Eric Decouty n'aime pas les extrémistes anti-mariage gay, ultra-conservateurs de droite, ces groupuscules extrémistes et brutaux qui portent une haine de la démocratie. Je ne les aime pas non plus, pas plus que je n'aime les extrémistes anti-capitalisme, ultra-syndicalistes de gauche, ces groupuscules brutaux qui portent une haine de la démocratie et de la liberté. Pourtant, j'ai moi-même de sérieux doute sur la pertinence de la démocratie sur certains sujets. En l'occurrence, sur les deux sujets qui cristallisent les passions d'une certaine extrême-droite et d'une certaine extrême-gauche.
Le sujet qui divise les Français en ce moment, le mariage, est-il réellement une prérogative de l’État ? Après tout, il s'agit d'une forme d'association, une union volontaire entre personnes consentantes. Quel que soit le nom qu'on lui donne, il ne recouvre que ce que ceux qui souhaitent s'unir veulent ; c'est une forme de contrat. Pourquoi l’État devrait-il choisir qui peut se marier, avec qui, et selon quelles modalités ? Pourquoi cette union donnerait-elle droit à des avantages, quels qu'ils soient, et serait-elle soumise à conditions ?
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En est-on là ? |
Les craintes des catholiques sont injustifiées. Rien n'obligera l’Église à marier les homosexuels si elle ne veut pas. Mais vouloir imposer aux autres sa vision de la société est dangereux. Avant de se poser la question de savoir si le mariage doit être ouvert ou fermé aux couples de même sexe, il faut se demander si c'est bien à l'ensemble des Français de décider de ce qu'un couple peut ou ne peut pas faire. De la même façon, vouloir que les Français s'expriment par référendum plutôt que de laisser leurs représentants élus décider suppose que l'on accepte que ce qu'un couple peut ou ne peut pas faire soit soumis à un vote.
Peu de choses séparent donc en réalité opposants et partisans du mariage pour tous ; tous acceptent l'idée que l’État peut et doit décider de ce qu'est un mariage et qui peut en bénéficier. Quand on voit quel niveau de bêtisepeut être atteint par les députés des deux camps, le constat est affligeant - d'autant plus affligeant que voter des budgets en déficit depuis 40 ans ne semble pas poser le moindre problème de conscience aux vaillants parlementaires.
Outre les comportements mafieux visant à s'enrichir personnellement - la chair est faible, la tentation est grande, les principes et l'intégrité rares - les syndicalistes se rendent coupables de violences, dans le but d'influer sur la décision des politiques ou des propriétaires d'entreprise. Ils considèrent eux aussi que l’État doit intervenir, dans l'économie cette fois, pour réguler, protéger, surveiller, redistribuer.
Ils ne sont pas les seuls dans ce cas. En France, l'idée qu'il faut redistribuer les revenus fait consensus. L'aide aux PME et aux entreprises en création, les incitations et subventions, les quotas de production ou d'importation, les prix régulés sont autant d'interférences étatiques acceptées par les Français et qu'ils appellent souvent de leurs vœux.
Manifestement, l'intervention étatique dans l'économie ne fonctionne pourtant pas. Alain Lambert ou Angela Merkel affirment à raison que le salaire minimum est responsable d'une grande partie du chômage. Les nombreux exemples d'une action étatique ayant l'effet contraire de ce qu'elle recherche ne doivent pas occulter la question de la légitimité de l'intervention étatique dans l'économie.
La création de valeur, la production de richesse, l'échange ne concernent que ceux qui y prennent part. Le marché permet à chacun d'exprimer ses préférences mieux que la démocratie ; chacun peut acheter une cravate de la couleur de son choix plutôt que porter une cravate d'une couleur unique choisie par la majorité. Quand l’État oriente l'économie, il le fait selon des critères qui amènent des décisions fondamentalement immorales.
On peut juger que l'avion est une invention plus utile que la bicyclette. Pour autant, certains n'ont pas besoin d'un avion mais ne pourraient se passer de leur bicyclette. Faut-il leur demander de soutenir l'industrie aéronautique ? Ou l'industrie automobile, selon le même raisonnement ? Est-il légitime que l'ensemble des Français paient pour entretenir des musées dans lesquels ils ne vont pas pour s'y voir ensuite proposer une entrée gratuite ?
La santé est peut-être, selon certains critères, plus utile que la cosmétique. Mais qui détient les critères pertinents pour en juger ? Préférer s'acheter une crème de jour que financer la recherche médicale peut paraître égoïste, mais qui peut juger que la recherche médicale devrait être financée si cela ne laisse plus assez à la fin du mois pour acheter une crème de jour ? La seule personne qui peut en juger est celle qui devra financer l'un ou l'autre. Aujourd'hui, on ne lui demande pas son avis.
Les Français créent de la valeur en quantités variables. Ce ne sont pas eux qui décident comment les fruits de leur travail seront utilisés, mais le choix démocratique. Concrètement, cela revient à dire que la collectivité a plus de droits sur les fruits de leur travail que les individus. Le salaire reçu aujourd'hui par un Français représente une faible part de son salaire complet, car l’État se sert grassement au passage pour financer ses bonnes œuvres ; et il leur demande ensuite, calmement mais fermement, de leur verser une part supplémentaire de leurs revenus, ainsi qu'une part de chaque transaction qu'ils effectuent.
Dans toutes leurs interactions, qu'elles impliquent une transaction matérielle ou non, les citoyens doivent avoir la bénédiction de l’État et, bien souvent, le rétribuer pour sa bienveillance - ou le rétribuer tout court. Au lieu de les dénoncer pour laisser les individus, l'extrême-droite et l'extrême-gauche souhaitent renforcer ces interventions étatiques pour imposer à tous leurs préférences. Mais ils ne supporteraient pas que quiconque leur impose ses préférences - par exemple ouvrir le mariage aux couples de même sexe ou offrir son travail pour un prix inférieur au SMIC.
Les extrémistes ont en fait le même raisonnement étatiste que la grande majorité des Français : mieux vaut tenter de faire pencher la balance de son côté, orienter l'action étatique dans la direction qu'on souhaite lui voir prendre. Soit pour en tirer un avantage, soit pour faire contrepoids puisque les autres font de même. C'est de cette idée qu'il faut prendre le contrepoint.
Les interactions entre les individus refléteront mieux leurs préférences si elles sont libres. Les individus seront plus heureux s'ils sont libres. Mais il est impossible, une fois l'idée que la société peut et doit décider pour l'individu admise, de s'affranchir de la contrainte étatique. Chaque citoyen a alors le choix entre voler et être volé, imposer ses préférences ou se voir imposer les préférences des autres. L'homme devient un loup pour l'homme, alors qu'il aurait pu échanger et interagir librement avec ses frères.
C'est l'essence du combat des libéraux : offrir à chaque individu la liberté. Les idées libérales sont mal comprises en France ; tantôt ultra-libérales, tantôt libérales anglo-saxonnes, tantôt néolibérales, elles ne sont jamais considérées pour ce qu'elles sont : des idées de liberté.
Les libéraux ne défendent ni les entreprises et leurs dirigeants, ni les consommateurs, ni les salariés ; ils les défendent tous à la fois. Les libéraux ne sont pas progressistes ou conservateurs ; ils sont avant tout libéraux et, tout en ayant leurs convictions et préférences personnelles, ne veulent pas les imposer aux autres, tout en refusant qu'on leur en impose d'autres. Les libéraux ne défendent pas plus les catholiques que les musulmans ou les athées ; ils revendiquent la liberté pour chacun d'avoir ses propres convictions et rites et l'interdiction pour tous de les imposer aux autres. Les libéraux défendent le seul modèle de société moral : celui que les individus organiseront entre eux et pour eux-mêmes. Ils défendent le seul système économique moral : celui où les individus créent et échangent sur la base de leur libre consentement.
Il appartient à chacun d'entre nous de dénoncer clairement la dérive liberticide que prend la France, de revendiquer la liberté de tous les Français, de se battre pour la reconquérir. Les extrémistes l'expriment plus violemment, mais leur collectivisme n'est pas plus dangereux pour la démocratie ou la liberté que celui de tous ceux qui veulent que leurs préférences s'appliquent à tous. Ce n'est pas contre les extrêmes, quels qu'ils soient, qu'il faut aujourd'hui lutter, mais contre le collectivisme. Les idées nauséabondes ne sont dangereuses qu'en l'absence d'hommes pour en défendre de meilleures. Défendons la liberté.