jeudi 12 février 2015
L'Eurogroupe dans l'impasse grecque
Au terme d'une réunion des ministres des finances de la zone euro, en présence du FMI et de la BCE, les Dix-huit ne sont pas parvenus à trouver un accord sur la dette grecque, même une déclaration commune. Une issue presque inédite.
Yanis Varoufakis, le pugnace ministre chauve qui a séduit la foule d'Athènes, est entré dans la fosse aux lions, à Bruxelles. Et comme attendu, de l'Allemagne à la BCE, en passant par le FMI et le fonds de secours européen, les grands fauves de l'Eurogroupe ne se sont pas laissé attendrir: le face-à-face, plutôt lourd, s'est achevé au bout de six heures sans autre promesse qu'un deuxième rendez-vous lundi, dans la même arène.
Le ministre des finances est arrivé de Grèce armé de toute sa défiance. «Nous ne cherchons pas l'affrontement et ferons ce qu'il faut pour l'éviter, avait-il prévenu depuis les bancs du parlement à Athènes. Mais exclure le choc par avance serait montrer que nous n'avons pas la foi de négocier durement». C'est Alexis Tsipras lui-même, tout juste confirmé par un vote de confiance, qui a fixé le mandat de la même tribune: ni retour en arrière, ni crédits européens au prix de ce qu'il appelle la «cruelle» austérité. Avant d'ajouter, sous les applaudissements: «'nous ne discuterons jamais l'extension du plan de sauvetage européen, parce qu'il a déjà échoué» au cours des cinq dernières années.
C'est maigre, négatif et peu propice à la négociation. A Bruxelles, le ministre Varoufakis s'est tenu scrupuleusement à cette ligne. Et il a été incapable de s'entendre avec ses dix-huit collègues de l'euro sur la rédaction, même d'une déclaration commune, une issue presque inédite. Plusieurs brouillons ont circulé. Mais faute d'accord sur les mots, le chef de l'Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem a préféré jeter l'éponge. L'idée d'un travail d'experts pour préparer le huis-clos de lundi n'a pas abouti non plus. La conférence de presse finale, annoncée peu après 23 heures, a débuté bien plus tard que minuit. Elle a duré 10 minutes à peine.
Cette impasse au premier tournant pourrait propulser le dilemme grec à l'échelon supérieur: le sommet européen qui s'ouvre cet après-midi à Bruxelles, en présence pour la première fois d'Alexis Tsipras. Les autres dirigeants européens n'ont pourtant aucune envie de transformer en session de négociation un conclave déjà dominé par la crise ukrainienne et par la lutte contre le terrorisme.
Plus sûrement, le revers rapproche un peu plus la Grèce et son nouveau gouvernement d'un défaut de paiement, faute des financements requis de l'UE et du FMI. Le second plan de sauvetage, signé en mai 2012, vient à expiration le 28 février à minuit sauf prolongation, fût-ce de quelques mois, avec le nécessaire accompagnement d'un plan de réformes et de contrôle budgétaire. A supposer qu'Athènes s'y résolve, la décision devrait être prise au plus tard la semaine prochaine afin d'obtenir le nécessaire feu vert de chacun des dix-huit autres pays, notamment celui du Bundestag en Allemagne.
Mercredi soir, les ministres des finances de l'euro attendaient de la Grèce qu'elle leur soumette au moins des idées neuves pour avancer. «Le point de départ, c'est la poursuite du plan de sauvetage en cours. Et c'est sur cette base que nous verrons s'il est possible ou non de poursuivre notre soutien» financier, avertissait Jeroen Dijsselbloem. Las, selon plusieurs participants, Yanis Varoufakis est arrivé les mains vides, cramponné dans son refus et sans aucune des propositions concrètes qui auraient permis d'engager la discussion. «Il n'y a pas d'accord sur le sujet, il nous faut un peu plus de temps», a reconnu dans la nuit le chef de l'Eurogroupe, plutôt crispé. Pour Pierre Moscovici, le commissaire en charge, l'échange a au moins permis de «clarifier la position» de chacun.
Bruit et silence de Cour
À quoi sert le rapport de la Cour des comptes ? Si c'est pour collectionner les perles de la gestion administrative, alors franchement le rapport ne sert à rien. Autant employer un bon comique et lui offrir un « prime time » annuel, il aura le mérite d'amuser la France.
Si le rapport sert à rectifier un tant soit peu quelques dérives, alors oui, cet exercice vaut la peine de nous alerter pour un meilleur usage de l'argent public. C'est ainsi que, cette année, le rapport pointe pêle-mêle la mauvaise gestion de l'eau, le coût des salaires des fonctionnaires d'outre-mer, la charge des petites stations de ski des Pyrénées, sans oublier la densité inutile des sous-préfectures et le marché de l'électricité.
Le rapport s'est particulièrement concentré sur deux sujets de notre vie quotidienne : les agences de l'eau et la qualité des liaisons des trains Intercités. Concernant l'eau, ce sont les agences de bassin qui sont épinglées pour leur opacité, leur complexité et les conflits d'intérêts qui les minent. Ajoutons l'absence de démocratie citoyenne dans la composition de leur gouvernance, le poids des lobbys pollueurs et on aura compris pourquoi un si lourd chapitre leur est consacré. Autre point : la vétusté des trains Intercités, qui devraient être des outils de qualité sur les grandes distances non desservies par les TGV. La Cour pointe l'obsolescence du matériel, l'inanité et la médiocrité du service, la déficience de la gestion. Un sujet qu'on connaît trop dans le centre de la France avec les liaisons ferroviaires Paris\Clermont-Ferrand et Paris- Toulouse via Limoges.
L a Cour n'oublie pas le déficit de la France et l'objectif impossible des 3 %. Mais elle observe un silence très contestable sur le coût financier de l'engagement de la France pour combattre le djihadisme sur les terrains d'Afrique et du Proche-Orient. Engagement pour lequel la France supporte seule la charge financière, les pays européens étant plus prompts à lui reprocher son déficit (relayés par la Cour des comptes) qu'à mettre la main à la poche pour partager la charge de la lutte contre le terrorisme. n
De l’insignifiance à long terme du politique
Quelle est la place de la politique dans l’évolution de notre civilisation ?
Le politique joue apparemment un rôle majeur dans le cours de notre existence et dans l’histoire humaine. L’histoire du 20e siècle en fournit mille exemples. La révolution bolchevique a transformé de fond en comble la société russe, le fascisme et le nazisme ont conduit à la guerre et à l’extermination de six millions de juifs, la décolonisation a fait émerger un nombre important de nouveaux États. La vie individuelle d’un être humain peut ainsi rencontrer l’histoire et s’en trouver bouleversée. La littérature utilise abondamment ce thème : que l’on songe simplement au docteur Jivago de Boris Pasternak. On pourrait ainsi penser que le destin des hommes est configuré par le politique, que le pouvoir politique construit le devenir historique en fonction de ses projets. Mais il n’en est rien. Notre devenir historique résulte d’une multitude d’initiatives individuelles, certaines d’entre elles pouvant avoir un impact majeur car elles constituent des innovations de portée historique.
Le long terme historique et l’individu
Il suffit de changer d’échelle temporelle pour comprendre le caractère accessoire du facteur politique. Si, au lieu de se focaliser sur l’histoire d’un État ou même d’une civilisation, le regard s’éloigne et observe l’humanité depuis ses origines, il apparaît immédiatement que les péripéties politiques n’ont que peu d’impact sur notre devenir à long terme. Pourquoi les hommes passent-ils du paléolithique au néolithique entre –10 000 et –5 000 dans certaines zones géographiques ?
Parce que certains d’entre eux ont commencé à faire des expériences de culture des céréales ou d’élevage, que ces expériences ont suscité l’intérêt de leurs contemporains et qu’au fil des générations, un nouveau mode de vie est apparu. Cette révolution agricole n’a rien à voir avec le politique au sens très large, c’est-à-dire avec les individus dominants des groupes humains paléolithiques qui proposaient par exemple de migrer d’un lieu vers un autre, ou d’entrer en conflit avec un autre groupe. C’est l’intelligence de quelques individus, n’appartenant vraisemblablement pas au cercle des chefs, qui a permis les innovations déterminant le devenir historique. On peut en dire de même de l’évolution ultérieure pendant le néolithique, avec l’utilisation progressive des métaux (bronze, cuivre, fer) améliorant considérablement l’outillage agricole. Faire progresser les techniques agricoles, c’est permettre aux hommes de mieux se nourrir et d’éviter les famines, et cela est beaucoup plus important que de déclencher une guerre pour accaparer provisoirement un territoire.
La Renaissance est culturelle, pas politique
Une étape majeure de l’évolution historique occidentale se situe entre le 14e et le 16e siècle. Des hommes prennent alors conscience qu’ils n’appartiennent plus au Moyen Âge. Il s’agit d’intellectuels comme le poète italien Pétrarque qui prône la redécouverte des auteurs anciens en respectant le texte original grec ou latin. Ces hommes s’aperçoivent que la longue période qui commence au 5e siècle, lorsque s’effondre l’Empire romain d’Occident, arrive à son terme. On appellera Renaissance ce vaste mouvement culturel qui conduit à notre modernité. Mais qui joue un rôle majeur à cette époque ? Ce sont des philosophes, des humanistes (Érasme, Thomas More), des artistes (Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël), des scientifiques (Copernic, Galilée, Francis Bacon), des explorateurs (Vasco de Gama, Christophe Colomb). Sans doute, le pouvoir politique de l’époque peut parfois encourager ces initiatives individuelles. De nombreux membres de la famille Médicis commanditeront de grands artistes et encourageront des humanistes. Mais les Médicis représentent un des cas particuliers de grandes familles patriciennes italiennes ouvertes à la pensée et aux innovations artistiques et techniques. D’une manière générale, le pouvoir politique est surtout un frein à la créativité car il privilégie une vision traditionnelle de l’avenir.
La révolution industrielle ne doit rien à la politique
Lorsque débute la révolution industrielle, ce sont encore des individus créatifs et entreprenants qui imaginent l’avenir : les dirigeants des manufactures, les penseurs de l’économie, les chercheurs. En choisissant des exemples dans l’histoire de France, on peut se poser quelques questions iconoclastes. La révolution française de 1789 a-t-elle joué un rôle essentiel ? Les absurdes guerres de conquête napoléoniennes ont-elles eu la moindre importance durable ? Les réponses sont évidemment négatives car de nombreux autres pays ont connu des péripéties politiques radicalement différentes pour aboutir aujourd’hui à un mode de vie et à un niveau de vie similaires aux nôtres. Le siècle des lumières et ses philosophes ont préparé culturellement une évolution profonde de la société mais sa mise en œuvre est le fait d’innombrables initiatives individuelles qui se manifestent dans le système de production et la recherche scientifique. En France, les politiques n’ont fait que caricaturer une pensée orientée vers la liberté pour aboutir finalement à la dictature de Robespierre puis à celle de Napoléon Ier.
Sciences, techniques et économie déterminent l’avenir
Lénine, Staline, Hitler, Mussolini et tous les psychopathes assoiffés de pouvoir ont évidemment moins d’importance que Louis Pasteur, Alexander Flemming et même que mère Teresa ou que l’abbé Pierre. Les premiers auront exercé un temps leur capacité de nuisance en assassinant des millions d’hommes, mais il ne restera rien d’eux dans quelques siècles. Les seconds ont permis à des centaines de millions d’êtres humains de se soigner et de guérir ou sont venus donner un exemple d’élévation morale tout à fait hors du commun. Ils resteront dans nos mémoires car leur action se prolonge encore. Quant aux leaders politiques des démocraties, qui ont le bon goût – justice leur soit rendue — de nous éviter le goulag, ils sont très vite oubliés. Demandez à des français pris au hasard de vous citer un Président du Conseil de la Troisième République. Vous n’obtiendrez que très peu de réponses et la plupart de vos interlocuteurs ignoreront ce qu’est un Président du Conseil. Leur action est d’ailleurs un échec cuisant puisqu’elle aboutit au second conflit mondial. La gauche prétendra que l’instauration des congés payés et de la semaine de 40 heures en 1936 par Léon Blum est une avancée sociale considérable. Certes, mais tous les pays développés ont connu, à peu de choses près, la même évolution sociale. Celle-ci provient donc davantage de la croissance économique et du progrès technique, qui améliore la productivité, que du facteur politique. Autrement dit, en détournant le credo marxiste selon lequel les infrastructures économiques déterminent les superstructures juridiques, on pourrait affirmer que le progrès du capitalisme détermine le progrès social. Notons au passage que si la pensée marxiste dévalorise le politique par rapport à l’économique, la praxis marxiste lui accorde un rôle majeur. L’action ne s’embarrasse pas de subtilités doctrinales.
La révolution technologique actuelle et la réticence des politiques
La révolution technologique qui débute à la fin du 20e siècle (technologies de l’information et de la communication, biotechnologies, sciences cognitives et leur synthèse en NBIC) se diffuse dans la société par l’action d’entrepreneurs qui ont le sens de l’histoire et qui comprennent bien avant le monde politique les bouleversements que peuvent induire certaines innovations techniques. Ce sont bien les Bill Gates, Steve Jobs, Steve Wozniak, Larry Page, Sergueï Brin, Jeff Bezos qui ont créé les entreprises configurant la communication planétaire contemporaine. Mais ces grands noms ne représentent que les réussites économiques majeures. Ce sont en réalité des millions d’initiatives individuelles qui, en se concurrençant et en se conjuguant, ont fait émerger l’écosystème numérique dans lequel nous vivons. L’attitude des politiques a été suiviste, réticente ou normativiste. Que de sottises n’a-t-on pas entendu ces dernières années à propos du livre numérique ou de la presse en ligne ! C’est la peur de voir disparaître les secteurs traditionnels de l’édition ou de l’imprimerie qui domine chez les politiques, pas du tout une vision de l’avenir s’appuyant sur les fabuleuses potentialités de la révolution technologique en cours.
Les petits subterfuges des politiciens
En France, des ministres à l’esprit étriqué n’ont eu de cesse de chercher à s’opposer à Google ou Amazon par de petits subterfuges règlementaires sans avenir et facilement contournés. Aurélie Filippetti a été la risée du monde entier en interdisant la gratuité des frais d’expédition à Amazon par une acrobatie juridique. Elle a raté sa pirouette : Amazon a obtempéré avec des frais de… 1 centime. On pourrait en dire autant des ministres du budget en ce qui concerne l’optimisation fiscale, pratique tout à fait légale consistant à mettre les États en concurrence pour réduire la charge fiscale. La vision du futur semble déterminée chez ces politiques par une idéologie qui ne correspond en rien au monde actuel. Ils agissent donc, pitoyablement, en vue de construire une société conforme au dogme. En vain, bien entendu : tout ce monde de la politique à l’ancienne sera supplanté par les hommes libres et leur prodigieuse créativité. Ce sont les individus qui dessinent peu à peu l’avenir par leur capacité de réflexion, d’expérimentation et d’innovation. Le futur constitue toujours une surprise et ne se décrète pas. Il est absurde de prétendre construire la société de demain à partir d’une réflexion sur le présent conduisant à des prescriptions éthiques et politiques préétablies et intangibles. Car les hommes sont incorrigibles : ils feront toujours prévaloir leur liberté. L’intelligence, leur spécificité, ne se conçoit que dans la liberté. Le charme de la vie, c’est l’ouverture vers l’avenir conçu comme une aventure de la liberté individuelle.
Une saloperie française
Voilà une anecdote, remontant à quelques jours, qui en dit long sur la France actuelle. 50 jeunes gens et filles qui ont planché pendant des années, comme des fous, pour préparer l’agrégation de mathématiques et qui sont empêchés de passer leur concours en raison d’un « droit de retrait » consécutif à une agression d’un chauffeur de la ligne D du RER.
La France actuelle, en ce qu’elle a de pire, est toute entière dans cet incident: le chaos d’une violence quotidienne, aveugle, odieuse, contre des chauffeurs qui font leur boulot; la dictature d’une minorité agissante (car enfin, au nom de quoi les usagers doivent-ils payer pour un acte de délinquance commis par des voyous); une bureaucratie bornée qui refuse de prendre en compte, au nom de ses règlements, la situation exceptionnelle d’un petit groupe en lui permettant d’entrer dans la salle d’examen; enfin, globalement, le mépris profond du mérite, du travail, de l’intelligence et de la réussite… Notre pays est engoncé dans un climat de jalousie teigneuse, d’indifférence méchante et obtuse, de médiocrité et de mesquinerie. C’est la vérité! En arrivant à Roissy, de retour du Japon, j’ai senti comme une chape de plomb devant la manière dont mes amis Japonais, qui m’ont accueilli avec tant de sourire, de dévouement et de gentillesse, étaient traités et déjà, je ressentais l’envie de repartir. Au Japon, d’ailleurs dans n’importe quel pays normal, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Espagne, ce genre de blocage des transports qui prive 50 personnes du droit de passer un concours, pour lequel elles ont bossé des années est rigoureusement inconcevable. Mais voilà, nous sommes bien dans le cauchemar français, en pleine mélasse, médiocrité conquérante… Ce n’est pas simplement un gouvernement, une politique, qu’il faut changer, mais tout un état esprit…
Maxime TANDONNET
La Cour des comptes et « La galette du roi »
S’il ne s’agissait pas d’un sujet aussi sérieux, on pourrait piocher dans l’abondante filmographie du regretté Roger Hanin pour illustrer à quel point le travail de la Cour des comptes finit par ressembler à un scénario de (mauvais) film. Ainsi, pour se moquer de l’inlassable et vaine répétition des admonestations de cette auguste institution à un gouvernement toujours sourd : « Vous pigez ? », ou, plus agressif, « Le faux-cul », ou encore « Le grand carnaval ». S’il fallait au contraire illustrer le scandale de cette dépense publique non maîtrisée et de cette dette qui gonfle à un « Train d’enfer », on invoquerait « L’ennemi dans l’ombre » et le risque d’un « Coup de sirocco ».
Cela fait des années que la Cour des comptes tire le signal d’alarme : trop de dépenses, pas assez de réformes. Mais personne ne l’écoute. Son pouvoir a été renforcé, ses interventions sont devenues plus fréquentes, mais rien ne se produit. On trouvera toujours plus pittoresque de se scandaliser du dérapage d’un rond-de-cuir ou de la gabegie d’un obscur bureau ministériel que de s’émouvoir de la spirale dans laquelle le pays est entraîné : malgré tous les avertissements, malgré toutes les promesses du gouvernement, la France a dépassé en 2014 le record absolu du poids des dépenses publiques par rapport à la richesse que nous créons, soit 57,7 %. Un chiffre invraisemblable, loin devant la moyenne européenne (49 %). Le Premier président de la Cour des Comptes, avec toute son expérience et toute l’autorité que lui confère son statut de plus haut magistrat chargé des comptes publics, l’a répété cent fois. Mais rien ne semble pouvoir conférer à ses avertissements une valeur d’injonction. La puissance publique est « A bout de souffle », mais elle continue d’espérer « Le grand pardon ».
Ce problème grec qui grossit
Il y a deux semaines, j’expliquais qu’à la suite d’élections menant une énième mouture de collectivistes au pouvoir, la Grèce avait, officiellement, choisi le communisme et, ce faisant, devrait soit renverser la table européenne en appuyant à fond sur l’accélérateur communiste, soit se transformer rapidement en démocrassie-sociale gluante, à l’instar d’une France perdue dans ses barbotages pédalo-flanbistes. Et il n’aura pas fallu longtemps pour que ce choix s’opère : comme prévu, au pied du mur, le gouvernement Tsipras transige et tente l’apaisement.
Tout avait pourtant si bien commencé ! Pour le gouvernement Tsipras, nouvellement élu avec un soutien populaire historique, la voie était tracée, très simple, très droite et très à gauche. Le programme électoral était clair : en répudiant une partie substantielle de la dette, en faisant de nombreux et généreux cadeaux à une population toute heureuse de cette distribution gratuite, en renvoyant les méchants financiers à leurs cases, on allait voir ce qu’on allait voir et on allait remettre la Grèce sur la voie de la prospérité, des matins qui chantent et d’un collectivisme enfin assumé qui, comme chacun sait, résout les problèmes, lave plus blanc que blanc et guérit les écrouelles.
Une grosse semaine plus tard, et alors que les marchés ont accueilli très fraîchement l’arrivée du parti grec Syriza au pouvoir au point de dévisser violemment à la bourse d’Athènes, la volonté de Tsipras et de Yanis Varoufakis, le ministre grec des finances, semble assez émoussée. Il faut dire que les déclarations des deux Grecs n’ont pas du tout convaincu l’establishment européen qui voit surtout que le plan de sauvetage grec est maintenant en péril, et, pire, que le pays risque d’emmener avec lui tous ceux qui sont encore attachés à la monnaie unique. La fermeté allemande ou néerlandaise, par exemple, doit bien plus au sentiment de peur qui s’immisce maintenant chez les dirigeants européens qu’au désir de fermeté nordique qu’on leur prête plus volontiers. Eh oui : comme le fait justement remarquer Stéphane Montabert dans un récent article, tout ce petit monde européen se tient par la barbichette, comme les Dupondt dans la fusée lunaire en panne, et tous comprennent — y compris Tsipras maintenant — que ratiboiser la dette grecque ne résoudra pas du tout le problème général, voire l’aggravera, la nervosité des marchés aidant.
Les fanfaronnades des dirigeants grecs ne pouvaient pas tenir très longtemps et l’intransigeance des autres Européens renvoie en réalité directement à l’absence totale de marge de manœuvre … pour tout le monde. Et cette nervosité se traduit de façon très concrète.
Par exemple, on pourrait croire que l’annonce, vendredi 6 février, d’une dégradation de la note souveraine de la Grèce de B à B- (avec perspective négative) par Standard & Poors tient de la méchanceté à l’état pur, ou de la malice voire de l’acharnement. Mais même en imaginant qu’il existe une part de manipulation de la part d’autres États ou d’occultes financiers à gros cigares pour guider la main de S&P, et ce, avec un timing assez diabolique, la réalité suffit malheureusement à justifier pleinement cette dégradation, déjà annoncée le 29 janvier dernier, et directement corrélée aux finances actuelles du pays, très concrètement au bord de la faillite (on murmure qu’il ne resterait qu’une paire de milliards d’euros dans les caisses de l’État grec pour ses dépenses courantes avant la fin du mois de février, ce qui paraît franchement juste).
Et les analystes de S&P ne sont pas les seuls à être à ce point inquiet. Plusieurs figures ont exprimé de gros doutes sur la stabilité de la zone euro telle qu’on la connaît actuellement et, à plus long terme, sur sa propre survie. Et même si on doit se rappeler que Alan Greenspan, par exemple, fut l’artisan plus que contestable de la bulle immobilière américaine avec les conséquences désastreuses qu’on lui connaît, il n’en reste pas moins que les remarques qu’il a faites récemment au sujet de la Grèce synthétisent plutôt bien le sentiment général des observateurs un minimum au courant de la situation :
« Le problème est que je ne vois aucune façon que l’euro puisse continuer, à moins d’une intégration politique complète de tous les membres de la zone euro. Et vraiment, même en se contentant d’une intégration fiscale, ça suffira pas. »
L’autre versant du « problème grec », c’est qu’une sortie de la zone euro n’est tout simplement pas possible en l’état actuel des textes, ou, plus exactement, qu’il n’y a pas officiellement de plan B pour accompagner proprement une telle sortie. Et si elle n’est pas réalisée proprement, les conséquences peuvent être violentes, pour les marchés bien sûr, mais avant tout pour les populations (et pas seulement la grecque).
Pourtant, il existe un chemin, étroit, qui permettrait de revenir à une situation si ce n’est meilleure, au moins plus stable. Ce chemin passe par la réalisation que non, un gouvernement ne peut pas dépenser l’argent qu’il n’a pas, et doit donc se contenter des taxes et des impôts qu’il parvient à collecter. L’abandon pur et simple de tout nouvel emprunt semble impossible dans l’esprit des dirigeants grecs et européens, mais le cœur du problème est bien là.
D’autre part, la collecte des ressources financières d’un État ne peut être efficace qu’à partir du moment où elle est simple et lisible par tous. Ce n’est le cas ni en Grèce, ni, d’ailleurs, dans bien d’autres pays européens qui souffrent de plus en plus des mêmes maux, France en tête. Pour la Grèce, le fait d’imposer une flat tax assez basse permettrait de réamorcer une collecte décente, diminuerait la fraude fiscale endémique dans ce pays, et lui rendrait une attractivité depuis longtemps perdue, en rendant le coût de la fraude supérieur à celui du paiement des impôts. Notez que la recette, appliquée en France, produirait aussi d’excellents effets.
Comme on le voit, ces quelques mesures, fondamentales, nécessiteraient une remise en cause extrêmement profonde de la façon dont l’État grec est envisagé, réduirait l’intervention de l’État à son minimum vital (le domaine régalien, en fait). C’est, pour tout dire, à l’opposé diamétral de ce que Tsipras et ses amis collectivistes envisageaient très sérieusement, et c’est aussi assez éloigné de ce que les instances européennes prônent, les mains moites à l’idée qu’un échec se profile inéluctablement. Personne ne voudra donc les envisager, encore moins les mettre en place.
L’avenir m’apparaît bien sombre.
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