vendredi 8 février 2013
L’euro fort est-il la seule cause de tous nos problèmes ?
François Hollande estime "qu'une zone monétaire doit avoir une politique de change, sinon elle se voit imposer une parité qui ne correspond pas à l'état réel de son économie". La monnaie unique est-elle un bouc émissaire ?
Jean-Paul Betbèze : L’euro est notre plus gros handicap en termes politiques, parce qu’il montre à tous notre faiblesse politique, qui vient de la crise économique et financière que nous vivons et de nos tensions internes, par rapport à d’autres pays qui sont mieux en ordre de bataille. Il montre que nous sommes un point faible de l’économie mondiale, entre dollar, yen et livre sterling qui veulent baisser et yuan qui veut bien monter, mais à son rythme. Nous sommes ainsi un espace d’ajustement des tensions, ce qui ne nous arrange évidemment pas, parce que ceci accroît encore nos propres difficultés internes.
Bruno Bertez : La France, au fil des ans, a perdu beaucoup de compétitivité. Elle tente timidement, d'enrayer la dégringolade de cette compétitivité L'action se concentre sur la baisse des charges d'un côté et une politique de relative austérité de l'autre. Pour parler clairement, il s'agit d'une action que l'on peut qualifier de modérément déflationniste. Le fait que cette action, pour des raisons politiques soit insuffisante doit être souligné, mais ce n'est pas notre propos. Notre propos est que pour être cohérente, éviter la récession et une montée du chômage en France, cette action doit être complétée par une dévaluation, une baisse du change. Dans les temps anciens, face à ce problème, on annonçait une dévaluation et on la complétait par des mesures dites d'accompagnement, qui sont précisément des mesures d'austérité. L'ensemble était cohérent : d'un cote on pèse sur la demande interne, de l'autre on bénéficie d'un surcroît de demande externe grâce à la devise moins chère Avec la monnaie commune arrimée à une sorte de Deutsche Mark en filigrane, il est évident que non seulement il n'est pas possible de dévaluer, mais en plus, le change est trop élevé.
Toutes proportions gardées, la France se trouve dans la position de Pierre Laval en 1935 quand il a imposé une baisse des prix et salaires et a refusé de dévaluer malgré les conseils de Jacques Rueff.
Alexandre Baradez : Effectivement, il est intéressant de constater la forte divergence de point de vue entre la France et l’Allemagne sur le niveau de valorisation de l’euro. La France par la voie de son président au Parlement européen a clairement expliqué qu’on ne pouvait pas laisser la devise européenne fluctuer au gré de l’humeur des marchés. Moins de 48 heures plus tard, le porte-parole de la chancelière allemande prenait exactement la posture inverse en expliquant que la hausse de l’euro était la marque d’un retour de la confiance des investisseurs en zone euro.
Aujourd’hui, l’euro n’est évidemment pas le seul handicap de l’Europe. Quel est le problème majeur ? Celui du retour de la croissance. Et on sait que la croissance se fait sur 3 axes majeurs : la consommation, l’investissement et enfin les exportations. On sait que la consommation va rester atone en raison de l’envolée du chômage qui frise les 12 % en zone euro. Les exportations commencent à repartir et, sur ce point-là, un euro plus faible serait un atout compétitif supplémentaire. Il suffit de voir la politique menée par le Japon pour se rendre compte de l’enjeu…Mais, un des points les plus importants, reste indéniablement l’investissement. Et là, il y a un réservoir de croissance majeur. Les investisseurs étrangers commencent progressivement à revenir en Europe en raison des réformes structurelles engagées dans de nombreux pays mais pas suffisamment pour créer un «choc de croissance ». Il y a également les investissements qui vont découler du futur budget européen, budget qui cristallise les tensions à l’heure actuelle entre les partenaires européens.
Jean-Paul Betbèze : L’économie française est quasiment en récession, et tous ses secteurs industriels, sauf les engrais (en liaison avec les bons prix des céréales) et l’aéronautique (grâce à Airbus). Le reste de l’industrie est plat ou en baisse. Mais on sait que le prix des avions se fait en dollar, ce qui menace la rentabilité d’Airbus. Pour bénéficier de l’euro fort, il faut être très bien positionné, dans des niches, en haut de gamme, ce qui n’est pas vraiment le cas de la France. En milieu de gamme, où nous sommes, la compétitivité prix est importante, et ce qui se passe nous affaiblit. Quant au luxe par exemple, que l’on dit insensible au prix, il faut faire attention car il y a des limites à tout, puisque notre luxe se répand largement, autrement dit ne concerne pas seulement les très très riches.
Bruno Bertez : Il faut préciser que ma réponse ci-dessus est une réponse de pure logique. Si on pèse sur la demande interne et que l'on veut éviter la montée du chômage en France, il faut élargir les débouchés externes et dans le court terme, cela n'est possible que par la dévaluation. Il est évident que toute politique ne se juge qu'en regard des objectifs qu'elle se fixe et des choix et sacrifices qu'elle accepte en contrepartie. On ne peut restructurer une économie, la rendre compétitive sans douleur, or le gouvernement, fidèle en cela à son idéologie voudrait accomplir ce miracle d'une reconquête de l'efficacité sans effort et sans douleur, c'est ce qui explique son rêve, sa demande, son trépignement d'enfant gâté auprès des Allemands : aidez nous, favorisez une baisse du change européen.
La dévaluation telle que nous la comprenons et telle que les allemands la comprennent vise à faire l’économie de l'effort et de la douleur . Les socialistes marchent sur la tête, ils croient que la solution aux problèmes de compétitivité, c'est la baisse du change, tout comme ils croient que la solution au problème de la croissance, c'est l’augmentation de dettes ! La réalité économique est que les avantages procurés par les baisses du change sont temporaires, éphémères et qu'en revanche les dégâts faits par une politique laxiste, inflationniste, dévaluationniste durent très longtemps. Aucun secteur ne bénéficie sur le long terme d'une baisse du change, on ne voit pas en quoi une destruction du pouvoir d'achat de la monnaie pourrait etre positive a qui que ce soit qui marcherait sur les pieds et non sur la tête. Appauvrir les Français n'est une solution à aucun problème, sauf ceux des gens de gauche, cela augmente leur clientèle.
Alexandre Baradez : A un cours proche des 1.35$, l’euro évolue presque exactement au milieu du couloir dans lequel il évolue depuis mi-2008, c’est-à-dire entre 1.20$ et 1.50$. Une bonne partie de la hausse récente de l’euro est un simple phénomène de rattrapage de la baisse majeure subie au plus fort de la crise de la dette avant l’intervention de la BCE à l’été dernier.
En terme de conséquence, le Trésor estime que, à taux d’intérêt constant, une hausse de 10% de l’euro contre toutes les devises de contrepartie entraînerait une baisse du PIB de 0.6%. Quand on sait que la France enchaîne les trimestres de croissance nulle, on comprend mieux l’impact que cela peut avoir. Mais il y a un effet positif malgré tout qui se répercute positivement sur la consommation. L'économie française étant fortement dépendante des importations, une hausse de la devise européenne nous permet d’importer moins cher et donc de laisser les prix sous pression favorisant ainsi la hausse du pouvoir d’achat, or la consommation créé de la croissance.
Il y a également un effet positif sur l’importation de matières premières souvent libellées en dollar. La hausse de l’euro les rend moins cher et permet d’éviter les tensions inflationnistes. Les entreprises qui en souffrent sont celles qui exportent sur les Etats-Unis ou l’Asie et notamment le Japon avec l’affaiblissement brutal du yen.
Jean-Paul Betbèze : Cet épisode est différent parce que la France est en quasi récession, entourés de pays voisins qui baissent leurs salaires et qui nous concurrencent par les prix dans l’automobile, par l’exportation des biens, ou par l’immobilier ou l’agriculture, en « exportant » des salariés roumains ou, maintenant, espagnols. Aujourd’hui, la concurrence se fait beaucoup par les salaires en zone euro, où la dévaluation est par construction impossible, et si l’euro monte encore, les salaires devront baisser plus, pour exporter et croître, pour des produits de milieu de gamme.
Bruno Bertez : La France n'a jamais souffert de quoi que ce soit en raison d'un euro fort. Au contraire nous avons bénéficié de l'euro fort ... pour faire les imbéciles. Au lieu de saisir la chance historique d'une monnaie incontestée, de taux bas, de l'afflux de capitaux, nous avons consommé, gaspillé, accumulé dettes et déficits improductifs. Quelle gabegie ! Nous avons bénéficié d'un cadeau tombé du ciel, le Mark Allemand et nous l'avons gâché par le laissez aller, la veulerie, la facilité, la surestimation nationale.
Si, à la faveur des taux bas et de l'afflux des capitaux rendus possibles par un euro fort, nous avions investi, afin de produire des biens internationalement négociables, nous aurions les moyens de rembourser nos dettes, de mettre au travail nos enfants et les moyens de parler haut en Europe au lieu de mendier, please, donnez-nous un euro faible.La France, en tant que pays du milieu entre les pestiférés du sud et les biens portants du nord continue dans la voie de la facilité en quémandant un affaiblissement du change. La France veut jouir, pas produire. La jouissance crée peu d'emplois.
Alexandre Baradez : On ne peut pas considérer que, par le passé, la zone euro ait réellement souffert d’un « euro fort ». Le pic de l’euro face au dollar a été atteint en 2008, quelques semaines avant l’effondrement de Lehman Brothers et la propagation fulgurante de la crise financière. L’euro est passé de 1.16$ en 2005 à plus de 1.60$ à la mi-2008 soit 38% de hausse. Au cours de cette même période, entre 2006 et 2008 notamment, la croissance annuelle du PIB de la zone euro évoluait à plus de 2.5%.
Mieux, on peut clairement considérer que l’euro fort à ce moment-là nous a protégés d’une poussée inflationniste surtout lorsque le prix du baril de pétrole (WTI) est monté à plus de 140$ alors qu’il se négocie actuellement à 95$...l’euro fort à cette époque a clairement préservé une partie du pouvoir d’achat des particuliers et a permis de limiter les coûts d’approvisionnement en énergie (pour les entreprises également)
Jean-Paul Betbèze : L’euro fort actuel peut fragiliser les équilibres politiques en zone euro par la montée des populismes (Espagne, Italie…). Les populismes ne sont pas la réponse aux réformes structurelles, qui doivent se faire dans un contexte européen. Au contraire. Ils peuvent déboucher sur des politiques de réduction des dépenses publiques locales, désorganisées, concurrentielles au sein de la zone, sans bénéficier des économies d’échelle et d’organisation qu’elle permet. Il s’agit d’éviter le moins disant salarial dans le privé et le moins disant organisationnel dans le public. Si la zone euro doit peser, elle ne peut fonctionner avec des Etats affaiblis et un budget européen rogné. Il faut donc réformer, mais de façon coordonnée, structurée, coopérative au sein de la zone euro, pour la renforcer.
Bruno Bertez : L'euro fort, si tant est qu'un euro à 1,35 contre dollar soit un euro fort, l'euro fort est comme tout dans la vie, ce peut être la meilleure et la pire des choses. Tout dépend de ce que l'on en fait, des objectifs que l'on poursuit, des priorités que l'on se donne. Ce qui compte dans une politique économique, c'est sa cohérence. Lorsque l'on mène des politiques brouillonnes, de type Gribouille alors aucune politique ne donne de résultats, on n'a que les inconvénients sans jamais aucun bénéfice.
La première chose à faire est définir l’horizon de son action, on ne gère pas de la même façon selon que l'on vise les sondages, les échéances des élections municipales ou la réélection dans 4 ans! Le temps est déterminant. A la faveur d'un euro fort, vous bénéficiez de taux très bas, vous pouvez rouler votre dette, consolider sa maturité, bref, vous pouvez desserrer la contrainte financière, le fameux mur de l'argent. Le tout c'est de savoir ce que vous faites des marges de manoeuvres ainsi crées. Vous pouvez les distribuer pour qu'elles soient consommées. Vous pouvez réduire les prélèvements qui pèsent sur l'effort productif, vous pouvez reprendre en mains tout ce qui dysfonctionne, et Dieu sait s'il y de quoi faire .
L'euro fort, pour des gouvernants qui ont le sens national et le sens de l'histoire, devrait être une raison d'accélérer les restructurations du système français sous tous ses aspects, tous. C'est une opportunité, un créneau pour l'action. Pleurnicher pour un euro plus faible est une idiotie au plan international dans le climat actuel marqué par la persistance de la crise financière en Europe. Compte-tenu de la situation pourrie dans laquelle se trouvent les Italiens et l'Espagne, on devrait se lever chaque matin et remercier le ciel d’être arrimé aux allemands et prier pour qu'ils ne nous laissent pas tomber.
Alexandre Baradez : Une partie de la réponse se trouve un peu plus haut, notamment dans la distinction entre la consommation, les investissements et les exportations.Résumer ou attribuer le manque de compétitivité de la France - et même de l’Europe - au seul niveau de la devise est évidemment un raccourci un peu simpliste…même si bien entendu, le niveau de la devise a une influence sur les exportations qui elles-mêmes participent à la croissance, la sortie de crise ne pourra se faire que par le retour et la hausse significative de l’investissement en France (et en Europe).
Un des facteurs aggravant de la crise de la dette en zone euro a été la fuite des capitaux de la zone euro provoquant notamment l’envolée des taux d’emprunt des pays fragiles. Stimuler l’investissement est sûrement le meilleur moyen d’initier un cercle vertueux permettant d’inverser durablement la courbe du chômage et de favoriser la consommation.
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