C'est le président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Jakob Kellenberger, qui l'affirme: il faut se "prépar au pire en Libye", soulignant n'avoir "aucun problème" à utiliser le "terme de guerre civile."
«Nous devons toujours nous préparer au pire. Dans ce cas spécifique, nous devons nous préparer à une intensification des combats», a-t-il insisté. "Je crois comprendre maintenant que nous avons un conflit armé non international", a-t-il ajouté.
Par ailleurs, sur le terrain, la situation est toujours très tendue. Et ce jeudi matin, le régime du colonel Mouammar Kadhafi a lancé de nouveaux raids aériens dans la région stratégique de Ras-Lanouf, ville pétrolière tenue par les insurgés.
De son côté, la France a reconnu le Conseil national de transition (CNT) libyen, qui réunit l'opposition au régime du colonel Kadhafi, comme le seul "représentant légitime du peuple libyen" et enverra prochainement à Benghazi un ambassadeur.
jeudi 10 mars 2011
Libye: il faut "se préparer au pire"
Le Parlement nomade
Si l’on s’en tient aux réalités matérielles, le partage du Parlement de l’Union européenne entre deux métropoles n’est pas rationnel. Il va de soi que les déplacements périodiques entre Bruxelles et Strasbourg engendrent des coûts, des complications, et sans doute même les fatigues bien humaines dont nombre d’élus se plaignent.
Dispendieuse a été la construction parallèle de deux majestueux palais parlementaires, dans la capitale belge et dans celle de l’Alsace. Chacune de ces cités chargées d’histoire a de respectables arguments pour défendre « son » monument voué au pouvoir législatif de l’Union ; il n’empêche que le dédoublement des chantiers a contribué au déficit d’affection dont l’Europe politique souffre auprès des opinions publiques.
Aujourd’hui, les ouvrages sont certes achevés (cependant que leur entretien continue de multiplier les charges), mais la réalité d’une assemblée pratiquant le nomadisme entre ces hémicycles jumeaux ne peut pas paraître logique à des citoyens appelés à la rigueur. L’inévitable empreinte carbone fournit un argument supplémentaire aux adversaires des sessions à bascule, mais cet aspect du problème pourrait être résolu en érigeant l’europarlement en pionnier des transports alternatifs, collectifs et sans énergie fossile.
La difficulté est donc politique. Sur ce terrain, il faut privilégier deux facteurs : le droit et la réalité. Des traités définissent le fonctionnement de l’Union, et notamment celui de son assemblée ; il convient de s’opposer à toute initiative qui déborde de leur cadre. Ensuite, la réalité est que l’UE n’est ni un pays, ni un État, et n’a donc pas vocation à avoir une capitale centralisant les pouvoirs. Il était convenu dès sa création que ses membres se partageraient les institutions, afin d’éviter la formation d’un noyau de suzerains, voire d’un centre dirigeant unique, au-dessus de nations vassales.
Avec Strasbourg, la France a reçu le Parlement ; Bruxelles est le siège de l’exécutif. Personne ne demande à ce que ce dernier soit émietté. Ceux qui proposent de concentrer le travail des élus près de l’Ill ne sont pas déraisonnables.
Paysage français
Un paysage plombé par de gros nuages. Avec la présidente du Front national en tête des sondages pour 2012 et un ancien président de la République qui échappe, au dernier moment, au prétoire, la ligne d’horizon politique de la France a pris, tout à coup, une allure bizarre aux yeux des parlementaires européens. Aperçue depuis les rives de l’Ill et des halls paisibles du Parlement européen, Paris ne brûle pas, certes, mais son image s’est quelque peu lézardée.
Quand l’ultra droite progresse un peu partout dans l’Europe des Vingt-sept, « le pays des Droits de l’homme » envoie à son tour un message de vulnérabilité morale à ses partenaires. Il n’est pas le seul dans ce cas, certes, mais ce phénomène a un retentissement symbolique particulier. Les démocrates qui, comme en Hongrie, résistent à l’affermissement de régimes nationalistes musclés, voient d’un très mauvais œil la montée d’un populisme bleu blanc rouge.
Le malaise français est si perceptible qu’il dérange. Si la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de la présidentielle de 2002 pouvait encore apparaître comme un accident, le score flatteur de sa fille ravive les doutes sur la persistance d’un courant antieuropéen et xénophobe qui secoue l’une des nations fondatrices de l’Union.
Nos dernières péripéties hexagonales ne sont pas vues seulement comme des affaires internes. Elles posent, à l’extérieur de nos frontières, des questions sur notre modèle. Le report du procès de Jacques Chirac apparaît, notamment, comme la marque d’une incapacité de notre démocratie à faire le ménage dans le comportement de ses élites. L’ancien chef de l’État souhaitait être jugé une bonne fois pour toutes, nul doute qu’il aurait préféré en finir avec cette interminable procédure, mais l’habileté des avocats des co-prévenus en a décidé autrement…
Il est clair que la coïncidence de cet agenda judiciaire avec le sondage-choc de dimanche aura des effets dévastateurs. Le nouveau délai confortera les supporters de Marine Le Pen dans l’idée que « l’UMPS » -qu’ils raillent- est incapable de s’amender et que la République irréprochable n’est toujours pas à l’ordre du jour.
Ce discours anti-establishment est d’autant plus efficace que le Front national n’a jamais gouverné et en apparaît d’autant plus vierge. Le mouvement n’est pas plus « propre » que ceux qui l’attaquent pourtant. Il a aussi montré que ses rivalités internes pouvaient être encore plus violentes que dans les partis classiques mais elles sont seulement plus discrètes et moins médiatisées. Marine Le Pen a l’avantage de ripoliner la façade du FN dont elle fait oublier l’intérieur.
De son côté, l’équipe sarkozyste a quatorze mois pour redresser la barre. C’est très court pour obtenir le permis de bonne conduite qu’on attendait d’elle sur cinq ans.
Un paysage plombé par de gros nuages. Avec la présidente du Front national en tête des sondages pour 2012 et un ancien président de la République qui échappe, au dernier moment, au prétoire, la ligne d’horizon politique de la France a pris, tout à coup, une allure bizarre aux yeux des parlementaires européens. Aperçue depuis les rives de l’Ill et des halls paisibles du Parlement européen, Paris ne brûle pas, certes, mais son image s’est quelque peu lézardée.
Quand l’ultra droite progresse un peu partout dans l’Europe des Vingt-sept, « le pays des Droits de l’homme » envoie à son tour un message de vulnérabilité morale à ses partenaires. Il n’est pas le seul dans ce cas, certes, mais ce phénomène a un retentissement symbolique particulier. Les démocrates qui, comme en Hongrie, résistent à l’affermissement de régimes nationalistes musclés, voient d’un très mauvais œil la montée d’un populisme bleu blanc rouge.
Le malaise français est si perceptible qu’il dérange. Si la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de la présidentielle de 2002 pouvait encore apparaître comme un accident, le score flatteur de sa fille ravive les doutes sur la persistance d’un courant antieuropéen et xénophobe qui secoue l’une des nations fondatrices de l’Union.
Nos dernières péripéties hexagonales ne sont pas vues seulement comme des affaires internes. Elles posent, à l’extérieur de nos frontières, des questions sur notre modèle. Le report du procès de Jacques Chirac apparaît, notamment, comme la marque d’une incapacité de notre démocratie à faire le ménage dans le comportement de ses élites. L’ancien chef de l’État souhaitait être jugé une bonne fois pour toutes, nul doute qu’il aurait préféré en finir avec cette interminable procédure, mais l’habileté des avocats des co-prévenus en a décidé autrement…
Il est clair que la coïncidence de cet agenda judiciaire avec le sondage-choc de dimanche aura des effets dévastateurs. Le nouveau délai confortera les supporters de Marine Le Pen dans l’idée que « l’UMPS » -qu’ils raillent- est incapable de s’amender et que la République irréprochable n’est toujours pas à l’ordre du jour.
Ce discours anti-establishment est d’autant plus efficace que le Front national n’a jamais gouverné et en apparaît d’autant plus vierge. Le mouvement n’est pas plus « propre » que ceux qui l’attaquent pourtant. Il a aussi montré que ses rivalités internes pouvaient être encore plus violentes que dans les partis classiques mais elles sont seulement plus discrètes et moins médiatisées. Marine Le Pen a l’avantage de ripoliner la façade du FN dont elle fait oublier l’intérieur.
De son côté, l’équipe sarkozyste a quatorze mois pour redresser la barre. C’est très court pour obtenir le permis de bonne conduite qu’on attendait d’elle sur cinq ans.
Les vertus de la prudence en politique
Tout comme la France, l'Allemagne a été marquée par la démission récente d'un des membres les plus éminents de son gouvernement. Ministre de la Défense, Karl Theodor Zu Guttenberg, étoile montante de la famille chrétienne-démocrate, a été contraint à quitter le gouvernement d'Angela Merkel. Un professeur de droit de Hambourg a en effet démontré qu'une grande partie de la thèse de doctorat en droit, soutenue par le jeune ministre à l'université de Bayreuth, était purement et simplement du plagiat.
A priori, l'affaire semble très différente du cas de l'ancienne ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, qui a été obligée de démissionner parce qu'elle avait passé des vacances avec des proches de l'ex-président tunisien Ben Ali, alors que les soulèvements populaires avaient commencé en Tunisie.
Ces deux événements rejoignent une même interrogation, très ancienne dans la philosophie occidentale : pourquoi convient-il d'être prudent ? La prudence avait déjà été largement pensée par les Grecs anciens, et en particulier par Aristote. Pour ce dernier, « la vertu morale assure la rectitude du but que nous poursuivons, et la prudence celles des moyens pour parvenir à ce but ». L'homme prudent est ainsi celui qui délibère sur les moyens nécessaires pour parvenir à une fin qui est droite.
Lorsque l'on est un personnage public dans une société libre, que ce soit en politique ou dans d'autres fonctions, la rectitude et la prudence doivent s'imposer, plus que pour tout autre homme, comme un devoir. L'oubli de ces vertus ne peut conduire qu'à la sanction de la cité.
Pour Karl Theodor Zu Guttenberg, c'est le but de la rectitude qui a été oublié. On ne saurait acquérir le titre de docteur en droit, parce que le « Herr Doktor » confère du prestige en Allemagne, en bafouant les règles de l'université. Pour Michèle Alliot-Marie, c'est le moyen de la prudence qui a été omis. Lorsque l'on est une responsable politique, on fait attention aux amis que l'on fréquente et aux privilèges matériels que ceux-ci pourraient vous offrir (fut-ce un voyage en avion privé).
Notre société de l'action rapide tend à faire oublier la vertu de la prudence. Plus exactement, elle la réduit trop facilement à la seule habileté. Or la prudence n'est pas l'équivalent de l'habileté. Ponce Pilate, préfet de Judée, était un homme habile, mais non prudent lorsqu'il se disait « innocent du sang du juste » Jésus.
Les politiciens ne peuvent pas être à l'abri des erreurs. Les sociétés démocratiques ont cependant le droit de leur rappeler que, parce qu'ils ont été choisis pour défendre le bien commun, leur comportement doit être exemplaire. Il s'agit là d'un enjeu important pour nos démocraties, car n'oublions jamais que certains partis politiques aiment utiliser le thème « tous pourris » pour faire campagne. En France, ceux-là se placent particulièrement bien dans les sondages, alors qu'ils ne sont souvent ni droits ni prudents, et qu'au final ils n'aiment pas beaucoup la démocratie. Il est donc préférable d'éviter de faire leur lit.
(*) Directeur du Centre d'études et de recherches internationales à Sciences Po Paris.
LE COMMENTAIRE POLITIQUE DE CHRISTOPHE BARBIER
LCI - Le commentaire politique de Christophe Barbier du 10 mars 2011 Vidéo LCIWAT sélectionnée dans Actualité
La souffrance au travail est aussi une pathologie politique
Ce ne sont encore que quelques mots glissés à l'oreille d'un ministre (Christine Lagarde), mais ils témoignent d'un début de réaction. Après avoir été longtemps contraints à l'empathie et à la compassion face aux suicides survenus ces dernières années dans leur entreprise, tétanisés qu'ils étaient par la peur du syndrome Lombard - du nom de l'ancien PDG de France Télécom qui avait fait scandale, en septembre 2009, en évoquant une « mode » du suicide dans son groupe -, des dirigeants d'entreprises confrontées à ces drames en série (Renault, France Télécom-Orange, La Poste...) commencent à souligner les effets pervers d'une « sociologisation » de la souffrance professionnelle. Auscultée, analysée, médiatisée à l'excès, celle-ci finit par réinterpréter notre relation au travail en relation oppressive par nature. Un problème de management et d'organisation du travail devient « une mise en cause générale de la condition contemporaine du travail », pour reprendre l'expression du philosophe Emmanuel Renault, auteur de « Souffrances sociales » (1).
Bien sûr, il n'est nullement question de nier la réalité d'un phénomène qui concerne, pour l'essentiel, des entreprises de grande taille. L'essor du management par objectifs, de la culture du résultat et de l'évaluation individuelle, rendus encore moins soutenables quand la crise vient contrarier la performance ; la conduite parfois rugueuse de restructurations exigées par la concurrence et les impératifs de rentabilité ; le déclin du travail en coopération ; une tolérance moins forte à des tâches hier endurées mais aujourd'hui marquées du sceau de la pénibilité ; le profil heurté de carrières plus souvent qu'auparavant frappées de précarité ; la nécessité d'apprendre, parfois sur le tard, de nouveaux métiers dans une entreprise dont le coeur de l'activité est battu en brèche - par exemple, la distribution du courrier à La Poste -tout ceci induit, hormis des atteintes parfois physiques, un stress professionnel pouvant aggraver, jusqu'au drame, des fragilités personnelles préexistantes.
Si les conditions de travail créent une souffrance aujourd'hui bien documentée, il faut, cependant, se garder d'en tirer la moindre conclusion de portée générale sur sa place dans l'enchaînement qui conduit à l'acte suicidaire, tant celui-ci obéit à des déterminants à la fois bien plus intimes et complexes. Même lorsqu'il est intervenu sur le lieu de travail - et ce choix-là est rarement insignifiant -, un suicide ne se prête jamais à autopsie psychique, n'en déplaise à des syndicats comme SUD qui voudraient y voir un lien de causalité. « Si l'on excepte les suicides collectifs, l'euthanasie, les attentats suicides et les braves qui s'immolent pour défendre la liberté d'un peuple opprimé, nul ne sait - et n'est en droit de dire -pour quelles raisons un homme choisit de mettre fin à ses jours », soulignait justement, fin janvier, le philosophe Raphaël Enthoven quelques jours après le suicide d'un postier de Vitrolles, le cinquième depuis le début de l'année à La Poste des Bouches-du-Rhône (2).
A côté du philosophe, le statisticien rappellera que, dans une entreprise de la taille de La Poste (280.000 salariés), aussi peuplée que la ville de Strasbourg, compter entre 60 et 70 cas de suicides par an est, hélas, dans la triste moyenne française. Pourtant, sur le terrain, les syndicalistes de la CGT, et plus encore ceux de SUD, font rarement preuve de prudence, sinon de pudeur, dans l'interprétation de ces faits. Communs à de grands groupes, ces suicides font plus encore qu'étayer leurs revendications sur l'organisation du travail dans l'entreprise - celle-ci étant devenue la nouvelle question sociale après qu'ont été successivement relégués au second plan l'emploi, les salaires, puis les conditions de travail. Aux yeux de ces militants syndicaux d'extrême gauche, ces drames de la souffrance alimentent, en effet, la critique politique d'un modèle « néolibéral » censé poursuivre par d'autres moyens l'aliénation du travailleur, et l'atteindre jusque dans sa vie privée.
Il n'est pas fortuit que, à France Télécom et à La Poste, là où les suicides ont été surexploités, SUD soit en position de force, deuxième organisation syndicale, derrière la CGT, avec quelque 22 % des voix aux dernières élections professionnelles. Ces syndicats sont parvenus à renverser la symbolique du travail, vécu comme douloureux par nature (et non plus par dérive), et de l'entreprise, considérée par elle-même comme lieu de souffrance. C'est beaucoup de cette perception qui s'est exprimée, l'an dernier, dans la contestation de la réforme des retraites, la retraite étant vécue comme un âge d'or de la vie par opposition à la longue endurance professionnelle.
Cette analyse n'est pas partagée, loin de là, par tous les syndicats. « La souffrance psychologique au travail est la résultante de problèmes d'organisation, de gestion ou de management, mais elle n'est pas un postulat. Pour nous, le travail est d'abord une source d'enrichissement personnel et d'apprentissage de l'autonomie, un élément d'émancipation et d'épanouissement », défend Marcel Grignard, secrétaire national et « tête pensante » de la CFDT. Pour son procès du travail contemporain, SUD trouve des alliés objectifs dans les cabinets spécialisés en prévention du stress, comme Ifas, Stimulus ou Technologia, auxquels le ministère des Affaires sociales a ouvert un marché (estimé, dès 2009, à une quinzaine de millions d'euros) avec les accords de prévention des risques psychosociaux. Souvent dirigés par des psychiatres, ces cabinets ont contribué à placer la relation de travail dans le champ très privé de la psychologie. Paradoxe, puisque cela sape la légitimité de l'action syndicale. Conscients du danger, les syndicats de La Poste viennent, discrètement, de s'engager auprès de la direction - mais sans être certains d'être suivis par leurs bases -à ne plus monter en épingle chaque cas de suicide.
Ce ne sont encore que quelques mots glissés à l'oreille d'un ministre (Christine Lagarde), mais ils témoignent d'un début de réaction. Après avoir été longtemps contraints à l'empathie et à la compassion face aux suicides survenus ces dernières années dans leur entreprise, tétanisés qu'ils étaient par la peur du syndrome Lombard - du nom de l'ancien PDG de France Télécom qui avait fait scandale, en septembre 2009, en évoquant une « mode » du suicide dans son groupe -, des dirigeants d'entreprises confrontées à ces drames en série (Renault, France Télécom-Orange, La Poste...) commencent à souligner les effets pervers d'une « sociologisation » de la souffrance professionnelle. Auscultée, analysée, médiatisée à l'excès, celle-ci finit par réinterpréter notre relation au travail en relation oppressive par nature. Un problème de management et d'organisation du travail devient « une mise en cause générale de la condition contemporaine du travail », pour reprendre l'expression du philosophe Emmanuel Renault, auteur de « Souffrances sociales » (1).
Bien sûr, il n'est nullement question de nier la réalité d'un phénomène qui concerne, pour l'essentiel, des entreprises de grande taille. L'essor du management par objectifs, de la culture du résultat et de l'évaluation individuelle, rendus encore moins soutenables quand la crise vient contrarier la performance ; la conduite parfois rugueuse de restructurations exigées par la concurrence et les impératifs de rentabilité ; le déclin du travail en coopération ; une tolérance moins forte à des tâches hier endurées mais aujourd'hui marquées du sceau de la pénibilité ; le profil heurté de carrières plus souvent qu'auparavant frappées de précarité ; la nécessité d'apprendre, parfois sur le tard, de nouveaux métiers dans une entreprise dont le coeur de l'activité est battu en brèche - par exemple, la distribution du courrier à La Poste -tout ceci induit, hormis des atteintes parfois physiques, un stress professionnel pouvant aggraver, jusqu'au drame, des fragilités personnelles préexistantes.
Si les conditions de travail créent une souffrance aujourd'hui bien documentée, il faut, cependant, se garder d'en tirer la moindre conclusion de portée générale sur sa place dans l'enchaînement qui conduit à l'acte suicidaire, tant celui-ci obéit à des déterminants à la fois bien plus intimes et complexes. Même lorsqu'il est intervenu sur le lieu de travail - et ce choix-là est rarement insignifiant -, un suicide ne se prête jamais à autopsie psychique, n'en déplaise à des syndicats comme SUD qui voudraient y voir un lien de causalité. « Si l'on excepte les suicides collectifs, l'euthanasie, les attentats suicides et les braves qui s'immolent pour défendre la liberté d'un peuple opprimé, nul ne sait - et n'est en droit de dire -pour quelles raisons un homme choisit de mettre fin à ses jours », soulignait justement, fin janvier, le philosophe Raphaël Enthoven quelques jours après le suicide d'un postier de Vitrolles, le cinquième depuis le début de l'année à La Poste des Bouches-du-Rhône (2).
A côté du philosophe, le statisticien rappellera que, dans une entreprise de la taille de La Poste (280.000 salariés), aussi peuplée que la ville de Strasbourg, compter entre 60 et 70 cas de suicides par an est, hélas, dans la triste moyenne française. Pourtant, sur le terrain, les syndicalistes de la CGT, et plus encore ceux de SUD, font rarement preuve de prudence, sinon de pudeur, dans l'interprétation de ces faits. Communs à de grands groupes, ces suicides font plus encore qu'étayer leurs revendications sur l'organisation du travail dans l'entreprise - celle-ci étant devenue la nouvelle question sociale après qu'ont été successivement relégués au second plan l'emploi, les salaires, puis les conditions de travail. Aux yeux de ces militants syndicaux d'extrême gauche, ces drames de la souffrance alimentent, en effet, la critique politique d'un modèle « néolibéral » censé poursuivre par d'autres moyens l'aliénation du travailleur, et l'atteindre jusque dans sa vie privée.
Il n'est pas fortuit que, à France Télécom et à La Poste, là où les suicides ont été surexploités, SUD soit en position de force, deuxième organisation syndicale, derrière la CGT, avec quelque 22 % des voix aux dernières élections professionnelles. Ces syndicats sont parvenus à renverser la symbolique du travail, vécu comme douloureux par nature (et non plus par dérive), et de l'entreprise, considérée par elle-même comme lieu de souffrance. C'est beaucoup de cette perception qui s'est exprimée, l'an dernier, dans la contestation de la réforme des retraites, la retraite étant vécue comme un âge d'or de la vie par opposition à la longue endurance professionnelle.
Cette analyse n'est pas partagée, loin de là, par tous les syndicats. « La souffrance psychologique au travail est la résultante de problèmes d'organisation, de gestion ou de management, mais elle n'est pas un postulat. Pour nous, le travail est d'abord une source d'enrichissement personnel et d'apprentissage de l'autonomie, un élément d'émancipation et d'épanouissement », défend Marcel Grignard, secrétaire national et « tête pensante » de la CFDT. Pour son procès du travail contemporain, SUD trouve des alliés objectifs dans les cabinets spécialisés en prévention du stress, comme Ifas, Stimulus ou Technologia, auxquels le ministère des Affaires sociales a ouvert un marché (estimé, dès 2009, à une quinzaine de millions d'euros) avec les accords de prévention des risques psychosociaux. Souvent dirigés par des psychiatres, ces cabinets ont contribué à placer la relation de travail dans le champ très privé de la psychologie. Paradoxe, puisque cela sape la légitimité de l'action syndicale. Conscients du danger, les syndicats de La Poste viennent, discrètement, de s'engager auprès de la direction - mais sans être certains d'être suivis par leurs bases -à ne plus monter en épingle chaque cas de suicide.
Mauvaise voix
Une bonne idée mal exécutée a peu de chances de réussir. Une mauvaise idée, même bien mise en oeuvre, échoue le plus souvent. Une mauvaise idée mal transformée est, quant à elle, irrémédiablement condamnée à l'échec. C'est la triste mésaventure que vivent France 24 et le pôle plus large dit « Audiovisuel extérieur de la France » (AEF).
Sur le fond, il est parfaitement légitime que la France cherche à peser dans le débat médiatique mondial. Pour faire entendre sa voix et sa différence, il n'y a rien de choquant à ce que Paris subventionne une chaîne de télévision à vocation internationale. Londres avec la BBC, Doha avec Al-Jazira, Pékin avec CCTV et même Brasilia avec TV Brasil jouent cette carte.
Mais, sur la route menant de l'idée au projet concret, la France a commis deux erreurs majeures. Au-delà des ridicules et déplorables querelles de personnes entre Alain de Pouzilhac, le PDG, et Christine Ockrent, la directrice générale déléguée, la première est de ne pas s'être fixé des ambitions conformes à ses moyens. En voulant parler au monde à la fois en français, en anglais et en arabe, alors que ses ressources étaient limitées, France 24 s'est épuisée. Elle produit certes une information de qualité, mais elle a manqué, par exemple, cruellement de moyens pour accroître sa diffusion. Résultat, France 24 est trop souvent une bonne chaîne que trop peu de personnes peuvent voir. L'idée aurait dû être de rester simple, le projet s'est avéré trop compliqué.
La seconde erreur est d'avoir lancé cette chaîne en 2006 en refusant de faire table rase du passé. Avec l'AFP, RFI, Euronews ou TV5, la France disposait déjà, seule ou en partenariat, public comme privé, de nombreuses voix pour se faire entendre. Elle a préféré rajouter une tranche à ce mille-feuille indigeste, plutôt que de provoquer un big bang, qui aurait incontestablement été douloureux pour certains, mais qui aurait peut-être permis de repartir sur des bases plus saines.
Quand une idée ne fonctionne pas, il faut parfois accepter d'arrêter de s'entêter et envisager des pistes radicales. France 24 devrait peut-être ainsi aujourd'hui se concentrer sur la francophonie. Et la France devrait peut-être étudier sereinement l'idée d'un rapprochement AFP-AEF.
A qui profite le CAC ?
Les profits 2010 des plus grands groupes français ont de quoi impressionner. A près de 83 milliards d'euros au total, ils témoignent du dynamisme de nos champions, de leur capacité à s'adapter à la nouvelle donne. Deux ans après la faillite de Lehman, ils sont en passe de retrouver leur rentabilité d'avant-crise, voire l'ont déjà dépassé pour certains.
Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes globalisés si ne persistait le sentiment que la France dans son ensemble ne bénéficie pas suffisamment de la santé insolente de ses 40 plus grandes entreprises. Une chose est sûre, le contraste est saisissant entre le discours conquérant de ces leaders mondiaux et le pessimisme ambiant d'un pays en proie au doute face aux défis de l'après-crise.
Mais comment pourrait-il en être autrement ? Dans un monde où la croissance est d'abord hors de nos frontières, nos champions sont tournés vers l'international, qui représente d'ores et déjà les trois quarts de leur activité en moyenne et la plus grande part de leurs profits. Quant au grand large, il concentre désormais l'essentiel de leurs investissements. Alors, bien sûr, on peut reprocher aux patrons du CAC de se désengager du site France. De ne pas assez contribuer à la croissance du pays ou à la réduction du chômage en y localisant une part plus importante de leur production. Et surtout de se comporter avec les PME hexagonales en donneurs d'ordre inflexibles plutôt qu'en partenaires de long terme, susceptibles de faire émerger un écosystème. C'est-à-dire de ne pas s'inspirer assez de leurs homologues allemands.
De là à leur faire un procès en désertion, il n'y a qu'un pas qu'on aurait tort de franchir. D'abord parce que le CAC 40, c'est près de 1,7 million de salariés en France, soit 10 % de l'emploi privé du pays environ. Des salariés en prise directe avec cette prospérité à travers des rémunérations plus généreuses qu'ailleurs. Ensuite, parce que, quoi qu'on en dise, disposer de groupes mondiaux battant pavillon français est un atout important. La nationalité du siège social impose des devoirs sans lequel un certain nombre d'usines et de centres de recherche auraient été délocalisés depuis longtemps.
Cela ne signifie pas qu'il faut exonérer les groupes du CAC 40 de toute obligation vis-à-vis du pays. Mais plutôt qu'il faut s'interroger sur le moyen de préserver cette spécificité française et sur les mesures à prendre pour élargir ce club restreint à plus de 40 valeurs.
Libérer Paris !
Un récent sondage a donné une image assez flatteuse de la gestion du maire de Paris, Bertrand Delanoë. Dans plusieurs domaines importants, sa politique recueille une large approbation, notamment l'animation culturelle et le développement des transports en commun. Elle est toutefois critiquée sur d'autres points. S'agissant de la circulation automobile, l'opinion parisienne est un peu schizophrène car on ne peut pas vouloir à la fois plus de transports en commun et plus d'espace pour la circulation des véhicules particuliers. S'agissant de la propreté des rues, la responsabilité de la Ville est engagée, encore que chaque citoyen pourrait s'en prendre d'abord à lui-même : en Allemagne ou dans l'Europe du Nord, jeter un papier, un sac plastique ou un détritus par terre est considéré comme un incivisme quasi délictuel.
Mais l'essentiel n'est pas là. Il est dans la dénonciation de l'insuffisance de la politique municipale en matière d'emploi et, surtout, de logement. Mais à qui la faute ? On l'a dit et répété, les limites administratives des vingt arrondissements de Paris, renforcées par la marque symbolique du boulevard périphérique, sont la résultante d'une histoire politique dont tout démontre aujourd'hui qu'elle est totalement dépassée. Paris est plein comme un oeuf et il est physiquement impossible d'y implanter à grande échelle de nouvelles activités industrielles et de nouveaux programmes de logements. Si rien ne change, elle est condamnée à devenir une ville-musée habitée par des bobos fortunés, ce qu'elle n'a jamais été dans toute sa longue histoire. On connaît très bien la solution : il faut libérer Paris de son carcan administratif et créer un Grand Paris doté d'une autorité politique décisionnelle unique. Autrement dit, faire de l'Ile-de-France actuellement impotente une structure copiée sur un Land allemand. Plutôt que de parler de la messe en latin - pardon, de la construction de mosquées -, les candidats à la présidentielle de 2012 feraient mieux de se pencher sur la modernisation de la France et de la ville-monde qui pourrait en être le moteur.
Les dégâts de la Marine
La droite reste majoritaire en France, c’est pour cela qu’elle a gagné les élections présidentielles de 1995 et de 2007. Le problème c’est qu’aujourd’hui cette droite est coupée en deux moitiés presque égales. Une droite modérée dite « de gouvernement », celle qui derrière Nicolas Sarkozy a fait des réformes et tenté d’endiguer les conséquences de la crise avec des résultats médiocres pour ne pas dire piteux sur l’emploi, le pouvoir d’achat voire la sécurité et l’immigration. Et une droite extrême, dégagée des oripeaux fachos de Jean-Marie Le Pen, incarnée par le sourire carnassier de Marine Le Pen, qui a su capter à son profit la désespérance sociale tout en la traitant avec une pure démagogie et en préconisant la sortie de l’euro. En 2007 Nicolas Sarkozy, par surprise, sans faire trop de concessions, a réussi à faire au premier tour une OPA sur la moitié de l’électorat FN. En 2012 tout indique qu’il ne pourra pas rééditer cet exploit et qu’il est à un tournant stratégique : ou bien il fait du Chirac rassembleur dans la droite molle et centriste ou bien il donne dans la droite dure et populiste pour bien segmenter la droite et la gauche. Ce qui est difficile voire impossible c’est d’essayer de faire les deux à la fois.
Pour arriver au pouvoir François Mitterrand avait osé briser le tabou d’une alliance avec le Parti communiste pour mieux l’étouffer. Nicolas Sarkozy pourrait-il composer avec le Front national ? Perdre l’élection de 2012 ou perdre son âme ? Mais d’abord ramener Villepin au bercail.
Présidentielle 2012 : Ca va être chaud !
La dernière enquête d’intentions de vote pour la présidentielle de 2012 réalisée par l’Ifop pour France-Soir montre que les différents candidats sont dans un mouchoir de poche.
La dynamique Le Pen se poursuit
Avec, selon les configurations de candidature, des intentions de vote s’établissant à 22% ou 21%, la présidente du Front National confirme sa percée dans les enquêtes pré-électorales. Comparées à la dernière enquête Ifop/France-Soir menée les 16 et 17 février, les intentions de vote progressent de deux points en sa faveur. Au cœur de cette dynamique, réside la capacité de Marine Le Pen à séduire une part croissante de l’électorat de la droite républicaine : un quart des électeurs de Nicolas Sarkozy de 2007 déclare en effet une intention de vote Marine Le Pen (contre 18% lors de l’enquête précédente et 7% en octobre dernier).
Forte incertitude suivant les candidats
Les scores obtenus par Marine Le Pen conduisent aujourd’hui à une incertitude s’agissant de l’ordre d’arrivée des trois principaux candidats au premier tour dans les configurations dans lesquelles Martine Aubry et François Hollande sont testés face à Nicolas Sarkozy et à la Présidente du Front National. Pour autant, celle-ci arrive en troisième position tandis que les candidats socialistes et à un degré moindre Nicolas Sarkozy bénéficient d’un réflexe s’apparentant à un vote utile, à relier aux débats actuels sur la réédition éventuelle d’un 21 avril. Ainsi, il est frappant de relever que les intentions de vote en faveur de la Première secrétaire du PS progressent de 2 points (22% à 24%) quand dans le même temps celles en faveur des candidats écologiste ou se situant à sa gauche reculent. S’agissant du Président, on retrouve un phénomène analogue (24%, +1 point avec en parallèle baisse des intentions de vote en faveur de Dominique de Villepin et d’Hervé Morin) venant compenser partiellement les pertes sur sa droite.
L’exception DSK
A l’instar de nos mesures d’enquêtes précédentes, Dominique Strauss- Kahn, lorsqu’il est testé, augmente sensiblement le score du Parti Socialiste et devance les autres prétendants socialistes testés. Avec 29% des intentions de vote, il bénéficie encore plus fortement de ce réflexe de vote utile (+3 points depuis le 16-17 février) lui permettant de distancer nettement et Nicolas Sarkozy (23%, +1 points) et Marine Le Pen (21%, +2 points).
Retrouvez l'infographie du sondage en cliquant ici.
Retour de flamme du Front national
Drôle d'ambiance. Quand un sondage plaçant Marine Le Pen devant Nicolas Sarkozy ou n'importe lequel des candidats socialistes au premier tour de la présidentielle devient un fait politico-médiatique majeur - et ce alors même qu'il est réalisé avec des méthodes contestées, qu'il est effectué quatorze mois avant l'élection et sans qu'aucun des candidats ne soit déclaré - c'est signe d'un certain malaise. Une fébrilité générale exagérée ? L'avenir le dira. On peut se pencher sur la technique et la fiabilité des sondages en ligne ou pointer l'écart si faible entre les trois candidats principaux qui fait que, statistiquement, chacun peut être placé en tête. Mais un problème, plus profond, demeure. Il est même double. Tout d'abord, en labourant consciemment les thèmes nationalistes de l'immigration, ou de « l'identité nationale », la majorité et l'Élysée ont clairement joué avec le feu et, indirectement, donné du crédit aux thèses d'une extrême droite déjà reliftée. Nicolas Sarkozy et ses conseillers, avec ce retour de la flamme du FN, en payent aujourd'hui les conséquences. Ensuite, même avec toutes les réserves, l'enquête Harris Interactive confirme la glissade du président, tout comme elle révèle aussi la faiblesse de ses challengers socialistes. Signe qu'il est temps de refaire de la politique, la vraie, celle qui s'attache aux problèmes de la cité et de ses citoyens. Avec des propositions crédibles. D'ici une dizaine de jours, le premier tour des cantonales aura, lui, valeur de sondage d'une tout autre ampleur.
Inscription à :
Articles (Atom)