En tant que libéral, il est plus facile de trouver des
raisons de ne pas aller voter pour cette élection présidentielle que
d’aller voter. Voici les principales.
Comme j’avoue honnêtement en avoir assez de lire ou (plus rarement)
de m’entendre dire que ne pas aller voter est quelque chose de grave, je
présente ici les trois raisons principales en vertu desquelles j’ai
pris la décision de ne pas aller voter à la prochaine élection
présidentielle. La première raison est sans doute la plus libérale, la
suivante encore un petit peu et la dernière plus générale (quoiqu’elles
reposent les unes des autres). Comme je me doute que certains ne sont
pas d’humeur à entendre des arguments libéraux, je me permets donc de
signaler que le plus dur sera aussi le plus vite passé. De plus, j’ai
pris soin de mettre en gras le cœur de chaque argument, pour faire
gagner un temps à mes lecteurs dont je sais qu’il leur est précieux.
1. Aucun candidat ne propose de solutions libérales.
La crise financière commencée en 2008 aura remis au goût du jour les
idées étatistes dans leur ensemble, que ce soit celles de la droite
(protectionnisme, nationalisme, interventionnisme, voire racisme) ou
celles de la gauche (planisme, socialisme, et dans une moindre mesure
communisme et marxisme). À écouter le discours des candidats,
l’ultra-libéralisme, la “dérégulation financière”, ou la “course
effrénée au profit” ont eu raison de la “solidarité”, et il est temps de
mettre en laisse ce beau monde pour qu’il serve non ses intérêts
privés, mais ceux de la société en général. C’est beau, mais le mythe
d’une finance dérégulée et d’une économie libérale est infondé. Certes,
nous sommes bien dans un système capitaliste qu’aucun candidat en dehors
de Poutou et Arthaud ne conteste (Mélenchon, lui, a une dent contre la
finance et les “ultra-riches” – à peu près trois personnes et demi en
France – sans oublier la richesse “issue du capital” par opposition à
celle “issue du travail”) ; mais parler d’un système libéral relève au
mieux de l’ignorance, au pire du mensonge. Car la doctrine libérale (je
parle de doctrine, je pourrais dire philosophie ou idéologie mais quel
que soit le terme que j’emploie, je fâcherai quelqu’un) ne défend ni un
“capitalisme débridé”, ni l’intervention économique en faveur des
patrons, des banques, des fabricants d’automobiles et autres directeurs
d’usines, mais bien un capitalisme libéral, qui s’exerce donc dans un
contexte bien défini : celui d’une législation qui défend l’individu
contre l’agression physique ou la menace de son utilisation (qui est en
réalité
déjà son utilisation) – un point c’est tout.
En pratique, cela consiste à affirmer le droit naturel (un droit qui
précède celui des législateurs, qui n’ont pas le pouvoir de tordre la
réalité comme bon leur semble) des individus à disposer de leur propre
corps. De cette disposition première découle la possession qu’ils ont de
leur travail (usage de leur corps dans le temps) qui leur permet de
créer de la richesse en usant des ressources naturelles dans le but de
satisfaire ce qu’ils estiment être leurs besoins (qu’ils définissent
comme bon leur semble). Par l’échange (dont le lieu virtuel est le
marché), ils troquent volontairement telle ou telle création contre une
autre, dans le but d’obtenir une situation à leurs yeux meilleure que la
précédente. La “course au profit” n’en est donc pas une, puisqu’un
joyeux saltimbanque écoresponsable et solidaire pourra troquer le riche
héritage de sa famille bourgeoise contre le luth d’un ménestrel
itinérant dans le but de vivre de sa musique et de voyager au gré du
vent, il n’en demeure pas moins – et contrairement aux idées reçues –
qu’il y aura alors eu création de richesse. Car le ménestrel qui
choisit de troquer son luth estimera sa compensation supérieure à sa
perte (sans quoi il n’aurait pas été volontaire pour échanger) ; tout
autant que notre gentil saltimbanque sera tout ravi de
s’être débarrassé de son image de vilain bourgeois pour chantonner sur
les bords d’autoroute.
Ce qui serait en revanche une démarche profondément anti-libérale,
c’est qu’un autre individu ait estimé que le ménestrel et le
saltimbanque seraient tous deux plus heureux de cet échange, et décide
alors d’utiliser la force pour le faire advenir en dépit de la volonté
des deux autres parties impliquées. Cette attitude de gros bourrin qui
se substitue à la volonté des individus responsables de leurs biens
légitimement acquis par le travail (car le saltimbanque hérite du fruit
du travail de ses parents qui ont, on l’imagine tout du moins, librement
consenti à ce que leur enfant dispose de ce fruit à leur mort), c’est
celle de l’État : celui de Sarkozy comme celui de Hollande, Le Pen,
Mélenchon, Poutou ou même Cheminade (même si Cheminade aurait sûrement
envoyé le saltimbanque en orbite profiter des ondes cosmiques positives
de Mars ou un truc du genre). Le principal ennemi du libéralisme est
donc la violence, celle de la mafia comme celle de l’État, dont la
différence tient simplement à la légitimité qu’on accorde à l’un ou à
l’autre.
S’en suit logiquement que le libéralisme, en dehors de l’affirmation
première selon laquelle chaque individu s’appartient et qu’aucun autre
ne peut disposer de son corps, ne se prononce pas sur les questions
morales, et laisse donc chacun libre – dans cette stricte limite ! –
d’user de ce qui lui appartient pour ce qui lui semblera bon de faire.
Il n’est donc pas impossible d’imaginer une société libérale où un
groupe de socialistes décide de mettre en commun ses moyens de
productions et de vivre selon la célèbre formule “de chacun selon ses
moyens à chacun selon ses besoins”, à condition, bien sûr, de ne forcer
personne à faire de même. Il s’agit donc bien d’une éthique minimale qui
permet à tous de vivre selon sa propre loi (littéralement
en autonomie) dans la stricte limite du respect du droit qu’a tout autre individu sur lui-même.
Quel rapport avec la choucroute me direz-vous ? C’est simple :
tous
les candidats sans exception proposent un programme qui défend une
vision de l’État comme garant de certaines valeurs morales qu’il
convient d’imposer à tous ; comme s’ils disposaient, sans limite aucune,
du droit qu’a en réalité chacun sur lui-même. Qu’est-ce qui
est juste pour eux ? Que machin soit payé tant et pas plus, ou que
bidule n’ait pas le droit de travailler tant qu’il n’a pas de titre de
séjour qui doit par ailleurs être difficile à obtenir, ou plus
généralement qu’il est bon de voler l’argent des autres pour être
généreux avec, ou pour sauver les banques, ou autre. Leur élection
promet alors d’imposer cette représentation particulière qu’ils se font
de la justice à toute la société, nonobstant le droit naturel qui
revient à chaque individu en tant qu’il est un homme. Voilà pourquoi
aucun candidat ne défend des idées libérales.
2. L’arnaque du vote blanc
Voter n’est pas l’exercice de sa liberté. Être libre et être
responsable, cela va nécessairement de pair (sinon les rochers
commettraient des meurtres quand ils n’ont d’autre choix que d’obéir aux
lois de la nature lorsqu’ils tombent d’eux-même sur la tête des
randonneurs). Voter, au contraire, c’est bien déférer sa responsabilité
sur un représentant chargé d’agir en notre nom. Il s’agit bien de
confier à plusieurs hommes (au cours des différentes élections) le
pouvoir de décider en notre nom et à notre place de ce qui est bon ou
mauvais pour la société (car le programme est plus le signe d’une
certaine mentalité qu’une ligne directrice rigide à laquelle il convient
de se tenir rigoureusement, puisque l’on vote aussi pour que
notre représentant prenne la décision qui nous semblera bonne lorsqu’un
événement imprévu surviendra – ce en quoi Sarkozy, avec la crise, a
déçu), et d’agir pleinement, dans la limite du pouvoir qui leur est
conféré, pour faire advenir ce bien.
S’en suit alors la chose suivante :
voter, c’est se rendre esclave.
Le seul candidat qui aura mon vote sera donc celui qui œuvrera pour
faire en sorte que les scrutins suivants soient potentiellement moins
liberticides, en limitant les pouvoirs confiés à tous les représentants
politiques.
Lorsqu’on vote blanc, on participe de cette grande
cérémonie rituelle où le gagnant se sent investi de la responsabilité
illusoire de librement disposer des droits des autres pour construire la
société de ses rêves (et de tous ceux qui ont voté pour lui).
Cela parait très théorique et anodin, mais les ramifications sont en
réalité très concrètes.
Par exemple, en faisant de la santé une affaire publique (alors qu’il
n’y a que la somme des différentes santés individuelles qui reviennent
de droit au détenteur du corps auquel chacune appartient
respectivement), on en fait une affaire politique (puisque la politique
est bien l’art des affaires publiques de la cité –
polis en
grec), et en confiant les affaires politiques à des représentants, on
soumet alors notre santé à leur bon vouloir et à ceux de leurs
électeurs. Pas étonnant alors qu’une question privée comme l’est celle
de la contraception devienne un problème politique où chacun y va de sa
proposition comme s’il disposait des corps tout entiers de l’ensemble de
la population française. Idem pour l’usage des drogues, ou de la
gestion de l’obésité, etc.
3. Parce que les représentants élus tirent leur légitimité à agir
uniquement des citoyens qui ont choisi de s’en remettre au jeu
démocratique.
“J’écoute ceux qui manifestent, mais aussi ceux qui ne manifestent
pas” disait Dominique de Villepin en 2006 (si ma mémoire est bonne), au
moment du CPE. Villepin opposait en réalité la légitimité qui provient
du vote à celle qui émane des manifestations ostensibles de la volonté
des individus (c’est ce que l’on fait lorsque l’on manifeste : on
exprime sa volonté dans le but qu’elle soit entendue). Car les élus ne
peuvent agir en notre nom que tant que nous continuons de leur en
remettre le droit légitime. Puisqu’ils sont censés nous représenter,
agir en notre nom et en notre volonté, toute politique qui s’écarte de
ce qui était attendu du vote a tendance à faire perdre la face à son
instigateur. La manifestation, elle, est là pour rappeler que tout n’est
pas permis sitôt qu’on a ses petites fesses dans un fauteuil de
ministre, de député, de président, ou autre.
Comme je l’ai fait comprendre plus haut, le vote blanc n’a jamais
rien de contestataire, car en participant tout de même au rituel du
vote, on accepte du même geste de s’en remettre à son résultat. Quelle
différence y a-t-il alors à ne pas aller voter ? On prive le gagnant de
l’élection de la précieuse légitimité du scrutin majoritaire à laquelle
il s’agrippe avec la poigne d’un vieux retraité dès que les choses
tournent mal. Sarkozy a bien été le premier à affirmer qu’il allait
quoiqu’il arrive passer telle ou telle réforme parce qu’il a été élu
pour, et que telle ou telle autre ne serait pas au programme de son
action parce qu’elle n’était pas présente dans ses éléments de discours
avant 2007. Naturellement, ces excuses ne trompent pas tout le monde et
il va de soi que même sans légitimité, les représentants ont tendance à
faire ce qui leur plaît. Toutefois, l’excuse est un précieux remède aux
contestations, puisqu’il est nécessaire pour la contrer de rassembler
suffisamment de monde dans la rue pour montrer que non non, la majorité
n’est pas de ce côté mais de l’autre. En privant le vainqueur de
l’élection de la participation active de la population au rituel d’où il
tire sa légitimité, on a plus de chance de l’acculer et de le tenir en
laisse. Imaginez un président élu à 54% des voix, mais avec
une abstention record à 70%… comment celui-ci pourrait-il prétendre sans
ridicule représenter la France à l’international, ou passer des
réformes difficiles au nom des Français, quand il ne représente en
réalité qu’une infime fraction de ceux-ci ?
On pourra nous objecter que, dans les faits, 70% de votes blancs sera
tout aussi efficace voire plus spectaculaire qu’une abstention
équivalente. En
fait oui, en
droit non. Comme je l’ai expliqué plus haut, par le vote blanc on manifeste sa volonté de s’en remettre au résultat du scrutin.
Le
vote blanc prête donc une légitimité en droit au représentant élu,
quoiqu’il la prive d’une légitimité de fait. L’abstention, elle, le
prive non seulement de sa légitimité en fait, mais en plus de sa
légitimité en droit. Plus aucun recours à l’argument de représentation
légitime n’est possible, et son action politique est alors plus délicate
à entreprendre.