Il n'est pas certain que Charles de Gaulle aurait savouré l'unanimisme qui le célèbre. Était-ce une ultime marque d'orgueil, ou l'arme du détachement ? Le testament du grand homme, écrit en 1954, montre à quel point il aspirait à une éternité dépouillée d'hommages bruyants. Redoutait-il par avance la confiscation de son héritage par ses propres soutiens ? Persuadé de l'unicité de sa propre destinée, il n'avait d'ailleurs jamais reconnu aucun gaullisme. Mais celui qui resta toute sa vie un général de brigade - avec seulement deux étoiles sur les épaulettes - aurait été ému de voir ses derniers compagnons vivants revenir à Londres pour commémorer le 18 juin. La simplicité avec laquelle ces hommes racontent leur décision de tout laisser derrière eux pour continuer le combat lui aurait plu. Comme tant de vrais héros, certains d'entre eux ont si peu le goût des honneurs qu'ils n'avaient jamais sollicité une décoration, avant que cet anniversaire très scénarisé ne les sorte de l'ombre. De quoi faire réfléchir au passage sur le sens d'une Légion d'honneur si galvaudée qu'elle en oublie certains grands Français... « L'appel » - les premiers appels, en fait - c'est le manifeste spontané de tout un personnage qui, plus tard, définira la vie comme « un combat, pour un homme comme pour une nation ». On ne saura jamais à quel point l'inspiration littéraire du rebelle solitaire contribua à la force de rassemblement qu'il sut patiemment faire triompher. Cette voix surgie de la nuit parvint à incarner « l'esprit de résistance », évoqué tout au long des cérémonies d'hier, qui ne saurait être prisonnier des années les plus noires du XXe siècle. Dire non ? Une capacité fondamentalement moderne pour refuser l'inacceptable. Une valeur pleine de panache quand elle refuse toute forme de compromis avec l'inacceptable. Une valeur en baisse, aussi - au-delà des mots allégoriques - dans une époque où tant de renoncements trouvent toujours de faciles justifications. Dans l'univers politique, comme dans le monde de l'entreprise, qui ose encore se dresser devant les diktats qui sont autant de défaites morales acceptées si souvent par lâcheté plus que par conviction ?
Olivier Picard