L'éviction de Delphine Batho ne change pas grand'chose à la donne, concernant l'avenir de la fiscalité écologique. Le dossier se résume facilement : volonté politique et risque électoral.
Volonté politique, car aiguillonné par les Verts - mais pas seulement -, l'exécutif, n'est pas loin d'approuver les propositions de Christian Perthuis, nommé à la tête d'un comité pour la fiscalité écologique, qui préconise notamment d'accroître la taxation du gazole.
Risque électoral, car il est évident qu'accroître la taxation d'un bien devenu de première nécessité, à la veille des élections municipales, et alors que le ras le bol sur la baisse du pouvoir d'achat ne fait que monter, n'est pas sans danger pour l'exécutif.
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TAXMAN EN ACTION |
"Le gouvernement veut y aller, Bercy est favorable..."
«Le gouvernement veut y aller, Bercy est favorable aux propositions de Christian de Perthuis, mais il faut trouver les moyens de vendre le paquet à l'opinion, de faire accepter cette politique », affirme un expert gouvernemental.
Pour résumer, l'idée est de transformer les taxes sur les carburants (ex TIPP, devenue taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, TICPE), qui ont été créées avant tout pour rapporter des recettes à l'Etat, en véritable taxe carbone. La différence ? Le niveau d'imposition ne serait plus quasiment aléatoire, comme c'est le cas actuellement, il dépendrait directement du volume de carbone émis par l'utilisation de telle ou telle énergie.
« Pas question de créer un nouvel impôt », a prévenu le ministre délégué au Budget, Bernard Cazeneuve. L'idée est bien de substituer une taxe carbone aux prélèvements actuels. Pas de nouvel impôt... mais la taxation globale des carburants serait bel et bien accrue.
Un écart de 18 centimes entre sans plomb et gazole
Car, au passage, l'écart de taxe entre le super sans plomb et le gazole serait réduit, via une imposition plus forte du gazole et non une baisse des taxes sur le sans plomb. Aujourd'hui, un litre de gazole est taxé à hauteur d'un peu plus de 45 centimes (y compris la taxe régionale) tandis que le sans plomb l'est pour 63 centimes. Ces taxes sont fixes, elles ne dépendent pas du prix du pétrole. Cet écart de 18 centimes, le gouvernement voudrait, comme le suggère Christian de Perthuis, le réduire progressivement. Une augmentation de deux centimes par an de l'imposition du diesel est envisagée. « La différence d'imposition actuelle n'est justifiée par aucune considération d'intérêt général », souligne le député Christian Eckert (PS), rapporteur général du Budget à l'Assemblée nationale, dans un rapport récent. « L'impact sur la santé et l'environnement de la consommation de gazole n'est, en effet, guère différente de celui de la consommation d'essence ». En outre, Christian de Perthuis affirme que le litre de gazole contient 15% de Co2 en plus que le litre d'essence...
Comment compenser?
Mais il y aura des compensations à cette hausse. Toute la question est là : comment la compenser , en faveur des ménages modestes, contraints d'utiliser l eur voiture pour se rendre à leur travail? Via un système de crédit d'impôt? Comment éviter de créer une véritable usine à gaz ? Même s'il est progressif, le plan d'alourdissement des taxes sur le gazole peut-il être accepté par l'opinion ? Lionel Jospin avait commencé à mettre en œuvre une telle politique de réduction de l'écart entre le sans-plomb et le gazole, avant de la stopper net en 2000, en raison de la hausse des prix pétroliers. Ceux-ci étaient alors de... 20 dollars le baril (contre 100 aujourd'hui).
Toujours plus de voitures diesel
En outre, augmenter la taxation du gazole, en regard de celle de l'essence, aura encore plus d'impact aujourd'hui qu'en 2000. Car la diésélisation du parc automobile s'est accrue. Aujourd'hui, ce serait impacter des 60% du parc automobile français, constitué aujourd'hui de voitures diesel. Et 73% des modèles neufs vendus l'an dernier carburaient au gazole. Il faut dire que les pouvoirs publics français ont tout fait pour encourager le diesel depuis des décennies. Le système de bonus-malus prétendument écologique accorde d'ailleurs une prime, depuis ses débuts, aux modèles à gazole au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Car les modèles diesels consomment intrinsèquement 15% de carburant en moins par rapport à ceux fonctionnant à l'essence et rejettent donc proportionnellement autant de C02 en moins, les deux étant corrélés. Un monospace compact Renault Scénic n'émet-il pas 114 grammes au kilomètre avec un diesel de 130 chevaux et 140 grammes avec un moteur de même puissance à essence, ce qui le rend d'ailleurs passible d'un malus ? Vous avez dit injonctions paradoxales ?
PSA et Renault ont investi à fond dans le diesel
Encouragés par le succès du diesel en France et en Europe occidentale (55% des voitures neuves vendues l'an dernier y carburaient au gazole), PSA et Renault ont investi à fond dans ce type de moteurs, dont ils sont devenus des spécialistes mondiaux reconnus. PSA est le deuxième producteur mondial de moteurs à gazole pour voitures particulières, derrière Volkswagen. Renault est pour sa part le spécialiste du diesel au sein de l'Alliance franco-japonaise avec Nissan, à qui il fournit ces moteurs. La firme française en livre également à l'allemand Mercedes pour ses utilitaires Citan et sa Classe A compacte.
Augmenter de deux centimes par an les taxes sur le litre de gazole - une hausse pure et simple et simple de la fiscalité sur la majorité des voitures, laquelle ne sera compensée par aucune baisse sur le prix du sans-plomb - ne va certes pas tuer du jour au lendemain le marché florissant des véhicules diesel. Même si elle risque de peser encore plus sur l'ambiance morose des consommateurs, dans un marché automobile en crise profonde. L'impact des futures normes européennes d'anti-pollution Euro 6, en 2014, va frapper en effet bien davantage les modèles diesel qu'une hausse des taxes. Dès l'an prochain, Bruxelles exige une forte réduction sur les diesels des émissions de NOx (oxydes d'azote), un polluant dangereux.
Renchérissement du prix des véhicules diesel
Du coup, de plus en plus sophistiqués, les véhicules diesel vont se renchérir fortement, de plusieurs centaines d'euros pièce, selon les constructeurs. La part du diesel dans les ventes totales risque donc de baisser ainsi naturellement. Et ce, d'autant plus que l'engouement des clients pour le diesel a un côté irrationnel. Ces véhicules consomment certes moins, mais sont nettement plus chers à l'achat (près de 3.000 euros d'écart pour un Scénic), avec un coût d'entretien très supérieur. En outre, ces modèles à gazole, taillés pour les longs kilométrages, acceptent difficilement des petits trajets à froid en ville, ce qui se traduit régulièrement par de très coûteux incidents mécaniques. A moins de 12 à 13.000 kilomètres par an, tous les experts s'accordent à dire que le diesel n'est pas globalement rentable pour un particulier. Reste néanmoins qu'un modèle diesel se revendra bien mieux d'occasion que le même à essence...
A moyen terme, toutefois, cette sur-taxation progressive du gazole ne sera pas totalement neutre. Au cumul sur trois ou quatre ans, elle finira par peser à son tour sur le marché du diesel lui-même. Or, à l'heure où Renault et surtout PSA sont en mauvaise santé, subissant la concurrence notamment de Volkswagen et du coréen Hyundai-Kia, c'est une mauvaise nouvelle. Renault et PSA ont fait du diesel un de leurs avantages comparatifs majeurs en Europe, où ils perdent des parts de marché. N'oublions pas non plus que tous les moteurs diesel de PSA sont produits... en France. C'est d'autant plus fâcheux que seul le marché européen est fervent de ces véhicules à gazole. Pas moyen donc de les vendre ailleurs !