dimanche 26 septembre 2010
François Fillon esquisse son avenir post-Matignon
A quelques semaines d'un remaniement annoncé, François Fillon a esquissé dimanche la suite de son parcours politique si d'aventure Nicolas Sarkozy changeait de Premier ministre en novembre.
Dans un reportage consacré à Matignon sur France 2, le chef du gouvernement effectue plusieurs mises au point, notamment sur ses relations avec le président de la République - un "allié" qui n'a "jamais été un mentor" politique.
Il parle de "nouveaux challenges" sans plus de précision, voire avec un soupçon de mystère. "Cela peut être dans la politique ou en dehors de la politique", souligne celui à qui on prête l'intention de briguer la mairie de Paris en 2014.
"Il faut un objectif, il faut se dépasser. Si on ne peut pas se dépasser alors la lassitude et l'ennui certainement finissent par l'emporter", juge l'amateur de courses de vitesse qui prévient qu'il ne recommencera "pas à zéro".
Depuis la fin de l'été, toute une série de sondages a confirmé la popularité du Premier ministre, qui est vu comme le meilleur candidat pour se succéder à lui-même lors du futur remaniement.
Pour les dirigeants socialistes, vu les cotes de popularité inversées du Premier ministre et du chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy est dans une situation inextricable.
Le chef de l'Etat est "pat", estime Jean-Christophe Cambadélis, empruntant au vocabulaire des échecs. "Il ne peut plus jouer. S'il garde François Fillon, on dira que le remaniement est un coup d'épée dans l'eau. S'il jette François Fillon, ce dernier devient immédiatement un recours" à droite, analyse le député de Paris.
CERTAINS "MÉRITERAIENT D'ÊTRE PLUS DISCRETS"
Sur Europe 1 dimanche, Christine Lagarde a loué le travail de François Fillon à la tête du gouvernement. A la question, "François Fillon est-il le bon Premier ministre?", la ministre de l'Economie a répondu: "De mon point de vue bien sûr, mais ce n'est pas à moi d'en juger".
Elle a démenti toute brouille entre François Fillon et Nicolas Sarkozy. "Il y a une complicité de travail, une détermination collective qui les anime", a-t-elle assuré.
Dans le reportage de France 2, tout en rendant hommage à la "détermination" présidentielle, François Fillon livre un plaidoyer pro-domo de ses trois ans et demi à Matignon.
"L'impulsion du président de la République donne la direction mais sans la tour de contrôle (de Matignon), sans les mécaniciens de l'interministériel, le pays, l'administration, ça ne fonctionne pas", explique François Fillon, qui n'avait pas apprécié être relégué au rang de "collaborateur" de l'Elysée à l'été 2008.
"Avec Nicolas Sarkozy, notre histoire, c'est l'histoire d'une alliance", dit le Premier ministre. "Nicolas Sarkozy n'a jamais été mon mentor".
Fin août déjà, il avait dit assumer ses "différences" avec le chef de l'Etat, reconnaissant entre autres qu'il n'aurait pas utilisé les mêmes mots que Nicolas Sarkozy lors du discours sur la sécurité prononcé fin juillet à Grenoble.
"J'ai choisi de l'aider à être président de la République et je m'en félicite tous les jours", assure dimanche François Fillon, qui n'hésite cependant pas à égratigner le style de Nicolas Sarkozy, sans le citer et avec des mots pesés au trébuchet.
"Je pense qu'il y a des gens qui mériteraient d'être plus discrets", dit-il. "Moi, il faut que je me force pour l'être moins", ajoute-t-il avant d'éclater de rire.
Avec Clément Guillou
Le Français mange 6 kilos de poisson par jour... C'est bien trop !
Surexploitation des océans pour des populations suralimentées
Cette étude menée par Daniel Pauly avec les complicités de l'Université de Columbia et de la Fondation Pew sera publiée dans le numéro d'octobre de National Geographic. Au-delà d'établir un classement, son objectif est de dénoncer publiquement l'immense pression halieutique exercée par les 20 pays les plus gros consommateurs de poissons. La France se situe au 11e rang des nations, derrière la Chine (empreinte de 693 millions de tonnes), le Japon (581 MT), les Etats-Unis (348 MT), l'Indonésie (282 MT), la Thaïlande (242 MT), l'Espagne (177 MT), l'Inde (174 MT), la Corée du Sud (149 MT), la Norvège (145 MT), les Philippines (138 MT). Si on divise ces chiffres par le nombre d'habitants de chaque pays, on constate avec stupéfaction que le plus gros mangeur de poissons est le Norvégien avec 90 kilos par jour ! Très, très loin devant le Chilien (15 kilos) et le Japonais (12,6 kilos). Sans doute est-ce dû à leur prédilection pour les poissons carnivores comme le saumon et le thon. Une étude copubliée récemment par la Banque mondiale et la FAO affirme que même en réduisant de moitié la flotte de pêche mondiale, les captures de poisson bafoueraient encore les critères du développement durable.
Le plus révoltant dans cette surexploitation des océans, c'est qu'elle est en grande partie pratiquée pour nourrir les populations déjà suralimentées des pays riches. Au détriment des milliards d'habitants du tiers monde dont le poisson constitue souvent l'unique ressource de protéines. Et le plus rageant dans cette histoire, c'est qu'une bonne partie du poisson débarqué en Occident sert à fabriquer des farines animales destinées à l'alimentation du bétail et des poissons d'aquaculture. Si je peux mettre mon grain de sel : c'est toujours avec un certain malaise que j'entends les médecins et les pouvoirs publics inciter à manger toujours plus de poisson sous prétexte que c'est bon pour la santé. Mais n'est-elle pas déjà éclatante en comparaison de celle des Africains et de beaucoup d'Asiatiques ? Le poisson n'est pas le seul pourvoyeur d'omega-3 (si tant est que notre organisme en ait réellement besoin). On en trouve également dans les huiles de cameline, de lin, de chanvre et de noix. Alors réduisons notre consommation de poisson, c'est toujours cela que les consommateurs du tiers monde auront...
Le chef du gouvernement dessine l'après-Matignon
À l'heure d'un remaniement annoncé, voilà encore une interview de François Fillon que Nicolas Sarkozy ne devrait sûrement pas aimer. Dans l'entretien que le premier ministre a accordé à France 2 (qui sera diffusé dimanche à 13h15), il continue de baliser, mine de rien, le chemin qui le conduit vers l'après-Matignon. Bien sûr, les mots du chef du gouvernement sont pesés au trébuchet et son attitude toujours impeccable. Pas question de tomber dans la déloyauté vis-à-vis du président. Trois ans et demi après sa nomination, il ne commettra pas cette lourde erreur. Mais au fil du reportage, il apparaît en filigrane le portrait d'un François Fillon bientôt libéré de sa charge de premier ministre, prêt à relever de nouveaux challenges et terriblement ambitieux.
Car ses confidences au journaliste Laurent Delahousse éclairent un peu plus l'état d'esprit de cet homme si secret mais toujours maîtrisé. Le premier ministre n'esquive pas les questions sur ses relations avec le président. «Avec Nicolas Sarkozy, on a fait une alliance. J'ai choisi de l'aider à être président de la République et je m'en félicite tous les jours. Mais Nicolas Sarkozy n'est pas mon mentor», insiste l'ombrageux Fillon. Celui qui fut traité de «collaborateur» par Sarkozy, au début du quinquennat, remet donc les pendules à l'heure.
Interrogé sur son effacement médiatique, il se permet une étonnante mise au point: «Je pense qu'il y a des gens qui mériteraient d'être plus discrets», dit-il dans un inhabituel et audacieux éclat de rire. S'il ne cite pas le nom de Nicolas Sarkozy, l'allusion est transparente, d'autant qu'il ajoute: «Moi il faut que je me force pour être moins discret…»
«Je ne recommencerai pas au bas du terrain»
Entrecoupé de propos de ses prédécesseurs (Michel Rocard, Jean-Pierre Raffarin, Lionel Jospin, Laurent Fabius), ce film sur la vie de premier ministre prend rapidement les allures d'un documentaire centré sur un seul thème: comment François Fillon a réussi l'exploit d'échapper à l'enfer de Matignon. Il est probablement l'un des seuls à quitter ce poste plus fort qu'il n'y est entré. Filmé à Matignon dans ses activités officielles, il semble attendre tranquillement le verdict de Nicolas Sarkozy. Hyperdétendu, l'élu de la Sarthe donne l'impression de vouloir conquérir sa liberté de futur ex-premier ministre. Bien sûr, il ne livre aucun détail sur ses projets. Mais il sème là encore quelques cailloux: «Il ne faut pas refaire la même chose. Cela fait trente ans que je fais de la politique. Je ne repartirai pas de zéro. Je ne recommencerai pas au bas du terrain», assure-t-il. Bref, François Fillon n'envisagerait pas de redevenir simple député de la Sarthe. Une hypothèse qui entraînerait une élection partielle dans sa circonscription de Sablé-sur-Sarthe.
Son avenir passe-t-il par un parachutage à Paris pour briguer en 2014 la succession de Bertrand Delanoë? Ou bien vise-t-il déjà la présidentielle de 2017? «Il faut savoir se fixer un nouveau challenge, savoir se dépasser», prévient-il. Cette seule phrase devrait alimenter le buzz des prochains jours et intriguer à l'Élysée et dans la majorité où certains (Jean-François Copé en premier lieu) s'inquiètent de la concurrence. Une chose est certaine, François Fillon et la politique, ce n'est pas fini.
Retraites: la situation se tend, les chiffres aussi
Les commentateurs sont bien embêtés: comment interpréter politiquement les manifestations du 23 septembre? La mobilisation s'essoufle t-elle ou au contraire prend-elle de l'ampleur? Le traditionnel baromètre de la mobilisation —le nombre de manifestants dans les rues— donne l'impression de s'être soudainement déréglé. La police annonce 123.000 personnes de moins dans les défilés que le 7 septembre, les syndicats assurent de leur côté qu'il y avait 265.000 manifestants de plus dans les rues.
À force de voir des écarts fantaisistes entre les chiffres donnés par la police et les syndicats, on s'était habitué à faire une sorte de moyenne en éliminant l'effet de la communication. Si la police dit 1 million et que les syndicats disent 2 millions, la vérité doit être aux alentours d'1,5 millions. Mais les chiffres de la mobilisation du 23 septembre montrent à l'évidence que les deux camps n'ont pas une méthode de calcul constante. (Les Inrocks évoquent la règle d'une personne et demie par mètre carré pour les syndicats, contre une seule personne pour la police)
Pour y voir plus clair, Slate s'est interrogé sur le ratio chiffres syndicats/chiffres police sur les grandes manifestations des 10 dernières années (au moins 1 million de manifestants selon les syndicats).
Il est intéressant de remarquer que Nicolas Sarkozy a presque égalé le record de Jacques Chirac qui avait atteint un ratio de 3,3 lors de la manifestation du 3 juin 2003 contre le plan Fillon sur les retraites (455.000 selon la police, 1,5 millions selon les syndicats). La mobilisation du 23 septembre atteint un ratio de 3, chiffre que l'on n'avait plus enregistré depuis la dernière manifestation sur le CPE, le 4 avril 2006 (1.028.000 selon la police, 3,1 millions selon les syndicats).
Suite à la bataille des chiffres sur la mobilisation du CPE, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait monté un groupe de travail pour «sortir des confrontations ridicules qui accompagnent le comptage des manifestants», comme le rappelle lemonde.fr. Quatre ans après, le même Sarkozy tombe dans les même travers pour faire passer sa réforme des retraites —même si le tort est partagé avec les syndicats.
On observe sur le graphique que le ratio police/syndicats exprime l'intensité du blocage entre gouvernements et partenaires sociaux. Quand les deux sont sur la même longueur d'ondes comme lors de la manifestation contre Jean-Marie Le Pen en 2002, le ratio est au plus bas à 1,4 (900.000 selon la police, 1,3 millions selon les syndicats). À l'inverse, quand la situation se tend politiquement, comme lors du CPE ou des débats sur les retraites en 2003 et 2010, les écarts de chiffres deviennent extravagants.
La guerre des chiffres se durcit
Il n'est donc pas surprenant de voir que le ratio syndicats/police a tendance à augmenter au cours d'un conflit social qui dure. Lors des manifestations sur les retraites, il passe subitement de 2 à 3,3. Sur le CPE, il commence à 2,5, puis 2,8, une nouvelle fois 2,8 pour finir à 3 lors de la dernière grande manifestation juste avant le retrait du texte par Dominique de Villepin. On observe dans une moindre mesure le même phénomène lors des mobilisations contre la crise en 2009: 29 janvier, 2,3 -> 19 mars, 2,5 -> 1er mai, 2,6.
Les deux premières batailles des retraites en 2010 s'était soldées par un ratio classique (2,5 le 24 juin, 2,4 le 7 septembre), comme si les deux camps voulaient garder des munitions en prévision de confrontations plus dures. En ayant gardé un ratio raisonnable sur les précédents mobilisations, le gouvernement peut dorénavant comptabiliser les manifestants avec plus de rigueur et assurer ainsi que le mouvement faiblit. De leur côté, les syndicats donnent l'impression de s'être gardé une petite marge de manoeuvre pour assurer que le mouvement ne cesse de prendre de l'ampleur.
Rendez-vous le samedi 2 octobre et le mardi 12 octobre pour vérifier ces observations.
Comment est née la retraite à 60 ans
Politiquement, c'est déjà l'état de disgrâce, le désenchantement, pour François Mitterrand et le gouvernement de Pierre Mauroy qui comprend des ministres socialistes et communistes. A compter du 1er avril
1983, "l'assurance-vieillesse garantit une pension de retraite à l'assuré qui en demande la liquidation à partir de l'âge de 60 ans". Ce même jour de 1983, le premier ministre recevra la CGT, la CFDT et la CFTC pour leur parler de l'application de son plan de rigueur…
La retraite à 60 ans est la dernière des grandes réformes sociales promises par François Mitterrand en 1981. Vieille revendication syndicale, elle apparaît comme une rescapée de l'état de grâce mais entre en vigueur à l'heure de l'austérité…
Dans les 110 propositions du candidat socialiste à l'élection présidentielle, elle arborait le numéro 82 : "Le droit à la retraite à taux plein sera ouvert aux hommes à partir de 60 ans et aux femmes à partir de 55 ans." Du copié-collé avec le programme commun de gouvernement, signé le 27 juin 1972 par le Parti socialiste et le Parti communiste, qui proclamait : "L'âge d'ouverture des droits à la retraite sera ramené à 60 ans pour les hommes et à 55 ans pour les femmes, le droit au travail restant garanti au-delà. Cette mesure est particulièrement urgente pour les travailleurs effectuant des tâches pénibles ou insalubres."
Arrivée au pouvoir, la gauche oublie les femmes – on ne parle plus des 55 ans – et s'engage dans une course de lenteur. Pourtant, Pierre Mauroy veut aller vite. Il décide d'utiliser l'article 38 de la Constitution, en d'autres termes une loi d'habilitation qui lui permet de recourir, sur sept sujets bien identifiés comme prioritaires pour lutter contre le chômage, à des ordonnances le dispensant de tout débat parlementaire. Le 11 décembre 1981, l'Assemblée nationale entérine le projet de loi d'orientation sociale qui prévoit notamment l'abaissement à 60 ans de l'âge légal de départ à la retraite à taux plein. Mais ce n'est que le début d'une longue marche.
Depuis l'ordonnance du 19 novembre 1945, l'âge de la retraite à taux plein, moyennant 37,5 années de cotisations (150 trimestres), est fixé à 65 ans. C'est le même âge qui avait été retenu par la loi du 5 avril 1910 qui avait institué les premières retraites ouvrières et paysannes. A l'époque, cet âge était supérieur à l'espérance de vie, ce qui conduisit la CGT à dénoncer la "retraite des morts".
Pour passer de 65 à 60 ans, Pierre Mauroy est confronté à une double difficulté. Il ne peut agir que sur la retraite de base du régime général de Sécurité sociale, qui accorde une pension égale à 50 % d'un salaire plafonné. Il faut donc que les régimes de retraite complémentaire, qui relèvent des seuls partenaires sociaux, accordent un complément de 20 % qui rendra la retraite avantageuse.
Or en 1981, le système des préretraites bat son plein. Dans le cadre de l'assurance-chômage, les syndicats et le patronat ont instauré une garantie de ressources qui assure aux partants, dès 60 ans et à la seule condition d'avoir été salarié pendant dix ans, un revenu à hauteur de 70 % des derniers salaires. Très coûteux, cet accord devait prendre fin le 31 mars 1983. Pierre Mauroy bénéficie du soutien de François Mitterrand mais le chef de l'Etat est économe en paroles sur le sujet. Lors de ses vœux du 31 décembre 1981, il fait juste allusion à "la retraite facultative à 60 ans". Le premier ministre a surtout impérativement besoin du concours des partenaires sociaux.
Cette démarche aboutit à l'ordonnance du 26 mars 1982 qui, en douze articles, instaure, au 1er avril 1983, pour les salariés du régime général et les salariés agricoles, un "véritable droit au repos que les travailleurs sont fondés à revendiquer en contrepartie des services rendus à la collectivité à l'issue d'une durée de carrière normale".
Tous les salariés "qui le souhaitent" pourront bénéficier d'une retraite complète dès lors qu'ils ont cotisé 37,5 années, avec une pension égale à 50 % du salaire annuel moyen des dix meilleures années. Ceux qui partiront à 60 ans sans avoir leurs 150 trimestres verront leur pension minorée – une décote – en fonction du nombre d'annuités manquantes", la retraite à taux plein étant garantie à 65 ans.
Quand il prépare son ordonnance, Pierre Mauroy s'appuie sur sa ministre de la solidarité nationale, Nicole Questiaux, celle qui ne voulait pas être la "ministre des comptes", et sur son directeur de cabinet, Robert Lion, qui, ancien délégué général de l'Union nationale des fédérations d'HLM, exercera cette fonction jusqu'au 28 mai 1982.
"L'IMAGE DE L'IRRÉVERSIBLE"
Or, en mai 1980, Robert Lion avait présenté, au nom du groupe de prospective sur les personnes âgées du Commissariat général du Plan, un rapport détonant, intitulé "Vieillir demain", qui s'insurgeait contre toute idée de retraite couperet. "Dans l'immédiat, écrivait M. Lion, l'essentiel n'est ni d'abaisser l'âge de la retraite ni de proposer des distractions aux personnes âgées ; l'essentiel est de regarder en face les phénomènes de négation et d'exclusion qui touchent aujourd'hui les populations âgées et de leur porter remède ; il ne faut pas une “politique de la vieillesse” s'intéressant au sort des plus de 60 ans. Il faut – et c'est possible sur le long terme – changer les rythmes et le cours de la vie entière, partager autrement le travail et le temps, distribuer différemment les rôles entre les générations."
"La solution, martelait le futur directeur de cabinet de Pierre Mauroy, n'est pas de généraliser l'abaissement à 60 ans de l'âge de la retraite… Une telle mesure, sacralisant un seuil d'âge, serait l'image de l'irréversible."
Robert Lion proposait d'accorder la retraite en fonction d'une durée d'activité, par exemple 40 ou 42 ans, ce qui permettrait aux ouvriers ayant travaillé dès l'âge de 16 ans de faire valoir leur droit au repos à 56 ans… Robert Lion œuvra aux côtés de Pierre Mauroy pour la retraite à 60 ans. Mais son avertissement eut un double écho.
Dans le rapport au président de la République introduisant l'ordonnance du 26 mars 1982, il est écrit que "le gouvernement n'entend pas renoncer à la recherche d'un système où l'ouverture des droits à la retraite serait davantage fondée sur la durée d'assurance, en particulier, pour les travailleurs et les travailleuses qui ont exercé les métiers les plus pénibles et qui ont effectué les carrières les plus longues".
Et, lors du débat sur le projet de loi d'orientation sociale, le 10 décembre 1981, Nicole Questiaux explique : "Nous pensons que, lorsque la démographie aura évolué, il sera possible de supprimer le butoir de l'âge et de tenir compte de la durée de carrière comme le demandent les organisations syndicales."
Les syndicats, justement, font plus que cacher leur joie quand l'ordonnance du 26 mars 1982 est adoptée par le conseil des ministres. Ils s'inquiètent de la disparition de la garantie de ressources qui fait de la retraite à 60 ans une réforme non financée. La CGT d'Henri Krasucki parle de "réforme importante" mais juge que le montant de la retraite "reste le problème majeur qui doit être réglé dans de bonnes conditions".
Dans la même veine, la CFDT d'Edmond Maire se félicite d'"un progrès social très important" mais réclame "la création d'une nouvelle garantie de ressources" pour "combler la différence entre le montant de la retraite à 60 ans et ce qu'aurait perçu le travailleur s'il avait bénéficié de la garantie de ressources actuelle". Sur un registre similaire, Force ouvrière, dirigée par André Bergeron, fait la fine bouche et "refuse la remise en question du niveau des retraites". La CFTC exprime la même crainte tandis que la CGC, plus critique, dénonce "l'aveuglement" du gouvernement et s'oppose à tout "alignement" du régime de retraite complémentaire sur le régime général.
Quant au patronat, le CNPF d'alors d'Yvon Gattaz, qualifie l'ordonnance d'"improvisée, coûteuse et difficilement applicable". A peine sur les rails, la réforme a du plomb dans l'aile.
POUR UNE RETRAITE À LA CARTE
Du côté de l'opposition, très minoritaire à l'Assemblée nationale, sa critique tourne au réquisitoire. Lors du débat sur le projet de loi d'orientation sociale, en décembre 1981, la droite dénonce à la fois la méthode des ordonnances et la condamnation de la garantie de ressources. "Vous faites fi du débat d'idées, s'exclame Jean Falala, député RPR de la Marne, non seulement avec votre opposition mais également avec les partenaires sociaux qui ont tous marqué leur opposition à l'égard de cette méthode autoritaire."
Philippe Séguin, député RPR des Vosges, et futur ministre des affaires sociales de 1986 à 1988, tonne : "Prisonniers de vos mythes, vous êtes enfermés dans une terrible alternative : désespérer ceux qui ont cru en vous, ou ignorer la réalité économique. Vous n'avez plus le choix qu'entre l'irrationnel et une certaine forme d'imposture. Je ne suis que médiocrement rassuré de vous voir choisir la deuxième voie. "
Dans une tribune publiée dans Le Monde du 27 mars 1982, l'ancien premier ministre Jacques Chaban-Delmas joue les Cassandre : "Par les coûts supplémentaires qui pèseront sur des régimes de retraite déjà en difficulté, le gouvernement prend le risque de compromettre gravement l'avenir, ce qui ne peut que conduire à une augmentation des cotisations ou à la diminution du montant des pensions, comme certains de nos voisins européens y ont été contraints."
Dans une autre opinion, dans Le Monde du 30 avril 1982, Emmanuel Aubert, député RPR des Alpes-Maritimes (décédé en 1995), plaide pour la retraite à la carte, estimant qu'il faudrait "prendre en considération avant toute chose la durée de l'activité plutôt que de s'arrêter au critère abrupt de l'âge". A bons entendeurs…
Il faudra attendre le 4 février 1983 pour que l'horizon se dégage pour la retraite à 60 ans. Ce jour-là, les partenaires sociaux signent un accord qui met les retraites complémentaires au diapason du régime général sur la retraite à 60 ans. Il institue une Association pour la gestion de la structure financière (ASF) chargée d'assurer le surcoût, pour les régimes complémentaires Agirc et Arrco, des retraites versées à taux plein entre 60 et 65 ans.
Cette garantie de retraite égale à 20 % du salaire moyen de carrière – s'ajoutant aux 50 % du régime général – favorise les salariés les moins rémunérés. Si le futur retraité était smicard, sa pension sera égale à 80 % du salaire antérieur. S'il gagnait de 4 000 à 7 000 francs par mois, il touchera de 65 % à 70 % de son ancien salaire.
Cette fois, la CGT célèbre "une importante victoire de la classe ouvrière". FO salue une "étape très importante" et la CFDT fait savoir qu'elle signe cet accord "avec beaucoup de joie". Le CNPF se déclare satisfait qu'aucune hausse de cotisations ne soit programmée – elle viendra plus tard – mais joue les rabat-joie en ironisant sur ceux qui font souffler des "trompettes triomphantes".
Quoi qu'il en soit, le résultat est là : la retraite à 60 ans est désormais financée et elle peut entrer en vigueur le 1er avril 1983 sans que ce soit une farce…
Vingt ans après, revenant sur cette réforme dans ses Mémoires (Plon, 2003), Pierre Mauroy la célèbre avec discrétion – il y consacre moins d'une page – et sobriété. Dans la France de 1981, écrit-il, "la condition ouvrière restait très pénible, par exemple dans l'industrie sidérurgique du Nord. J'étais marqué par la dure condition de certains ouvriers des hauts-fourneaux qui, chaque jour, devaient se battre avec l'acier en fusion. C'était épuisant. A partir de 40 ans, ils en paraissaient 60. (…) Cette représentation de la classe ouvrière ne venait pas de Zola, mais bien de la réalité quotidienne que je rencontrais dans ma région. Tous les bassins d'emploi étaient concernés par des travailleurs qui avaient commencé à travailler très jeunes, si bien qu'ils avaient largement payé leur retraite avant d'atteindre l'âge de 65 ans à partir duquel ils étaient enfin libérés, sachant que leur durée de vie était à l'époque, en moyenne, de 63 ans ! ". Vous avez dit pénibilité ?