Peut-être qu’avant l’automne, le «printemps arabe» deviendra une réalité dans toute la Libye. Peut-être les frappes des hélicoptères français et britanniques marquent-elles le tournant décisif, celui qui permettra aux anti-Kadhafi de reprendre leur marche vers Tripoli… Et bientôt l’OTAN pourra se congratuler pour son aide aux «démocrates» avec, au passage, quelques cocoricos français toujours bons à pousser en période électorale et des grognements de satisfaction chez le lion britannique. Après tout, Paris et Londres sont les moteurs de l’intervention en Libye, destinée, rappelons-le, à protéger les populations civiles des agissements de leur sanglant dictateur… autrefois reçu avec tous les honneurs et force embrassades.
Oui, mais en Syrie ? Aux ordres du clan Assad, l’armée tire sur la foule et les morts se compteraient déjà par milliers. Au Proche-Orient, les Européens se contentent de sanctions diplomatiques assorties de quelques mesures économiques qui semblent avoir été péniblement arrachées. Le terrain est vraiment trop brûlant pour l’Alliance et ses mentors américains ! Et puis aucune résolution de l’ONU n’autorise un engagement, Russes et Chinois s’opposant à tout texte en ce sens au Conseil de sécurité. Au grand soulagement des Occidentaux… Car la Syrie, au cœur de la poudrière du Moyen-Orient, c’est aussi le Hezbollah libanais et, dans une moindre mesure, le Hamas de Gaza. Avec en arrière-plan, les commanditaires de Téhéran. Or l’Iran est en proie aux dissensions internes, avec un président Ahmadinejad en perte de crédibilité et un guide suprême, l’ayatollah Khamenei, contesté à son tour. Donner aux Iraniens un prétexte de se ressouder autour de la Syrie serait politiquement absurde. Surtout en plein contentieux sur la politique nucléaire que mène la République des mollahs…
La bonne volonté occidentale reste très sélective, toujours dictée par la Realpolitik du moment. Elle ne manque pas de confusion non plus. Ainsi, la paralysie (surtout française) devant la «Révolution du jasmin» en Tunisie, puis devant les bouleversements en Égypte, n’est certainement pas étrangère à l’engagement en Libye. Après l’inaction, il fallait montrer de l’action. Non sans une certaine précipitation. Les stratèges et les décideurs politiques semblent avoir oublié qu’une guerre civile ou aérienne provoque d’immenses dommages collatéraux. Le plus important étant celui des réfugiés. Et rien sur le sol européen pour accueillir ces populations fuyant la guerre, qu’elles soient libyennes, africaines ou bangladaises ! Certes, un début d’organisation humanitaire fonctionne dans les zones «rebelles» mais les civils, y compris les enfants, ne sont pas à l’abri des tirs.
Le problème n’importe que peu dans les capitales de l’Alliance. La grande frousse européenne face à l’immigration, qui a déjà refoulé les Tunisiens, occulte aussi les horreurs les plus indicibles. Apprendre qu’on repêche des centaines de cadavres en mer après le naufrage d’un chalutier parti de Libye est ravalé au rang des faits divers, sans vraiment susciter d’émotions. De quoi avoir honte…