John Maynard Keynes est souvent l’économiste de référence des
socialistes contemporains. Quelques citations du maître qui leur
feraient bien mal…
John Maynard Keynes est un orphelin idéologique. Il suffit de lire des passages de sa Théorie Générale,
pour s’apercevoir que le grand homme, sentant que son texte renforçant
les prérogatives de l’État s’éloignait grandement du libéralisme, prît
soin de flatter, autant que faire se pouvait sans trahir son propos, la
famille qu’il quittait, sans manquer d’attaquer le marxisme.
Orphelin idéologique, et mort à l’issue de la guerre, J.M. Keynes a été adopté post-mortem par
les socialistes, alors que lui-même s’en était explicitement
démarqué. À chaque fois qu’on nous préconise une nouvelle forme
d’intervention de l’État dans les affaires économiques, J.M. Keynes
semble donner, du ciel, sa bénédiction tacite. Plutôt que de laisser les
étatistes s’approprier le nom d’un des grands hommes du siècle, nous
devrions les mettre face aux écrits de leur héros, car ceux-ci ne
cautionnent absolument pas leurs politiques.
Dans la conclusion de son magnum opus, J.M. Keynes explique
que ses préconisations n’ont d’autre objet que la sauvegarde du
« capitalisme » comme système économique, et de l’ « individualisme »
comme système politique. Dans l’Europe d’aujourd’hui, seuls des libéraux
défendraient avec autant d’attachement ces principes comme fondement de
la société, tant une dimension péjorative s’y est désormais associée.
Voici ce qu’écrit Keynes dans la conclusion de sa Théorie Générale.
Le contrôle central nécessaire au plein-emploi implique,
bien sûr, un accroissement important des fonctions traditionnelles du
gouvernement. Mais il laisse de vastes prérogatives à l’initiative et à
la responsabilité privée. En leurs seins, les avantages traditionnels
de l’individualisme prévalent. Prenons le temps de nous remémorer ces
avantages. Ils sont pour partie des avantages d’efficacité – ceux de la
décentralisation et du jeu des intérêts personnels. Les avantages des
décisions et responsabilités individuelles sont peut-être plus grands
encore que ce que le XIXèmesiècle supposa : et la réaction
contre l’appel des intérêts égoïstes est peut-être allé trop loin. Mais
par-dessus tout, l’individualisme, purgé de ses excès, est le meilleur
bouclier des libertés individuelles dans la mesure où, comparé à tout
autre système, il agrandit considérablement le champ d’exercice du libre
arbitre. […] Bien que l’élargissement des fonctions du gouvernement,
induit par la tâche d’ajuster la propension à consommer et l’incitation à
investir, paraîtrait à un journaliste du XIXème siècle ou à
un financier américain contemporain être une entorse terrible à
l’individualisme, je le défends, tout au contraire, à la fois comme le
seul moyen pratique de sauvegarder le système existant dans son
intégralité et la condition du bon fonctionnement de l’initiative
individuelle.
– J.M. Keynes, Théorie Générale de l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie.
Si au regard de la communauté des économistes de son époque, John
Maynard Keynes n’est pas vraiment un libéral, il n’est certainement pas
non plus un socialiste. Parce que J.M. Keynes s’est démarqué des
penseurs classiques, les socialistes en ont profité pour se l’approprier
et ont abusé de son nom comme les capitalistes abusèrent du nom d’Adam
Smith au siècle précédent. De même qu’Adam Smith n’est pas un
libertarien,
ni un défenseur de l’égoïsme comme principe de société,
John Maynard Keynes n’est pas un socialiste qui croit au partage du
travail. Maintenant que les interventionnistes se revendiquent de
l’autorité du maître, confrontons quelques-unes de leurs guignoleries
aux idées de l’économiste qu’ils vénèrent.
La relance par le déficit
En 1937, Keynes explique clairement que les préconisations budgétaires de sa
Théorie Générale ne
valent que pour les crises économiques. Pour résumer rapidement sa
pensée, Keynes pense qu’il existe des moments où les anticipations des
agents économiques sont si mauvaises qu’ils réduisent considérablement
leurs investissements et leur consommation, de sorte que les entreprises
anticipent peu de débouchés, ce qui enclenche un cercle récessif dont
le marché ne peut, d’après Keynes, s’échapper tout seul. L’État peut,
toujours d’après Keynes, prendre le relais via le déficit public, qui
permet de relancer la demande sans taxer davantage le revenu des
citoyens et des entreprises.
En somme, Keynes pense que le budget de l’État doit être
contra-cyclique, déficitaire en période de crise, mais aussi équilibré
ou excédentaire en période d’expansion. Il déclare ainsi en 1937 :
The boom, not the slump, is the right time for austerity at the Treasury.
Traduction : L’expansion, non la récession, est le bon moment pour l’austérité au Trésor.
Keynes n’est donc pas un penseur de la dette publique. C’est un penseur du déficit
temporaire comme
correcteur de la conjoncture économique. Sa théorie a deux versants :
le déficit budgétaire en période de crise, l’austérité le reste du
temps. Or depuis sa mort, la gabegie étatique a cumulé les déficits
publics malgré la croissance économique. Mais dans l’esprit de Keynes,
le déficit public en période de crise n’est possible que dans la mesure
où les périodes d’expansion ont servi à l’assainissement des comptes
publics.
Si Keynes préconiserait, aujourd’hui, probablement des déficits pour
relancer la croissance, il s’affligerait qu’en son nom des politiciens
ait creusé la dette publique quand tout allait bien. Car ce passif rend
aujourd’hui le déficit extrêmement douloureux, voire impossible pour
certains pays (cf.
« Keynes : « à court terme nous sommes tous morts »)
Les déficits accumulés par l’État-providence au cours des
cinquantaines dernières années ne trouvent donc aucun crédit dans la
théorie de J.M. Keynes, tout au contraire vu qu’ils alimentent un
déficit permanent depuis 1981.
Keynes contre le socialisme ambiant
D’autres politiques socialistes prennent toujours Keynes comme
l’autorité leur accordant leur bénédiction. Prenons donc quelques
exemples associés à des extraits de leur professeur d’économie préféré.
La hausse des salaires crée du chômage !
Les socialistes nous racontent que l’augmentation des salaires
accroît la demande, et donc en définitif réduit le chômage. Or, si
Keynes critique la capacité du marché à coordonner correctement la
demande et l’offre de travail, il précise ne pas réfuter que le niveau
des salaires et de l’emploi soient inversement corrélés. De quoi
éclairer le débat sur le SMIC !
Cela signifie que, pour une organisation, des techniques
et des équipements donnés, les salaires réels et le niveau de la
production (et donc de l’emploi) sont inversement corrélés, de sorte
qu’en général une hausse de l’emploi ne peut seulement intervenir qu’en
parallèle d’une baisse des salaires réels. Ainsi, je ne conteste pas ce
fait vital que les économistes classiques ont (avec raison) qualifié
d’immuable.
– J.M. Keynes, Théorie Générale de l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie.
La régulation des prix détruit l’offre !
Peut-être
Mme Duflot devrait aussi lire ce que Keynes penserait du blocage des loyers, et des prix régulés en général :
La préservation d’une valeur fictive de la monnaie, par
la force de la loi s’exprimant dans la régulation des prix, contient en
elle-même les graines du déclin économique final, et assèche rapidement
la source de l’offre.
– J.M. Keynes, Les Conséquences Économiques de la Paix.
L’inflation, c’est du vol !
Les libéraux répètent que l’inflation est un impôt caché qui, n’étant
voté par aucun Parlement, n’est que du vol. On les traite d’extrémistes
sans pragmatisme. Voyons ce qu’en disait Keynes :
Sa conséquence la plus marquante est l’injustice pour
ceux qui de bonne foi ont placé leur épargne sur des titres nominaux
plutôt que dans des choses [réelles]. Mais l’injustice à cette échelle a
de plus grandes conséquences. […] De plus, l’inflation ne se limite pas
à réduire la capacité des investisseurs à épargner mais a aussi détruit
l’atmosphère de confiance qui est une condition nécessaire de l’épargne
volontaire. Pourtant, une population croissante souhaitant maintenir
son niveau de vie a besoin d’une croissance proportionnelle de son
capital. » [...] « Un gouvernement peut vivre longtemps […] en imprimant
de la monnaie papier. C’est-à-dire, qu’il peut ainsi prélever des
ressources réelles, aussi réelles que celles obtenues par les impôts.
[…] Le poids de [cet] impôt est largement étalé, ne peut être évité, ne
coûte rien à collecter, et tombe, d’une manière rude, en proportion de
la richesse de la victime. Pas de miracle à ce que ses avantages superficiels aient attiré les ministres des Finances.
– J.M. Keynes, Essai sur la Réforme Monétaire.
Toujours plus d’État ?
Dans une correspondance avec l’économiste Colin Clark à la fin de la guerre, Keynes admet que :
25 percent taxation is about the limit of what is easily borne.
Traduction : un taux d’imposition de 25 pourcents est la limite de ce qui peut être facilement supporté.
Aujourd’hui la dépense publique absorbe 56% du PIB. Que tous ceux qui
se revendiquent de Keynes manifestent pour le limogeage de millions de
fonctionnaires, et la réduction des dépenses de l’État d’un montant
minimum de 600 milliards d’euros par an !
Conclusion
Les libéraux ne citent pas John Maynard Keynes. Ils ont leurs
classiques, qu’on appelle d’ailleurs « Les Classiques ». Pourquoi les
socialistes citent-ils Keynes ? Parce qu’en vérité, ils se trouvent, sur
la question économique, dans un relatif désert idéologique qui s’étend
de Karl Marx à John Maynard Keynes. Si en vérité ce désert a ses
touaregs, aucun de ses habitants n’a la dimension intellectuelle d’un
Karl Marx, d’un John Maynard Keynes ou d’un Adam Smith. Et comme Karl
Marx ne se vend plus très bien auprès de l’électeur médian, le pauvre
économiste britannique a été réquisitionné sans pouvoir donner son avis.
Pourquoi donc les laisser faire ? Amusons-nous donc avec ce qu’il croit
à tort être leur jouet !