C'était un moment historique. Il faut rendre hommage à Nicolas Sarkozy, décidément bon dans les crises, il faut féliciter les autres chefs d'Etat et de gouvernement d'avoir pris conscience de la gravité du moment, il faut remercier Dominique Strauss-Kahn et Barack Obama d'avoir convaincu Angela Merkel. Sans oublier Jean-Claude Trichet, qui, depuis le début de la crise des « subprimes », sait marier détermination stratégique et pragmatisme pour sauver au mieux l'euro et l'Europe. L'ampleur du dispositif de défense mis en place, 750 milliards d'euros, a arrêté la charge meurtrière des marchés : nous voilà avec un peu de temps. Pas beaucoup, un an maximum, peut-être beaucoup moins. Il urge donc de repenser la construction européenne de fond en comble.
La tâche est rude politiquement et intellectuellement. Politiquement, parce que viennent de se tenir deux élections au résultat négatif ou incertain pour l'Europe. Le retour au pouvoir au 10 Downing Street d'un parti conservateur foncièrement eurosceptique, même si le coalisé Lib Dem est d'un sentiment contraire, est une mauvaise nouvelle. La défaite de M me Merkel en Rhénanie-du-Nord-Westphalie est plus difficile à interpréter. A-t-elle perdu pour avoir « cédé aux Français » et avoir accepté d'aider la Grèce ? Les considérations locales semblent avoir été, plutôt, les raisons déterminantes. On l'espère. Sinon, si les Allemands refusent de voir qu'ils ont intérêt à l'Union, alors s'en est fini. Autant, tout démonter de suite. A M me Merkel d'en convaincre à son tour ses concitoyens. Dans ce cadre, le fait qu'elle doive changer éventuellement de coalition et revenir avec les sociaux-démocrates n'est pas forcément mauvais, au contraire.
On ajoutera la persistance d'un chômage massif qui va favoriser le populisme des extrêmes et nourrir la dénonciation si facile de l'« Europe coupable ». Bref, le climat politique n'est pas au renforcement de l'Union européenne et pourtant nous y sommes : ou l'Europe remet en marche son intégration, ou elle se désintègre.
Comment faire ? La « première nécessité » est de minorer la nuisance des Anglais en allant dans leur (bon) sens pour renforcer le marché unique. Mario Monti vient de dire comment dans un rapport sur les services, sur l'énergie.
L'autre « première nécessité » est de retenir les Allemands en instaurant une réelle discipline de rigueur, en la faisant co-voter par les Parlements des 16 partenaires de l'euro zone, comme l'a proposé Edouard Balladur, et en dotant Bruxelles d'un réel pouvoir de sanctions. Les débats en France (la rigueur est-elle contre la croissance ?) sont tranchés : vu le niveau de dette, c'est la rigueur qui est garante de l'expansion de moyen terme. Mais qui ne comprend qu'il en va aussi de l'adhérence germanique au projet européen ! Nous sommes comme en 1983 quand Mitterrand tranche pour l'austérité pour sauver l'Europe. Que le Parti socialiste ne loupe pas ce moment historique…
Voilà deux angles fondamentaux du triangle isocèle européen : le grand marché (angle britannique) ; la discipline budgétaire resserrée (angle allemand). Il est temps d'ajouter l'angle français du gouvernement économique, c'est-à-dire qu'il est temps de cesser d'en faire un slogan vide.
La fédération des Etats-Unis a une monnaie commune et l'équilibre se fait entre les Etats par la mobilité des capitaux et des hommes. Environ 15 % du budget fédéral sont des transferts. En Europe, le budget « central » n'est que de 1 % du total. Copier le modèle américain signifie demander aux Allemands de payer 15 fois plus : impossible ! Alors que faire ? D'abord, encourager la mobilité du travail, sans plus de tabou.
Ensuite, au-delà du budget, le défi porte sur l'économie réelle. Les économistes doivent nous dire quel est l'équilibre optimal d'une zone monétaire en l'absence de transferts. Peut-il y avoir des pays déficitaires et d'autres excédentaires ? Mais alors quels mécanismes éviteront la désagrégation ? Chaque pays doit-il être à l'équilibre ? Mais est-ce possible dans une zone au départ hétérogène avec des niveaux de vie inégaux ? C'est cela qu'il faut repenser. S'il vous plaît, « bitte », « per piacere », « por favor », « please »… : on a besoin d'idées. Très vite.
ÉRIC LE BOUCHER