Face à l’arrivée de plusieurs milliers de migrants d’Afrique du Nord, l’Italie invoque la solidarité de ses partenaires. Mais le 11 avril, les ministres de l’Intérieur et de la Justice des Vingt-Sept ont rappelé à Rome qu'en matière d'immigration, la règle du chacun pour soi s’impose.
L’Italie, si l’on en croit le gouvernement de Silvio Berlusconi, est confrontée à un véritable tsunami d’immigrés illégaux, essentiellement Tunisiens. Elle réclame à cor et à cris un partage du "fardeau" entre les Etats membres de l’Union européenne et menace de laisser ces clandestins passer librement chez ses partenaires en les dotant de "permis temporaires de séjour" valables trois mois ce qui, selon elle, les obligerait à les accueillir…
Lesdits partenaires, en particulier l’Allemagne, l’Autriche et la France, n’ont guère apprécié ce chantage et l’ont clairement exprimé le 11 avril, à Luxembourg, lors d’une réunion du Conseil des ministres de la Justice et de l’Intérieur, au représentant italien, Roberto Maroni – membre éminent de la Ligue du Nord, un parti régionaliste et xénophobe.
"Nous ne pouvons accepter que de nombreux migrants économiques viennent en Europe en passant par l’Italie. C’est pourquoi, nous attendons de l’Italie qu’elle respecte les règles juridiques existantes et fasse son devoir", a lancé le ministre allemand de l’Intérieur, Hans-Peter Friedrich, qui s’est dit prêt à rétablir des contrôles aux frontières intérieures de l’UE. Le Français Claude Guéant a annoncé dans la foulée qu’il allait renforcer les contrôles à la frontière franco-italienne afin de renvoyer de l’autre côté des Alpes les clandestins tunisiens. Pas question, donc, de céder au chantage italien. Maroni a laissé éclater sa colère et a franchi un pas de plus dans l’escalade verbale : "L’Italie est laissée seule. […] Je me demande si cela a vraiment un sens, dans cette position, de faire partie de l’UE."
"De la pure agitation électoraliste"
"Tout cela, c’est de la pure agitation électoraliste, en Italie, mais aussi en France", estime Patrick Weill, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’immigration. "Car il n’y a pas d’arrivée massive, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement italien et ce que laissent croire les images spectaculaires provenant de l’île de Lampedusa", porte d’entrée de la plupart des sans-papiers tunisiens.
De fait, depuis la révolution tunisienne, en janvier, 25 800 personnes ont débarqué sur les côtes italiennes, ce qui est très peu au regard de la situation économique en Tunisie et de la guerre en Libye. Ce chiffre est d’autant moins spectaculaire en ce qui concerne la Botte, que l’Italie – devenue terre d’immigration – a régularisé, en plusieurs vagues, plus d’un million de sans-papiers ces dernières années. La dernière opération de ce genre date de 2009. "Il n’y a en réalité aucun 'fardeau' à partager, ironise Patrick Weill, cet afflux est dans la norme et gérable."
Mais Rome veut faire de cette question un problème européen, en laissant croire que l’UE est une passoire. Elle fait ainsi coup double en flattant à la fois la xénophobie et l’euroscepticisme d’une partie de l’électorat italien. Or, contrairement à ce que le gouvernement Berlusconi affirme, la délivrance de titres de séjour temporaire ne permet pas de s’installer librement dans un autre pays de l’Union, comme l’a rappelé la Commission européenne, furieuse de ce détournement des règles.
En effet, si une directive de 2003 accorde un droit de séjour aux étrangers non communautaires dans l’ensemble de l’UE, c’est à condition qu’ils aient un titre de longue durée (et non de trois mois) et qu’ils aient les moyens de subvenir à leur besoin (travail ou économies). De même, si un étranger non communautaire en situation régulière a le droit de circuler librement dans l’UE, c’est aussi à condition qu’il en ait les moyens. Des étrangers munis de simples autorisations temporaires de séjour et n’ayant pas d’argent pourront donc être renvoyés dans le pays de premier accueil, en l’occurrence l’Italie…
Une nouvelle coopération des autorités tunisiennes
Le fait que les contrôles fixes aient été supprimés entre les Etats membres de l’espace Schengen ne signifie pas non plus que les Etats ont renoncé à tout contrôle : les contrôles mobiles sont parfaitement légaux et, en cas de menace à l’ordre public ou à la sécurité publique, les frontières peuvent être temporairement rétablies. Bref, Claude Guéant sait qu’il joue sur du velours en affirmant qu’il utilisera "tous les moyens de droit pour faire respecter la convention de Schengen".
L’Italie est d’autant plus mal venue de critiquer ses partenaires que Frontex peut l’aider à gérer ses frontières. Cette agence européenne permet, en effet, de mutualiser les moyens des différents Etats membres en cas de problème. C’est déjà largement le cas aux frontières orientales de l’UE.
D’ailleurs Guéant et Maroni ont convenu, vendredi à Rome, "d’organiser des patrouilles communes sur les côtes tunisiennes pour bloquer les départs", et ce, dans le cadre de Frontex. Enfin, l’UE, qui a promis d’aider financièrement la Tunisie à gérer sa transition, va exiger en contrepartie une coopération des nouvelles autorités dans la lutte contre l’émigration clandestine, ce qu’elles ont déjà commencé à faire. Beaucoup de bruit pour rien ?
Sorti bredouille du Conseil des ministres de l'Intérieur et de la Justice de l'UE de Luxembourg, où il avait réclamé la solidarité des partenaires européens dans l'accueil des milliers de migrants débarqués en Italie ces dernières semaines, le ministre italien de l'Intérieur Roberto Maroni a affirmé qu'il valait mieux "quitter l'UE", rapporte La Stampa. Ses confrères ont également critiqué la décision italienne d'accorder des permis de séjour temporaires aux migrants pour soulager les camps de rétention italiens surchargés. "22 000 réfugiés indésirables sont-ils suffisants pour gâcher en l'espace de 48 heures des dizaines d'années de construction européenne ? " se demande le quotidien turinois. Pour La Stampa en effet, la proposition italienne "a mis en avant les nouvelles angoisses profondes de l'Europe des gouvernements. On a en effet l'impression que la perspective de devoir accueillir les migrants crée davantage d'inquiétudes que de payer le sauvetage financier de la Grèce ou du Portugal". Son confrère Il Sole 24 Ore estime toutefois qu'il ne faut pas parler d'"égoïsmes nationaux", car "cette fois, les Européens ne sont pas en ordre dispersé : les Français et les Allemands ont fait bloc, avec le soutien du Royaume-Uni. Plus que d'égoïsmes nationaux, il faudrait plutôt parler d'un pacte continental, ou mieux, nord-européen, dont l'Italie est restée exclue, trop faible sur le plan politique pour faire valoir ses raisons". L'humiliation de l'Italie s'explique également par l'absence de Silvio Berlusconi : le chef du gouvernement est occupé par son procès à Milan pour prostitution de mineure et abus de pouvoir. "Dans des conditions normales, l'Italie aurait négocié au niveau des chefs de gouvernement un compromis honorable. Cela n'a pas été le cas et nos représentants ont été laissés seuls".