FRANCE-SOIR L’austérité est-elle vraiment une bonne solution pour redresser un pays ?
JÉRÔME CREEL Il y a un consensus chez les économistes, qui est que l’austérité budgétaire implique dans un premier temps un ralentissement de la croissance. Pendant les premières années, les déficits augmentent et les recettes diminuent. C’est dans cette phase que se trouve la Grèce pour l’instant. Pour autant, le pays ne peut pas échapper à une telle cure. Il vit depuis trop longtemps au-dessus de ses moyens, il lui faut d’abord rentrer dans les clous budgétaires avant de redémarrer.
F.-S. La méthode choisie est-elle la bonne ?
Le problème du plan d’austérité actuel, c’est que geler les salaires va avoir des conséquences sur les dépenses des fonctionnaires, et que les hausses des impôts impacteront ceux qui les payent. Il serait probablement plus utile de s’assurer que tout le monde paye bien ses impôts. Si le système fiscal fonctionnait, les recettes de l’Etat seraient bien meilleures. Il faut donc mettre les moyens pour mieux surveiller les contribuables. Une autre solution peu évoquée serait de réduire le budget de la défense : le pays prend prétexte de ses tensions historiques avec la Turquie pour maintenir ce poste à un niveau élevé, alors que l’appartenance à l’Union européenne pourrait lui permettre de réduire les dépenses.
F.-S. On peut donc s’attendre à une reprise dans un deuxième temps ?
J. C. Oui. Mais la question, c’est de savoir en combien de temps la reprise peut revenir. Je me garderais bien de donner des estimations. Historiquement, les pays qui ont observé des politiques de restrictions budgétaires suivies par une croissance forte sont ceux qui avaient à leur disposition d’autres leviers, comme la dévaluation de leur monnaie ou la fermeture des frontières. Le problème de la Grèce, c’est qu’elle ne peut faire ni l’un ni l’autre.
F.-S. La seule solution pour le pays est-elle d’abandonner l’euro ?
J. C. Même pas. A l’heure actuelle, pour ce faire, la Grèce devrait sortir de l’Union européenne. Sans parler de ça, le problème, c’est qu’elle a perdu de sa crédibilité auprès des marchés financiers. En revenant à la drachme, elle va à nouveau avoir du mal à emprunter, et pour compenser elle devra dévaluer. Le risque, c’est qu’elle perde en compétitivité et endommage plus durablement son économie. Dans ces conditions, abandonner l’euro s’apparenterait à un scénario catastrophe.
F.-S. Sans même parler de quitter l’Union européenne…
J. C. En l’état actuel des choses, la Grèce est soutenue par l’Union européenne, on envisage de rallonger la durée de remboursement des dettes… Aujourd’hui, les Grecs bénéficient aussi de leur appartenance à l’Union, qui leur assure une certaine attractivité. Pourvu que le pouvoir grec donne des gages de reprise en main, les tensions pourraient s’abaisser et le pays pourrait regagner un peu de marge de manœuvre. S’ils ferment la porte à l’Europe, ils courent le risque de se retrouver complètement marginalisés.
Les banques françaises menacées
Ce qui ressemblait mercredi à une excellente opportunité d’investissement s’apparente aujourd’hui à un véritable gouffre financier. Les banques françaises présentes en Grèce se trouvent aujourd’hui fragilisées. Le système bancaire français détient 10,5 milliards d’euros d’obligations grecques, mais le problème n’est pas tant les obligations d’Etat détenues que les filiales sur place, qui sont, elles, plus impliquées dans l’économie locale. Le Crédit agricole, par exemple, possède une filiale sur place baptisée Emporiki, qui a prêté pas moins de 21 milliards d’euros aux entreprises locales ! En cas d’effondrement du pays, c’est autant d’argent qui pourrait disparaître dans la nature.
Inquiétude
Ces chiffres inquiètent l’agence de notation Moody’s, qui commence à se pencher sur la situation des banques prêteuses. Elle a annoncé mercredi qu’elle allait étudier la situation de trois groupes bancaires français, le Crédit agricole, la Société générale et BNP-Paribas, et qu’elle pourrait éventuellement abaisser leur note. Pour l’instant, en dehors de la baisse du cours de Bourse, la décision de Moody’s n’a pas d’effet. A plus long terme, les banques pourraient devenir plus réticentes à prêter aux Etats. Ce qui aggraverait encore la situation des économies les plus fragiles.