis que tous les grands événements politiques européens ne cessaient, dans une part croissante l'opinion publique, de nourrir le rejet de « Bruxelles » : l'adoption du traité de Maastricht en 1992, qui inscrivait dans la Constitution française la primauté du droit européen ; la création de l'euro en 1999, qui ajoutait à l'ordre juridique communautaire un ordre monétaire ultralibéral ; le passage en force du traité de Lisbonne, qui rayait d'un trait de plume le non français et néerlandais de 2005 ; la gestion catastrophique et méprisable de la crise par les élites européennes ces six dernières années.
Il est donc logique, malheureusement, que la nouvelle stratégie de Jean-Marie Le Pen, perfectionnée depuis 2011 par sa fille, fonctionne et propulse le Front national en tête du scrutin du 25 mai 2014, avec 25 % des suffrages exprimés et 10,3 % des inscrits, quand le Front de gauche n'obtient que 6,5 % des suffrages exprimés et moins de 3 % des inscrits. On entend déjà certains invoquer le taux d'abstention pour minimiser ce résultat. Mais ce serait oublier que l'extrême-droite obtient 1 170 000 bulletins de plus qu'aux législatives de 2012 et près de quatre fois plus de voix que le Front de gauche.
Depuis trente ans, à chaque nouvelle percée du Front national, la gauche radicale assure qu'il faudra « analyser en profondeur » les raisons de cette montée et de son propre échec à l'endiguer. Pourtant, cette analyse n'a jamais été sérieusement faite. On accuse le vote protestataire, l'abstention, la « démagogie » de Marine Le Pen ou de son père, on regrette le recul du « travail de terrain » autrefois réalisé par le Parti communiste dans « les quartiers ». Mais on passe à côté de l'essentiel. Ce qui devrait être évident depuis longtemps, et que le 25 mai 2014 confirme, c'est que le Front national représente bien mieux que la gauche radicale la rupture avec la mondialisation et son cortège de catastrophes.
Trente ans plus tard, les rôles sont inversés. L'extrême-droite française est devenue « anti-mondialiste », « anti-européenne » et « anti-système » tandis que la gauche radicale s'est mise à rêver une « réforme de l'intérieur de l'Union européenne » à laquelle plus grand monde ne croit. En parallèle, l'européisme du Parti socialiste s'est confirmé au point de se confondre avec celui de la droite libérale, tandis que tous les grands événements politiques européens ne cessaient, dans une part croissante l'opinion publique, de nourrir le rejet de « Bruxelles » : l'adoption du traité de Maastricht en 1992, qui inscrivait dans la Constitution française la primauté du droit européen ; la création de l'euro en 1999, qui ajoutait à l'ordre juridique communautaire un ordre monétaire ultralibéral ; le passage en force du traité de Lisbonne, qui rayait d'un trait de plume le non français et néerlandais de 2005 ; la gestion catastrophique et méprisable de la crise par les élites européennes ces six dernières années.
Il est donc logique, malheureusement, que la nouvelle stratégie de Jean-Marie Le Pen, perfectionnée depuis 2011 par sa fille, fonctionne et propulse le Front national en tête du scrutin du 25 mai 2014, avec 25 % des suffrages exprimés et 10,3 % des inscrits, quand le Front de gauche n'obtient que 6,5 % des suffrages exprimés et moins de 3 % des inscrits. On entend déjà certains invoquer le taux d'abstention pour minimiser ce résultat. Mais ce serait oublier que l'extrême-droite obtient 1 170 000 bulletins de plus qu'aux législatives de 2012 et près de quatre fois plus de voix que le Front de gauche.
Depuis trente ans, à chaque nouvelle percée du Front national, la gauche radicale assure qu'il faudra « analyser en profondeur » les raisons de cette montée et de son propre échec à l'endiguer. Pourtant, cette analyse n'a jamais été sérieusement faite. On accuse le vote protestataire, l'abstention, la « démagogie » de Marine Le Pen ou de son père, on regrette le recul du « travail de terrain » autrefois réalisé par le Parti communiste dans « les quartiers ». Mais on passe à côté de l'essentiel. Ce qui devrait être évident depuis longtemps, et que le 25 mai 2014 confirme, c'est que le Front national représente bien mieux que la gauche radicale la rupture avec la mondialisation et son cortège de catastrophes.
LE DISCOURS DU FRONT DE GAUCHE SUR L'EUROPE ET L'EURO EST INCOMPRÉHENSIBLE
Quand Marine Le Pen promet de restaurer la souveraineté nationale, le Front de gauche reste empêtré dans un discours incompréhensible sur l'euro, qu'il veut « subvertir », et sur la construction européenne, qu'il veut « refonder » sans dire précisément comment. Quand Marine Le Pen dénonce avec force « l'UMPS », le Front de gauche reste, pour beaucoup d'électeurs, associé à l'ultra-européiste Parti socialiste, ce qui est le prix à payer pour des listes communes au premier tour d'élections locales.
Dans cette situation dramatique, les dirigeants du Parti communiste portent une lourde responsabilité. C'est le cas sur le plan stratégique, puisque le cordon qui les relie au Parti socialiste n'est pas encore coupé, mais c'est aussi le cas sur le plan programmatique, quand une poignée de responsables (les économistes Paul et Frédéric Boccara, Catherine Mills... ou l'ancien eurodéputé Francis Wurtz) s'accroche, envers et contre tout, à la monnaie unique et à la réforme « de l'intérieur » des institutions européennes. Place du Colonel Fabien et dans les locaux du journal L'Humanité, l'esprit « euroconstructif » de Robert Hue rôde encore dans les couloirs...
Plus radical sur les alliances et le programme, le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon n'est pas irréprochable pour autant. Qu'a-t-il pu passer par la tête de ses dirigeants quand, à quelques semaines du scrutin, ils proposèrent un rapprochement futur à Europe-écologie-Les Verts, qui plaide pour la « dissolution des États-nations » et le fédéralisme européen ? Après cela, quelle crédibilité l'électeur pouvait-il donner au discours, déjà ambigu, du Front de gauche sur les questions européennes ? La réponse est contenue dans le résultat du 25 mai.
Enfin, les trotskistes de Lutte ouvrière et du Nouveau parti anticapitaliste peuvent mesurer l'impact de leur rejet absolu de la souveraineté nationale : moins de 300 000 personnes ont voté pour eux, contre seize fois plus pour le Front national.
De tout cela, la gauche radicale doit parler, sous peine de disparaître. Pas au détour d'une université d'été ou d'une fête de l'Humanité, mais à l'occasion d'un débat sérieux, nécessairement long, qui devra impliquer un maximum de militants. Il faut convoquer au plus vite des assises sur les questions européennes, qui devront permettre d'entendre d'autres discours que celui de la « réforme de l'intérieur » et qui devront évoquer d'autres stratégies, notamment la sortie de l'euro et de l'ordre juridique européen. Faute de quoi les élections nationales de 2017 risquent d'être encore plus catastrophiques que le scrutin européen de 2014.
* Aurélien Bernier est l'auteur de La gauche radicale et ses tabous (Seuil, 2014). Retrouvez-le sur son blog : abernier.vefblog.net
Dans cette situation dramatique, les dirigeants du Parti communiste portent une lourde responsabilité. C'est le cas sur le plan stratégique, puisque le cordon qui les relie au Parti socialiste n'est pas encore coupé, mais c'est aussi le cas sur le plan programmatique, quand une poignée de responsables (les économistes Paul et Frédéric Boccara, Catherine Mills... ou l'ancien eurodéputé Francis Wurtz) s'accroche, envers et contre tout, à la monnaie unique et à la réforme « de l'intérieur » des institutions européennes. Place du Colonel Fabien et dans les locaux du journal L'Humanité, l'esprit « euroconstructif » de Robert Hue rôde encore dans les couloirs...
Plus radical sur les alliances et le programme, le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon n'est pas irréprochable pour autant. Qu'a-t-il pu passer par la tête de ses dirigeants quand, à quelques semaines du scrutin, ils proposèrent un rapprochement futur à Europe-écologie-Les Verts, qui plaide pour la « dissolution des États-nations » et le fédéralisme européen ? Après cela, quelle crédibilité l'électeur pouvait-il donner au discours, déjà ambigu, du Front de gauche sur les questions européennes ? La réponse est contenue dans le résultat du 25 mai.
Enfin, les trotskistes de Lutte ouvrière et du Nouveau parti anticapitaliste peuvent mesurer l'impact de leur rejet absolu de la souveraineté nationale : moins de 300 000 personnes ont voté pour eux, contre seize fois plus pour le Front national.
De tout cela, la gauche radicale doit parler, sous peine de disparaître. Pas au détour d'une université d'été ou d'une fête de l'Humanité, mais à l'occasion d'un débat sérieux, nécessairement long, qui devra impliquer un maximum de militants. Il faut convoquer au plus vite des assises sur les questions européennes, qui devront permettre d'entendre d'autres discours que celui de la « réforme de l'intérieur » et qui devront évoquer d'autres stratégies, notamment la sortie de l'euro et de l'ordre juridique européen. Faute de quoi les élections nationales de 2017 risquent d'être encore plus catastrophiques que le scrutin européen de 2014.
* Aurélien Bernier est l'auteur de La gauche radicale et ses tabous (Seuil, 2014). Retrouvez-le sur son blog : abernier.vefblog.net
Stupeur et tremblement
Les élections européennes qui se sont déroulées autour de cette fin de semaine (et ce dimanche 25 mai en France) montrent un véritable soulèvement contre les politiques menées en Europe. Ce soulèvement est évident en France, en Grande-Bretagne, mais aussi en Italie où le M5S et la Ligue du Nord font l’équivalent du parti de centre-gauche (33%), tandis que les restes du Berlusconisme (Forza Italia) virent de plus en plus anti-UE. Ce soulèvement est aussi clair en Grèce, où Syriza remporte haut la main ces élections, mais aussi dans l’Est de l’Europe où des partis à tout le moins eurosceptiques dominent. Elles confirment en même temps l’absence de synchronie des espaces politiques que sont les différentes nations,, car ce soulèvement prend des formes très différentes. Ce soulèvement a donc pris des formes marquées par le cadre historique de la formation de la vie politique, de la démocratie en quelque sorte, qui s’appelle la Nation. Cette absence de synchronie, si dans l’immédiat elle va permettre aux conservateurs du PPE de garder une majorité relative, signe la fin des espoirs de certains de voir émerger un « peuple » européen. Si un rejet global s’est exprimé, il l’a fait dans un cadre national qui lui donne se spécificité.
En France, ces mêmes élections sont reconnues pour provoquer, selon les mots du Premier-Ministre un « séisme ». Encore faut-il dire précisément ce que cela signifie. Ce séisme, il est manifeste moins par le score du Front National, assurément historique (25% des voix, premier parti de France), que par l’effondrement symétrique du bloc au pouvoir (23% pour l’alliance PS+EELV) et de l’UMP, qui dépasse à peine les 20%. En réalité, si l’on additionne les voix qui se sont portées sur des partis remettant en cause l’UE (DLR, FdG et FN), on obtient 35% des suffrages. On notera que le succès du Front National n’a pas empêché le petit parti de Nicolas Dupont-Aignan de réaliser un beau score (près de 4%). On peut penser que si de mesquines querelles d’appareil n’avaient fait échouer le projet de listes communes avec les partisans de Jean-Pierre Chevènement (le MRC), ces listes auraient pu peser nettement plus dans ces élections. A l’inverse, si l’on regroupe les voix des deux partis qui assumaient leur « fédéralisme » européens, l’UDI et EELV, on n’obtient que 18,7% des suffrages. C’est ce chiffre là qu’il faut aussi retenir. Il mesure le poids réel des partisans du « fédéralisme » en France.
Le discours qu’a tenu dans la soirée de dimanche le Premier-Ministre s’est avéré être parfaitement inadapté et montre l’incapacité du gouvernement, et des femmes et hommes qui le composent, à s’ajuster à la nouvelle situation. On est dans un cas d’autisme politique qui est véritablement pathologique. Au lieu de prendre acte de ce que les électeurs avaient envoyé un message de défiance vis-à-vis de l’Europe, demandant plus de Nation et moins de Bruxelles, Manuel Valls s’est contenté de répéter la même rengaine sure « les réformes » et « changer l’Europe ». Ceci laisse présager des jours sombres pour la démocratie, avec un gouvernement désormais déshabillé de toute légitimité. Face à ce gouvernement qui est à nu, c’est le Front National qui représente l’opposition, et c’est cela le « séisme » dont il est question.
Comparaison des résultats de 2009 et de 2014
Parti
|
2009
|
2014
|
Différence
|
UMP |
27,90%
|
20,3%
|
-7,6%
|
PS |
16,48%
|
14,7%
|
-1,8%
|
Europe Ecologie |
16,28%
|
8,7%
|
-7,6%
|
MoDem / UDI |
8,46%
|
10,0%
|
+1,5%
|
Front de Gauche |
6,48%
|
6,6%
|
+0,1%
|
Front National |
6,34%
|
25,1%
|
+18,7%
|
En France, ces résultats traduisent donc et un rejet massif des institutions européennes, radicalement contestées par 35% des votants, et une crise particulière dans différents partis. L’UMP recule de manière spectaculaire, ce qui est loin d’être compensé par les timides progrès de l’UDI. Il en va de même pour le PS, directement mis en cause par l’effondrement de son allié écologiste. Pour l’UMP, c’est incontestablement la crise de gouvernance interne, ainsi que le manque de lisibilité de la ligne politique de ce parti qui est la cause de ces résultats. Pour le PS, il devrait poursuivre sa marche à la destruction en raison de la politique qu’il continue à mener. Il y a une obstination suicidaire dans la persistance des thèmes de la rigueur chez Manuel Valls. Mais, deux faits retiennent l’attention :
- Le parti écologiste EELV paye très lourdement et son européisme béat, et ses palinodies qui montrent à tous qu’il est plus un syndicat d’élus qu’un véritable parti.
- Le Front de Gauche a été dans l’incapacité de capitaliser sur le rejet du PS et sur l’immense colère qui monte dans les classes populaires. Il le doit au manque absolue de lisibilité de sa ligne politique, ce qu’a reconnu courageusement l’un de ses deux co-présidents, Jean-Luc Mélenchon. Mais, il doit surtout à l’incompréhension profonde de ce que représente la Nation, tant dans la réalité que dans l’imaginaire des Français. Soit il connaîtra dans les semaines qui viennent une rupture culturelle fondamentale, un « moment Chevènement » le conduisant sur une autre trajectoire, soit il est condamné à dépérir.
Tristesse et désolation
Tristesse et désolation
Après ma réaction « à chaud », à la suite du résultat électoral d’hier soir, je ne ressens ce matin que tristesse et accablement:
- Ce résultat me paraît signer l’agonie du courant politique auquel je me rattache en profondeur, celui des gaullistes favorables à l’Europe unie des nations, au principe de réalité, au renouveau de la France par l’effort, l’ouverture au monde et le rejet de la démagogie. Que reste-t-il de ce courant, broyé entre le politiquement correct et la dérive extrémiste de la vie politique? Et comment peut-on le sauver?
- Le triomphe (même de surface, même exagéré) du fn me blesse profondément dans mon patriotisme, dans ma fierté nationale, au regard de l’image qu’il donne de mon pays en Europe et dans le monde, songeant en particulier aux déclarations et aux positions que ce parti incarne.
- La jubilation hystérique de la presse et des médias ce matin (« la France Front national », etc.) me conforte dans ce que je pressens depuis si longtemps : ce résultat a été volontairement favorisé par le monde de la presse et des médias en quête de sensationnel et dans l’objectif d’embrouiller le jeu politique, de diaboliser les débats de fond, de noyer le désastre politique en cours.
- Le fn en tête, avec environ 10% du corps électoral, crée une situation qui marque une nouvelle étape dans la décomposition convulsive de la vie politique, et l’éloigne toujours davantage de toute perspective de constitution d’une majorité déterminée à résoudre les problèmes de notre pays, économiques, sociétaux, institutionnels, Européens.
- Les événements en train de se produire nous montrent une classe politique qui exclut toute auto critique et remise en cause, s’accrochant à ses dogmes et ses rentes de situation. Il est tout simplement hallucinant que le président de l’ump, dont ce résultat par lequel l’ump perd le leadership de l’opposition, signe l’échec personnel, n’ait pas remis sa démission hier soir, sur le champ. Quant au pouvoir en place, qui répond en annonçant une "baisse d’impôt", mieux vaut ne même pas en parler.
- Le paysage politique français se trouve ainsi de plus en plus à la fois fragmenté et gelé, figé, cimenté dans sa propre médiocrité, n’offrant aucune issue, aucune perspective d’avenir. 10% de l’électorat ont voulu punir la classe politique pour s’être détournée des préoccupations des Français au profit de ses propres intérêts. Malheureusement, ils ont surtout atteint la France. La plongée en enfer n’est donc pas terminée…
Continuons d’échanger, essayons de garder le moral en cultivant nos projets personnels et nos vies privées, et tenons nous prêt si la grande force de l’histoire nous apporte des jours meilleurs.
Des élections européennes abyssales. Comme prévu.
Or donc il y a eu les élections européennes en France. Et tout comme les résultats des élections municipales furent finalement prévisibles (et croustillants à souhait), les résultats de ces dernières élections furent dans la lignée de ce qu’on pouvait attendre, avec une bonne dose de drame et de grincements de dents, et beaucoup de bulles.
Les qualificatifs ne manquent pas dans la presse mainstream : choc ou séisme, tout le monde semble s’accorder à trouver tout ceci particulièrement calamiteux. Et lorsqu’on regarde les résultats bruts, il est vrai que cela picote un peu pour les politiciens des principaux partis qui se sont tous pris une bonne mandale. Le Front National arrive donc largement en tête, autour de 25%, l’UMP limite la casse à 21% (ce qui représente tout de même une perte de plus de 6 points sur l’élection précédente). Quant au PS (15%), aux Verts (9%) et au Front de Gauche (6,5%), les scores marquent tous une reculade notoire. Il est à noter la contre-contre-performance de l’UDI/Modem qui parvient, contrairement au prout tiède qu’on s’attendait à lui voir réaliser, à amasser 10% des votes.
Sous forme de petit graphique, cela donne ceci (c’est basé sur les estimations de dimanche soir) :
Pendant ce temps, les plus prompts s’emploient à faire passer cette fort jolie branlée des divers partis officiellement de gauche (PS notamment) pour une défaite historique, alors que la déroute actuelle est en réalité tout à fait comparable (et probablement plus feutrée) que celle qui accompagna Rocard en 1994. La déculottée de l’époque avait été cruelle, mais le temps a passé ce qui permet aux actuels clowns de l’opposition de demander bruyamment la démission de Hollande. La hontectomie autorise bien des postures et des saillies ridicules, mais on voit mal le rapport entre cette élection (européenne, je le rappelle) et la légitimité du président. Du reste, il n’a absolument pas besoin de ce cuisant échec pour réussir le pari de se faire autant détester chez ses opposants que ses amis politiques, mais de même que Mitterrand, à l’époque, avait encaissé la débâcle sans broncher, il est absurde d’imaginer qu’il en sera autrement pour le Roi Solex.
Il n’en reste pas moins que c’est donc encore un échec à mettre au débit de Hollande. S’il semble acquis que le parti au pouvoir aura le plus de mal à rassembler lors d’élections qui ont tout du défouloir, il faut avouer que, cette fois-ci, les gens se sont vraiment bien défoulés. Eh oui, c’est encore un échec. Cela doit finir par chatouiller un peu, et cela me fait irrémédiablement penser à cette vidéo de Mozinor où les protagonistes tentent de se sortir d’une situation délicate et échouent lamentablement, à plusieurs reprise.
Devant des scores aussi calamiteux, on se perd en conjectures : est-ce le Front National qui a, à ce point, progressé dans les esprits ou est-ce le PS, les Verts et toute la marmaille politicienne qui a réalisé là une contre-performance aussi rigolote qu’historique ? Si l’on s’en tient aux scores bruts, il est assez délicat de ne pas voir l’éléphant dans le salon, à savoir Marine Le Pen pardon le score du Front National qui passe d’un petit 6,34% en 1994 à quatre fois plus vingt ans plus tard. On peut toujours admettre qu’une partie de cette ascension est due à la multiplication des imbécilités consternantes de la gauche, mais malheureusement, cela ne suffira pas à expliquer toute la progression constatée.
Non, décidément : à l’évidence, les partis qui se sont succédé au pouvoir sur les vingt dernières années ne trouvent plus grâce aux yeux des électeurs qui, attirés par la nouveauté, donnent d’autant plus facilement un ticket à ce parti qu’il n’a jamais été chopé les doigts dans le pot de confiture (ce qui est logique puisqu’il n’a jusqu’à présent jamais eu le bras assez long pour l’atteindre). Et c’est d’autant plus facile que les députés européens sont, par nature, fort éloignés de leurs concitoyens et électeurs : un vote pour la Marine aux européennes n’aura donc pas les mêmes conséquences que lors d’une municipale où on peut fort bien se retrouver avec elle (ou un de ses lieutenants) comme maire. Avec un eurodéputé, le risque est si faible d’avoir à le contacter directement qu’on peut se permettre bien des choses.
Autre point d’importance : l’abstention, qui a rapidement été évacuée une fois que les résultats détonants furent connus et officiellement discutables par les journalistes. Pourtant, on peut noter deux choses à son sujet.
Tout d’abord, elle est (un peu) plus faible que lors des votes des précédentes européennes. Or, cela n’a pas empêché le FN d’atteindre le score mémorable qu’on discute partout. L’argument que les abstentionnistes font monter les partis d’extrêmes est donc un peu court et se retourne contre ceux qui l’utilisent : puisqu’apparemment, il y a eu moins d’abstentionnistes et un FN plus fort, c’est clairement que les électeurs se sont déplacés spécifiquement pour voter pour le FN et n’ont pas, selon l’iconographie amusante et traditionnelle, laissé la place aux troupes disciplinées de l’extrême-droite. Eh oui : le peuple n’a pas ripé sur les bulletins FN, il a sciemment glissé quelques heures très sombres dans les urnes de notre histoire et tout le tralala.
Eh oui, avalez-ça, messieurs les démocrates du centre, de droite, de gauche et de l’autre extrême : tout indique que le peuple s’est volontairement déplacé pour voter pour ce parti-là. Vous pourrez toujours vous réfugier dans l’argument que « la démocratie, c’est vraiment pas cool », mais vous risquez ainsi de glisser sur cette pente glissante qui m’a amené, récemment, à justement questionner l’exercice démocratique en lui-même (chose que vous n’êtes absolument pas prêt à faire, sauf lorsque votre environnement sent soudainement l’andouillette).
D’autre part, si l’on tient compte de l’abstention, force est de constater que le FN représente en réalité 10% du corps électoral : si 25% des votants l’ont choisi, et si à peine 43% des électeurs se sont déplacés, cela veut dire que 10,75% des électeurs ont choisi Marine au détriment des autres. Dit autrement, cela veut dire tout de même que quasiment 90% des électeurs n’ont pas voté pour le FN (ou l’UMP, le PS et les autres micro-partis bigarrés du spectre politique français) et que, comme d’habitude, ce sera donc cette petite minorité qui va décider pour cette grosse majorité. Décidément, la démocratie est un concept délicat à appréhender.
Alors que les éditorialistes se tordent maintenant les doigts sur la France qui aurait brutalement basculé dans la poix lourde d’une xénophobie rance, avec du ventre fécond, de la beuhète immonde et de la consternation mêlée de honte, la réalité est, comme souvent, bien plus pastel. Ce que le score du FN indique clairement, c’est l’absence de parti d’opposition réel, structuré, dans une France qui ne compte plus que des partis socialistes aux différentes options, parfaitement accessoires. Les seuls avantages du FN sur les autres partis socialisants sont en effet de disposer de cette (très) relative virginité du pouvoir, de bénéficier de l’éloignement des députés élus, et d’offrir une voix cohérente et simple à comprendre, au contraire d’une UMP illisible et en pleine déliquescence, et d’un centre incolore, inodore et sans saveur.
Quant au point de vue libéral, il reste, malheureusement, le même : le socialisme continue en France son petit bonhomme de chemin. Il semble qu’on abandonne doucement le socialisme internationaliste pour goûter à la variante nationaliste, avec de gros bouts de protectionnisme dedans.
Il n’y a donc aucun changement de fond, tout juste de forme.
La guerre des chèques !
La guerre des chèques !
Copé visé, « Sarko » touché, et l'UMP coulée ! Ainsi serait-on tenté de résumer le jeu de massacre qui a succédé hier au « séisme » des européennes. Comme s'il en était une inéluctable conséquence en même temps que l'une des causes. Et comme s'il fallait donner, a posteriori, des justifications supplémentaires au vote protestataire. Car si le lamentable feuilleton de la « guerre des chefs » durait depuis trop longtemps à l'UMP, il s'y ajouté hier un emballement qui préfigure une probable dislocation du parti. Le rêve caressé par Marine Le Pen de faire imploser la droite après avoir vidé le PS de son électorat populaire est en passe de se réaliser.
Bref, au lieu d'un sursaut urgent et d'une prise de conscience collective, c'est la lente décomposition de notre vie politique qui se poursuit. Celle de l'UMP a atteint un point de non-retour avec les invraisemblables rebondissements de l'affaire Bygmalion. D'abord accusé de favoritisme à l'égard de cette société de conseil, Jean-François Copé a vu l'avocat de celle-ci révéler que des meetings de campagne de Nicolas Sarkozy, en 2012, avaient été facturés à l'UMP sous le titre frauduleux de « conventions » pour un montant de 11 millions d'euros. D'où les perquisitions diligentées dès hier soir au siège du parti.
Dans cette « guerre des chèques », où il ne faut pas être dupe des aveux orientés des uns et des autres pour dédouaner leurs proches, il reste à savoir qui signait et qui savait. En tout cas, pour le plus grand soulagement de Jean-François Copé, voici Nicolas Sarkozy revenu lui aussi dans la ligne de mire des snipers de l'UMP, irrités par sa tribune très libre dans Le Point à la veille des européennes.
Au fond, on risque d'en arriver à l'anéantissement d'un parti d'opposition incapable de surmonter les pièges de notre monarchie présidentielle qui attise, bien avant l'heure, le choc des ambitions. On voit mal comment, dans le contexte actuel, Jean-François Copé pourrait rester à la tête de l'UMP. Mais on voit encore plus mal qui pourrait lui succéder dans un tel marigot.
PREMIER PARTI DE FRANCE
PREMIER PARTI DE FRANCE
Une bruyante exclamation. Suivie d’une longue acclamation et d’une tonitruante Marseillaise, celle que Taubira ne chante pas. A l’annonce du score sur les écrans de télé, au Carré à Nanterre, c’est le déchaînement. Les jeunes militants explosent, se sautent dans les bras façon finale de coupe du monde de foot. Les plus anciens, émus, ont du mal à en croire leurs yeux. 40 ans qu’ils attendent ça.
Le score est net et sans bavure. Rien à dire. En tête, largement. Premier parti de France. Ce n’est plus une estimation. C’est un tsunami bleu Marine. L’UMP est encore plus distanciée qu’on n’osait l’espérer. Le Front national a réalisé ce soir le meilleur score de son histoire aux élections européennes et le Parti socialiste le plus mauvais, tombant au-dessous de 14 %. Ni la nomination de Valls, ni le remaniement, ni le retournement, ni les faux cadeaux fiscaux et encore moins l’absurde campagne du PS en faveur de Martin Schulz, ne sont parvenus à diminuer l’impact de cette seconde salve de baffes des européennes. Plus sévère encore qu’aux municipales.
« Quelle satisfaction, non ? » C’est ce que je déclare tout de go à mon voisin journaliste de France 2, écœuré. Il me regarde avec une drôle de tête.
« Vous devez bien être le seul média qui est content ici ce soir », me dira un peu plus tard Jean, un sympathique militant FN de 20 ans, tendance Viva Cristo Rey avec sa médaille de baptême qui dépasse de son col. Un de ses camarades me confie que ses parents lisent Présent. Des gens bien ! Et vous les gars ? On a des tarifs jeunes très attractifs vous savez ?
« On a senti venir cette lame de fond »
Au buffet où le champagne coule à flot, au milieu d’une foule de journalistes venus de toute l’Europe, Espagnols, Italiens, Danois, Allemands, Anglais, les nouveaux élus européens se mêlent aux militants. Bernard Monot, Gilles Lebreton, Marie-Christine Arnautu, Philippe Loiseau, agriculteur de profession et abonné de Présent. Tous les quatre sont simples, faciles d’accès, agréables à rencontrer. « On n’a pas ménagé notre peine », me déclare Gilles Lebreton, manifestement fatigué et heureux. « J’ai fait jusqu’à quatre meetings dans une même journée. On voit nos efforts récompensés. Sur le terrain, on pouvait littéralement sentir cette lame de fond qui couvait. »
« Je suis très émue », confie Marie-Christine Arnautu, « je suis une sentimentale et une affective, alors je vis ce résultat très intimement. »
Le nombre de sièges tombe, région après région. C’est un raz de marée. Cinq sièges pour Jean-Marie Le Pen dans le Sud-Est, Gollnisch élu. Cinq pour Marine. Quatre pour Philipot. Trois pour Aliot… En tout ce sont 24 députés européens FN qui vont faire leur entrée à l’Assemblée.
« Trente ans qu’ils trahissent la France »
« Trente ans qu’ils trahissent la France », commente Monot en voyant apparaître les unes après les autres, comme au jeu de massacre, les têtes déconfites des ténors socialistes et UMP qui contemplent les dégâts, du fond de leur trou.
« Ah ! la gueule qu’ils tirent » s’amuse Isabelle, responsable des réseaux sociaux du FN. Une autre très grande satisfaction de la soirée, en effet.
Le big bang. Un autobus est passé sur la tête de Fabius. Un avion à réaction sur celle de Juppé. Rama Yade s’accroche à ses lunettes. Copé dévisse de plateau en plateau. Manuel Valls fulmine et roule des yeux comme un fou. Il va lui falloir un lexomil. Mélenchon suffoque. Il va faire un malaise. « Il y en a qui doivent se retourner dans leurs tombes », pleurniche une militante socialo rue de Solférino. Staline, Mao, Calles ? Leurs grands hommes et leurs héros ?
Un parti de gouvernement
Jean-Marie Le Pen qui a mis Peillon, l’artisan des rythmes scolaires et des ABC de l’égalité, à genoux à 12 % dans le Sud-Est, attend l’arrivée de sa fille d’une seconde à l’autre. Il est impeccable, la tête haute, l’œil pétillant :
« Il faut que le gouvernement tire les conclusions. Il faut dissoudre l’Assemblée nationale, retourner devant le peuple après avoir établi la proportionnelle.
Il n’est pas possible qu’un parti qui fait 25 % des voix soit représenté par deux députés à l’Assemblée nationale. »
Marine Le Pen surgit, radieuse. Les militants lui réservent une ovation :
« Le peuple souverain a parlé haut et clair. Comme dans tous les grands moments de son histoire. (…) Nous saurons nous en montrer dignes. C’est la lutte pour la grandeur de la France qui doit nous rassembler. »
Pour Marine Le Pen, c’est aussi une victoire personnelle. Elle a réussi avec sa personnalité propre à porter les idées du mouvement national à un score encore jamais atteint. Elle pulvérise aujourd’hui l’impossibilité voire l’incapacité que l’on a longtemps prêtées au FN de remporter une élection nationale et éminemment politique. Pourquoi est-ce un tel séisme ? Parce que le plafond de verre a explosé. Et que l’Europe qui faisait ses affaires dans notre dos va devoir compter avec les coups d’arrêt des députés FN, en commençant par le traité transatlantique. Même si toutes les embûches constitutionnelles vont lui être balancées dans les jambes, le Front national a conquis le statut de parti de gouvernement. Et la possibilité d’accéder un jour au pouvoir.
Nicolas Sarkozy : "L'absence de leadership met l'Europe en danger"
D'aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours senti viscéralement français. Longtemps je n'ai même jamais pu imaginer vivre ailleurs. La France a toujours coulé dans mes veines aussi naturellement que mon sang. Avec le temps qui a passé, l'expérience qui est arrivée, les rencontres que j'ai faites, je me suis progressivement ouvert aux réalités du monde et j'ai compris l'importance de l'appartenance au continent européen. Petit à petit, j'ai senti la réalité et la consistance de la famille européenne. Je sais maintenant que l'on n'est pas seulement d'un pays, que l'on appartient tout autant à un continent. La France et l'Europe sont indissociables géographiquement, historiquement, culturellement et maintenant politiquement. Nier cela serait tout simplement se renier. C'est pourquoi je veux parler de l'Europe aux Français qui éprouvent une profonde angoisse quant à leur avenir et celui de notre pays. Je comprends leurs exaspérations et leurs colères, mais il nous faut prendre le temps de la réflexion, et essayer de nous projeter dans l'avenir.
Soixante-dix ans de paix
Aujourd'hui, le débat européen se déroule dans un climat d'indifférence et de sourdes hostilités qui laisse pantois. Or l'indifférence est suicidaire car en Europe se joue une partie substantielle de notre avenir. Quant à l'hostilité, elle est profondément injuste au regard de ce que l'Union européenne nous a apporté de décisif avec la paix. Dois-je rappeler qu'en Europe comme partout dans le monde la paix n'est pas un acquis définitif, que c'est un subtil équilibre à préserver à tout prix. Notre continent a été, de tous les endroits de la planète, le lieu où l'on s'est le plus détesté, affronté, détruit, entre-tué. Nous n'avons réussi à tourner la page de ces siècles d'affrontements entre peuples européens que depuis la création de l'Union européenne ! Soit moins de soixante ans... Rien qu'avec nos voisins allemands, nous nous sommes régulièrement combattus tous les trente ans, et ce depuis la bagatelle de trois siècles ! Or nous venons de connaître soixante-dix ans de paix.
L'Europe de la paix, ce n'est pas une formule creuse, à l'heure où tout le pourtour de l'Union européenne s'embrase. "Regardez la carte", aurait dit le général de Gaulle. De l'Afrique du Nord jusqu'à la Syrie, de la Turquie jusqu'à l'Ukraine, tous nos voisins traversent des crises d'une profondeur terrible. Tous ces États-nations, souvent récents, sont soumis à une menace existentielle, l'implosion par les guerres civiles ou l'explosion par la pression des séparatismes. L'Europe a une responsabilité aujourd'hui, contribuer au règlement des crises pour éviter que cet anneau de révolutions ne devienne pour l'Europe une ceinture de dangers incontrôlables : États faillis, trafics, terrorisme...
Un rempart contre les dérives idéologiques
Je vois un autre grand mérite à l'Europe et, tout spécialement dans la période que nous vivons : elle nous protège des dérives idéologiques de nos gouvernants et des majorités qui les soutiennent. Il ne me viendrait pas à l'idée d'assimiler la droite à la lumière et la gauche aux ténèbres, comme cela fut fait dans le passé dans le sens inverse. Je pense au début des années 80. Ce serait tellement ridicule. Les vrais clivages d'aujourd'hui sont si peu épuisés par la seule grille de lecture gauche/droite.
Mais je veux invoquer la Raison si présente dans l'histoire de la pensée française. Imaginons tel ou tel de nos responsables d'aujourd'hui libre d'appliquer sans limite son idéologie fermée aux réalités du monde du XXIe siècle. La dérive à laquelle nous assistons serait pire encore. Impôts sans limite, dépenses publiques sans frein ni contrôle, déficits explosés, nivellement généralisé... Heureusement, comme nous dépendons des autres en Europe et que les autres dépendent de nous, le pire n'est pas toujours possible... Ainsi, l'Europe peut limiter les dérives les plus caricaturales et encadrer (un peu) les dégâts les plus criants. L'Europe oblige les plus idéologues à accepter un peu de bon sens et de raison.
Refonder notre politique européenne
L'Europe nous protège lorsqu'elle fait le choix du volontarisme. Cette conviction, je l'ai toujours mise au coeur de ma vision de l'Europe. C'est par la volonté seulement que nous pourrons réconcilier ceux qui veulent encore croire à l'Europe et ceux qui n'y croient plus. Les Français, et les autres Européens, ne veulent plus croire : ils veulent voir, ils veulent toucher. Il est inutile de chercher ailleurs les raisons de la flambée populiste et antieuropéenne.
Alors, bien sûr, il y a eu et il y a encore des contresens et des erreurs qui ont été commis par ceux qui font de l'Europe une nouvelle idéologie et qui voudraient qu'il y ait les intelligents d'un côté - comprenez les Européens - et les populistes bornés de l'autre - comprenez les souverainistes. Ce clivage est absurde et n'a pas lieu d'être car, si l'Europe est pour nous un choix incontournable, il nous faut reconnaître, et surtout corriger, les graves erreurs qui furent commises au nom d'une pensée unique de plus en plus insupportable aux oreilles d'un nombre de Français chaque jour grandissant. Nous devons profondément refonder notre politique européenne. C'est une évidence que nul individu de bonne foi ne devrait pouvoir contester.
Diversité
C'est justement parce que je crois à l'Europe que je veux qu'elle s'adapte en changeant profondément et en refusant l'immobilisme auquel voudraient la condamner ceux qui, prétendant la défendre, la condamnent à n'être qu'une caricature.
Il y a d'abord la grande question de la personnalité de notre pays, de l'âme de la France, de son identité si forte et si particulière. Que l'on ait pu si violemment s'opposer à la candidature à l'Académie française d'un de nos plus brillants intellectuels au seul motif qu'il y avait dans le titre de son dernier ouvrage le mot identité est d'une bêtise à pleurer. C'est tout simplement consternant. Et j'affirme que ce n'est pas un paradoxe que de plaider tout à la fois pour l'Europe et pour la défense de notre identité, c'est-à-dire de la spécificité de notre modèle.
Le but de l'Europe n'a jamais été que nous nous ressemblions tous, que nous vivions à l'identique, que nous pensions en tout la même chose. Il est que nous soyons capable de coexister, de fraterniser, de défendre nos justes intérêts ensemble face au reste du monde, et même de promouvoir un modèle de civilisation européenne. On ne construira rien sur l'aplatissement du monde. Nous avons besoin de la diversité des langues, des cultures, des pensées. Or la France a des choses à dire, un message à incarner. L'Europe ne lui demande en rien d'y renoncer. Au contraire, si nous perdons notre identité, qu'aurons-nous à partager avec les autres ? Nous devons être européens et français ! C'est possible et c'est surtout parfaitement nécessaire et cohérent. Vouloir construire l'Europe contre les spécificités nationales serait l'échec assuré. Nul n'a le droit d'exiger des peuples qu'ils renoncent à être ce qu'ils sont !
Une grande zone économique franco allemande
Il y a ensuite la question allemande. L'Allemagne n'est pas un choix, n'est pas une alternative, elle est un fait. La géographie et l'histoire nous ont faits voisins. A-t-on jamais connu un pays ayant changé d'adresse ? L'économie a lié nos intérêts de façon décisive. Nous sommes leurs premiers clients. Ils sont nos premiers fournisseurs. La question n'est pas de choisir d'imiter l'Allemagne ou au contraire de la critiquer alors qu'elle réussit en bien des domaines mieux que nous. La seule chose importante est d'organiser les relations avec notre grand voisin de la façon la plus profitable pour eux et pour nous.
Aussi, je plaide clairement pour la création d'une grande zone économique franco-allemande cohérente et stable au coeur de la zone euro qui nous permettra d'abord de mieux défendre nos intérêts face à la concurrence allemande en gommant nos handicaps fiscaux et sociaux et qui nous permettra ensuite de prendre le leadership des dix-huit pays qui composent notre union monétaire. Inspirons-nous de ce qui marche en Allemagne et des réussites de la France. Imposons un équilibre dans nos rapports. Défendons nos lignes rouges. Contrairement à ce que l'on entend si souvent, c'est parce que nous serons proches des Allemands que notre influence sur eux sera plus forte et notre poids en Europe plus important. Qui peut sérieusement imaginer qu'une France isolée serait en mesure de mieux défendre ses intérêts ? Si les deux plus grandes puissances économiques européennes font le choix de la convergence économique et fiscale, la zone euro en sera profondément renforcée et la stabilité de notre continent assurée...
... Il y a aussi la question essentielle des flux migratoires et la nécessité de préserver la liberté de circulation, qui est un progrès incontestable pour tous. Que chacun ait le droit de circuler librement en Europe est une chance. Elle est d'autant plus à saluer qu'il y a à peine vingt-cinq ans 80 millions de nos frères européens étaient condamnés à vivre derrière le mur de la honte. La honte communiste qui, au nom du refus de la propriété individuelle, avait voulu rendre l'État propriétaire de tout, y compris des hommes, de leurs esprits, de leurs âmes. Cette idéologie mortifère a été mise à bas par le courage de Jean-Paul II, de Lech Walesa, de Vaclav Havel et des peuples eux-mêmes qui se sont révoltés au péril de leur vie contre les oppresseurs. Il ne s'agit donc pas de priver ces peuples de la liberté de circuler après que tant de sang a été versé pour obtenir ce droit.
Cela posé, on ne peut continuer à refuser d'affronter calmement, sereinement, la question de la politique migratoire européenne. Nous sommes ici devant un échec sans appel. D'abord parce que tant de ceux qui sont accueillis le sont si mal, sans logement, sans emploi, sans revenus, que tout espoir d'intégration leur est interdit. Ensuite parce que, alors que l'Europe est le continent le plus ouvert du monde, on ne cesse de le culpabiliser de façon caricaturale. Qui a construit un mur de barbelés de plusieurs milliers de kilomètres, si ce n'est les États-Unis avec le Mexique ? Imagine-t-on le tollé qu'il y aurait eu en Europe dans un tel cas de figure ?
Un dumping social et migratoire
Le détroit de Gibraltar nous met à 12 kilomètres de l'Afrique, le thème de l'immigration zéro est donc une illusion mensongère. Cependant, nous ne pouvons plus continuer ainsi à faire semblant de croire qu'il est encore possible d'accueillir tous ceux qui le souhaitent. C'est une évidence qu'il faut suspendre immédiatement Schengen I et le remplacer par un Schengen II auquel les pays membres ne pourraient adhérer qu'après avoir préalablement adopté une même politique d'immigration. Ainsi serait-il mis fin au détournement de procédure qui permet à un étranger de pénétrer dans l'espace Schengen, puis, une fois cette formalité accomplie, de choisir le pays où les prestations sociales sont les plus généreuses.
Nous n'avons pas voulu l'Europe pour que soit organisé un dumping social et migratoire au détriment quasi systématique de la France. J'affirme que l'on peut être généreux et bouleversé par les événements de Lampedusa et être dans le même temps suffisamment lucide pour ne pas accepter une absence de contrôle de notre politique migratoire qui nous conduit tout droit à la catastrophe. Si nous ne réagissons pas rapidement dans les années qui viennent, c'est notre pacte social qui va exploser !
Enfin, ayons la franchise de dire que le mythe d'une Europe unique a volé en éclats depuis l'adoption de l'euro par dix-huit pays sur vingt-huit. Il n'y a plus une Europe, mais deux. Et, de surcroît, ces deux Europe ont aujourd'hui besoin de refonder leurs stratégies dans des directions différentes. Plus d'intégration pour les dix-huit qui partagent leur souveraineté monétaire : qui peut croire qu'avec la même monnaie, le même institut d'émission, la solidarité dans la gestion de la dette, comme l'a montré la crise grecque, il sera possible de continuer avec des politiques économiques et des niveaux de compétitivité à ce point divergents ? Si nous ne corrigeons pas ces différences rapidement, nous allons connaître des soubresauts aux conséquences incalculables.
Paralysie
Dans le même temps, nous devons cesser de croire au mythe de l'égalité des droits et des responsabilités entre tous les pays membres. Ce n'est faire injure ni à Chypre, ni à Malte, ni au Luxembourg que d'affirmer qu'économiquement leurs poids et leurs responsabilités ne sont pas les mêmes que ceux de la France, de l'Allemagne et de l'Italie, pour ne citer que les principaux. Je le dis aux dirigeants français comme allemands : le leadership n'est pas un droit, c'est un devoir. C'est à l'Allemagne et à la France d'assumer la plus grande part de la responsabilité dans la conduite du gouvernement économique de la zone euro. Personne ne pourra le faire à leur place. Or, pour des raisons historiques et politiques, l'Allemagne comme la France ne peuvent exercer seules ce leadership. Leur légitimité tient de leur engagement commun. Qu'un des partenaires défaille, et c'est tout l'équilibre qui est mis à bas. L'absence de leadership met l'Europe en danger car sans vision, sans cap et sans priorité.
Quant à l'Europe des vingt-huit, c'est à elle qu'il reviendra d'assumer les plus grands changements. On voit bien aujourd'hui le véritable état de paralysie dans lequel elle se trouve. On imagine ce que serait sa situation si nous n'avions pas arrêté le processus d'intégration à marche forcée de ce grand pays qu'est la Turquie dans notre Union ! Alors que, dans le même temps, nous courons le risque d'une sortie du Royaume-Uni dans la perspective de son prochain référendum. Il nous faut regarder l'Union européenne d'aujourd'hui avec lucidité. Elle ne peut fonctionner à vingt-huit comme elle le faisait à six, à neuf ou même à douze. Je crois sincèrement qu'il n'y aura pas d'autre alternative que celle qui consistera à diminuer drastiquement l'étendue des compétences communautaires. La situation d'aujourd'hui est à la limite du ridicule et nous condamne à l'impuissance. Nous devons repenser de fond en comble la répartition des compétences de l'Union et des États pour gagner en lisibilité et en efficacité.
L'Europe a fini par engendrer un labyrinthe administratif avec la Commission et ses services qu'il faut bien occuper. Résultat, des centaines de directives sur les sujets les plus divers et souvent les plus futiles. Il faut aujourd'hui supprimer au moins la moitié des actuelles compétences communautaires, qui devront demain être assumées par les États nationaux, et regrouper les compétences de l'Europe en une petite dizaine de politiques prioritaires et fondatrices : l'industrie, l'agriculture, la concurrence, les négociations commerciales, l'énergie, la recherche...
Cap
Faire de la commission et de son président les boucs émissaires commodes de nos difficultés ne serait pas juste et je m'y suis, pour ma part, toujours refusé. Pour autant, la Commission ne devrait plus avoir de compétences législatives, puisqu'il y a un Parlement européen. C'est à lui et à lui seul de légiférer. La Commission demeurera un organisme chargé de la mise en oeuvre, du contrôle et éventuellement de la sanction. Ce qui représente déjà de bien lourdes responsabilités.
Au-delà des mécanismes, il est urgent de nous redonner un cap. À l'heure où le chômage atteint des niveaux inégalés, à l'heure où l'austérité frappe durement nombre d'Européens, le volontarisme ne serait plus de mise ? Je ne peux le croire et je ne peux l'accepter.
Il y aurait encore tant d'autres choses à dire, de propositions à faire, de perspectives à inventer. Mais il est temps de conclure, alors je veux me concentrer sur l'essentiel. Nulle part dans le monde ailleurs qu'en Europe on n'a eu l'intelligence et la sagesse d'inventer un système aussi original et élaboré au service de la paix. Ses dérives doivent être corrigées, mais le projet doit être préservé. C'est une question de civilisation. Ne laissons ni aujourd'hui ni demain détruire ce trésor !
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