Elle a l’air tellement importante, cette audience papale qu’espère Nicolas Sarkozy, on nous la fait vivre des jours à l’avance, sans en connaître la date, sans même savoir si elle aura lieu!
Mais il faut communiquer sur une confession de résilience, comme si la promesse d’une absolution pouvait effacer les doutes de l’Eglise sur la politique rom de la France…
On ne remuera pas ici les souvenirs d’un discours au Vatican et du curé plus moral que l’instituteur ; on ne relancera pas la polémique sur un Président en rupture avec la laïcité: Benoît XVI n’est pas un interlocuteur indigne de la France, quand son honneur est en jeu. Cette course au pape ne choque que par contraste avec le mépris absolu qu’affiche le pouvoir envers toutes les autres critiques, et ce depuis des semaines.
Jeudi dernier, la France a fait basculer le Parlement européen, du centre droit au centre gauche, forgeant contre elle une alliance entre les gauches, les écolos, les chrétiens progressistes et les libéraux, tous unis pour lui demander l’arrêt des expulsions… Ce que la France, évidemment, ne fera pas, ignorant superbement les représentants du peuple européen. A la veille de la présidence française du G20, nous voilà cornerisés politiquement, quand nous n’avons jamais autant eu besoin de l’Europe. Nicolas Sarkozy, qui avait si bellement présidé, réveillé et entraîné l’Union dans la crise, dilapide son capital européen dans une opération de démagogie intérieure, et ne s’en préoccupe pas, juste inquiet de réparer avec un vieil homme de foi.
Le choix est politique, sans doute ; politicien, s’il s’agit de rameuter les cathos indignés sans perdre les réacs anti-Roms. Mais politique d’abord: il révèle autre chose, une soustraction que s’inflige ce pouvoir. Sait-il qu’elle lui fait perdre ce qu’il avait de rare et d’essentiel? Nicolas Sarkozy avait deux talismans, dans sa conquête et au début de son règne : la modernité et le conservatisme, l’audace et le ressourcement, l’ouverture et la conscience du passé. Il avait l’appétit des bouleversements, le pari de rendre la France au monde, tout en la rassurant dans son identité. Il avait l’Europe, et il avait le pape, et il voulait les deux, plus fort que ses adversaires, insaisissable parce que plus complexe que ses caricatures. Cette période est révolue. Nicolas Sarkozy se droitise et se banalise au rythme de son affaiblissement.
Ce que la séquence rom révèle, c’est le renoncement au monde, au profit d’un repli protestataire, un souverainisme hautain et dérisoire. La France se défend des Roms, elle se défend des eurodéputés, elle cultive
ses peurs devant une Europe consternée, elle se barricade sous les lazzis et feint de s’en moquer. Elle n’admet qu’une seule critique, ou ne recherche qu’une caution: celle d’un pape pris comme parangon des valeurs conservatrices, dont on n’est même pas sûr qu’il marchera dans la combine. Nicolas Sarkozy avait l’Europe et le pape? Seul le pape lui importe désormais, et s’il se trouve, seulement pour une photo.
Claude Askolovitch