lundi 22 avril 2013
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À la recherche d’une croissance mondiale
Quelle priorité économique la plus urgente ont en commun des pays aussi différents que le Brésil, la Chine, Chypre, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, la Grèce, l’Islande, l’Irlande, le Portugal et le Royaume-Uni ?Ce n’est pas la dette ni les déficits. Et ce n’est pas non plus d’avoir à résoudre les conséquences de prêts et emprunts irresponsables. Certes, ces questions sont pertinentes et, dans certains cas, urgentes. Mais le principal défi auquel ces pays sont confrontés est le développement de modèles de croissance qui génèrent plus d’emplois, bien rémunérés et sûrs, alors que s’opère un réalignement séculaire de l’économie mondiale.
Pour des raisons à la fois pratiques et théoriques, ce défi ne sera pas relevé rapidement ou facilement. Et lorsqu’il le sera, le processus a toutes les chances d’être partiel et inégal, accentuant les différences et posant des problèmes délicats de coordination aux plans national, régional et mondial.
Les dernières années ont démontré l’érosion de la puissance des anciens modèles de croissance. Certains pays (par exemple la Grèce et le Portugal) ont compté sur les dépenses de l’État, financées par l’endettement, pour alimenter l’activité économique. D’autres (notamment Chypre, les États-Unis, l’Islande, l’Irlande et le Royaume-Uni) ont eu recours à des effets de levier intenables réalisés par les institutions financières pour financer les activités du secteur privé, quelquefois sans tenir compte des fondamentaux sous-jacents. D’autres encore (la Chine et la Corée du Sud) ont exploité une mondialisation semble-t-il sans limites et un commerce international en plein essor pour s’emparer de parts de marché. Et le dernier groupe s’est accroché à la locomotive chinoise.
Des données récentes publiées par le Fonds monétaire international soulignent la perte d’efficacité simultanée de ces modèles. La croissance mondiale s’est élevée à 2,9 pour cent en moyenne ces cinq dernières années, un taux largement inférieur à pratiquement tous les quinquennats précédents, depuis 1971. Si les performances des pays en développement ont dépassé celles des pays avancés, la croissance des deux groupes a ralenti. La croissance a été quasi nulle dans les économies développées, et inférieure à la précédente période de cinq ans dans les pays émergents, à 5,6 contre 7,6 %.
Les systèmes à fort niveau d’endettement des économies dépendant du secteur financier ont été les premiers à aller droit dans le mur, à la grande surprise de ceux qui avaient adhéré sans réserve à la « grande modération » – l’idée que la volatilité macroéconomique et du marché des actifs s’était atténuée de manière permanente. Les mesures politiques énergiques prises pour remédier aux troubles initiaux ont empêché une dépression mondiale, mais elles ont lourdement grevé les bilans du secteur public.
En conséquence, les gouvernements fortement endettés ont été les suivants à aller dans le mur, pour certains à cause du coût élevé nécessaire à contenir les dégâts causés par le comportement irresponsable des banques. Confrontés à une contraction immédiate du crédit et d’une grande partie de la production, ils ne purent être stabilisés que par un exceptionnel financement officiel extérieur, et dans certains cas extrêmes, en faisant défaut sur leurs engagements passés (notamment envers les détenteurs d’obligations, et tout récemment les déposants).
Dans d’autres pays, dont les États-Unis, les problèmes à moyen terme sont passés au premier plan. Mais au lieu d’engendrer des discussions politiques sensées, ces questions ont été abordées dans le contexte d’une politique polarisée et de la polarisation de la politique, donnant immédiatement lieu à de nouveaux obstacles à la croissance économique.
Dans le même temps, une économie mondiale très interdépendante et (aujourd’hui) moins dynamique limite la marge de manœuvre des moteurs de croissance externes. Mêmes les pays ayant un bilan équilibré et un endettement gérable ont pour cette raison connu un ralentissement de leur croissance.
Les conséquences en sont devenues tristement évidentes, en particulier dans les pays occidentaux. La croissance anémique empêche qu’ils se désendettent sans risque, et les coûts sociaux ont nettement augmenté. Un taux de chômage inquiétant des jeunes, une diminution de la protection sociale, des investissements insuffisants dans les infrastructures et le capital humain pèsent lourdement sur les générations actuelles, et, dans un nombre croissant de cas, ces facteurs auront également une incidence négative sur les générations futures.
Ces processus ont également entraîné une hausse des inégalités. Et malgré la nécessité urgente d’ajustements politiques majeurs au plan national et d’une bien meilleure coordination régionale et mondiale, les progrès ont été décevants.
Dans un contexte politique peu favorable à la combinaison adéquate de mesures à court et à plus long terme, les politiques nationales ont tenté sans grand succès des approches partielles et des expériences inédites. L’idée a été de gagner du temps, au lieu de mettre en œuvre une transition rationnelle vers une politique durable. Et au plan national, les résultats potentiels auraient été moins incertains si les inégalités excessives n’avaient pas été traitées comme une préoccupation secondaire.
Les dimensions régionales et multilatérales sont tout aussi inadéquates. L’absence d’analyses communes clairement articulées et de coordination politique a accentué les déficits de légitimité, encourageant les dirigeants et les opinions publiques à adopter des narrations partielles, et sapé la confiance dans les structures institutionnelles existantes.
Compte tenu de ces tendances, la quête de modèles de croissance plus solides prendra plus de temps et sera plus compliquée qu’on ne le pense généralement – surtout du fait que l’économie mondiale se détourne d’une mondialisation sans restrictions et de niveaux d’endettement élevés.
Des pays comme les États-Unis devraient bénéficier d’un esprit d’entreprise de la base au sommet et de la convalescence économique cyclique traditionnelle. En dépit d’un congrès dysfonctionnel, le secteur privé devrait de plus en plus convertir une prime d’incertitude paralysante, qui bloque une grande partie des investissements, en une prime de risque moins pénalisante. Mais sans un turbocompresseur économique à court terme, la reprise de la croissance et la création d’emplois resteront graduelles, vulnérables aux risques politiques, et profiteront de manière disproportionnée à ceux qui possèdent initialement les richesses et les talents globalisés.
Le rôle du gouvernement sera différent dans des pays comme la Chine, où les autorités opéreront une transition de la dépendance aux sources externes de croissance vers une demande plus équilibrée. Comme ce changement de cap implique des réalignements nationaux fondamentaux, ce rééquilibrage sera à la fois graduel et non linéaire.
Les perspectives d’avenir des autres économies sont plus incertaines. Des pays comme Chypre, entravés par l’absence de flexibilité politique, auront besoin de temps pour surmonter le choc immédiat de la crise et réorganiser leurs modèles de croissance.
Livrées à elles-mêmes, ces dynamiques à plusieurs vitesses pourraient se traduire par une croissance mondiale générale plus élevée, couplée à des disparités internes et transnationales plus marquées – souvent aggravées par la situation démographique. Toute la question est de savoir si les systèmes de gouvernance actuels sont en mesure de coordonner une intervention effective pour surmonter les tensions qui en résultent.
Des progrès simultanés, tant aux plans de la substance que des processus, sont nécessaires. Les Parlements et les institutions multilatérales doivent s’évertuer à faciliter la mise en œuvre d’une politique de coopération, qui passera par une volonté de réformes d’institutions désuètes, dont le lobbying politique.
Il ne faut pas sous-estimer le défi posé par la croissance à l’économie mondialisée actuelle. Les secteurs les plus solides (au sein de chaque pays et transfrontaliers) continueront à se rétablir, mais pas suffisamment pour entraîner l’ensemble de l’économie mondiale. Les secteurs les plus faibles risquent en conséquence d’être submergés à un rythme encore plus rapide. Ces tendances deviendront plus difficiles à concilier et à maintenir ordonnées si les systèmes de gouvernance échouent à s’adapter.