On ne s'improvise pas homme de l'ombre. Les coulisses sont une longue patience. Il y a un art de rester derrière : c'est le contraire de celui de se mettre en avant. Parler aux masses s'apprend comme une langue étrangère. Guéant a oublié que les mots sont d'autant plus lourds qu'ils tombent dans des millions d'oreilles. Le drame de Claude Guéant : celui d'avoir dû jouer les premiers après être devenu un second. Il a perdu la tête qu'il n'avait plus sur les épaules solides de Nicolas Sarkozy. Il a voulu se faire aussi gros que le beauf. C'est le pot-au-Hortefeu.
On ne se doute pas du nombre de micros, d'appareils photo et de caméras qui suivent les moindres faits et gestes de nos hommes politiques. C'est Natalie Portman sur le tapis rouge des oscars, sauf que c'est tous les jours. Le moindre des propos, des sourires ou des soupirs d'un homme politique est reproduit à l'infini sur les chaînes info et Internet. Il habite à l'intérieur d'une caisse de résonance. Ce ne sont plus ses enfants qui ne l'écoutent pas, c'est le peuple entier qui l'entend. Griserie de voir le monde nous accorder autant d'attention que nous en avons pour nous-mêmes depuis que nous sommes au monde. L'injustice que nous avons subie - ne pas être reconnus comme le centre de l'univers - est enfin réparée : nous sommes au centre de l'univers, aussi appelé poste de télévision. La tentation est alors trop forte de dire la vérité qui nous offrira le rôle final de prophète. Et la vérité, pour Guéant, c'est qu'on n'est plus chez nous.
Le pays a changé, certes, depuis notre lointaine enfance blanche, et il y a sans doute en chacun de nous - nous, les Français de plus de 50 ans, comme Claude Guéant - le désir de retourner dans cet univers idyllique où les mamans étaient décolorées et non teintes, où les papas avaient une situation et non un emploi, où la télé était en noir et blanc et non à la carte et où les banlieues étaient rouges et non noires. A l'école primaire, il y avait des maîtres, pas des instits ; au lycée, des professeurs, pas des enseignants. On sent bien dans l'entourage quinquagénaire et sexagénaire du président, et chez le président lui-même, cette nostalgie d'une société où les jeunes parlaient bien et s'habillaient mal, alors qu'aujourd'hui c'est l'inverse. Ces grands premiers de la classe des années 70 et 80 semblent vouloir refuser la planète telle qu'elle erre désormais entre guerres civiles et désastres financiers, massacres religieux et brutalités politiques, exodes et génocides, catastrophes et famines, fabriquant expulsés et réfugiés à tire-larigot. Jaurès avait bien dit que le capitalisme, c'était la guerre, mais on ne l'a pas laissé finir son croissant au café. Je me souviens d'une visite de Poto-Poto, quartier de Brazzaville, en 2006, et du commentaire de mon chauffeur : "C'est le quartier des immigrés d'Afrique de l'Ouest ." Comment les aurais-je reconnus ? Guéant se décidera-t-il à admettre que ces masses de jeunes Français ni blancs, ni chrétiens, ni très bons à l'école, sauf exception, sont chez eux chez nous ?
Pour certains commentateurs, Claude Guéant, militaire dans l'âme, ou missionnaire dans l'arme, ou mercenaire en larmes, serait allé au casse-pipe pour Nicolas Sarkozy afin de provisionner en voix FN le compte du futur candidat de la droite à l'élection présidentielle. C'est trop compliqué pour moi. Ce que je vois, c'est que Nicolas Sarkozy sera réélu en 2012 par une France qui a, pour reprendre l'expression du regretté et visionnaire Georges Marchais, glissé à droite. Le Pen ? Dans notre pays sexiste, on a toujours saccagé les femmes politiques : Garaud, Cresson, Barzach, Dati, Royal et même l'idole posthume Françoise Giroud. Ainsi que l'idole anthume Simone Veil, soigneusement tenue éloignée de la tête de l'Etat depuis sa loi sur l'avortement. C'est un vrai cimetière marin dans lequel Mlle Le Pen aura bien du mal à ne pas s'allonger. DSK ? La seule chose qu'il ait de gauche, c'est sa démarche.