Qena, Nagaa Hamadi (Haute-Egypte), Envoyée spéciale - La Haute-Egypte s'est ralliée tardivement aux grands mouvements de contestation qui ont embrasé les rues égyptiennes du 25 janvier au 11 février, jour de la chute du président Hosni Moubarak. Dans cette région, où les hommes sont réputés armés, des habitants ont expliqué qu'il était préférable de rester chez eux plutôt que de sortir avec leurs fusils. Tandis que dans le nord du pays, des centaines de milliers de manifestants se confrontaient, mains nues, aux balles tirées par la police et aux gaz lacrymogène, le vendredi 28 janvier baptisé "jour de la colère", des petits cortèges se sont formés dans les villes du sud égyptien avant de se disperser dans le calme.
De même que les forces de l'ordre se sont volatilisées dans la capitale et les villes du nord, elles ont quitté leurs postes dans le sud pour se recentrer autour des casernes, créant un vide sécuritaire inquiétant dans cette région où les violents incidents entre musulmans et Coptes se sont multipliés depuis 2010. "Mais il n'y a au aucun incident à déplorer entre chrétiens et musulmans, se rassure Kamel Nashed, père d'un adolescent copte assassiné en 2010 à Nagaa Hamadi. Les habitants se sont organisés en formant des comités populaires chargés de surveiller les allers et venues dans les quartiers. Cela prouve bien que nos ennemis ne sont pas les musulmans, mais les policiers qui, sous couvert de patrouiller devant nos églises, n'étaient là que pour empêcher la construction et la restauration de nos églises."
LA VENDETTA, PRATIQUE COURANTE
C'est dans ce climat particulier, qu'a été rendu dimanche 20 février, à Qena (chef-lieu du gouvernorat), le verdict contre les responsables d'une fusillade qui avait tué six Coptes et un policier le 6 janvier 2010, dans la ville voisine de Nagaa Hamadi. Le tireur, Mohammad Ahmad Hussein dit "Kamouni", 45 ans, avait été condamné à la peine de mort par pendaison un mois plus tôt. Dimanche, ses deux acolytes ont été acquittés. En décrétant la peine capitale pour le tireur et en innocentant ses complices, la justice égyptienne a cherché à éviter un embrasement communautaire, estiment des observateurs égyptiens. La Haute-Egypte est une région rude où le "târ", la vendetta, reste une pratique courante.
"Le crime a eu lieu la veille du Noël orthodoxe, dit Ahmed Hegazi, policier et enquêteur dans cette affaire. A bord d'un véhicule, Kamouni a dirigé sa mitraillette sur les fidèles qui sortaient de l'église Mar Yohanna, tuant trois jeunes garçons. Puis deux autres, un peu plus loin." La voiture avait alors poursuivi sa route en direction du monastère Anba Bedaba, à l'entrée de la ville, de l'autre côté du Nil, forçant l'arrêt d'un taxi qui s'engageait sur le chemin bordé de cannes à sucre. Ses occupants avaient été débarqués, les musulmans mis de côté ; l'autre passager, copte, et un policier, abattus.
"Les deux complices de Kamouni ont aidé ce dernier à distinguer les coptes des musulmans", assure Ihab Ramzy, avocat auprès des victimes. "Ils auraient dû être pendus comme le tireur, estime-il, dénonçant un "verdict piétinant les droits des coptes". "D'autant, ajoute-t-il, que les accusés n'étaient pas présents à l'audience. La rumeur veut qu'ils aient réussi à s'échapper de prison dans la pagaille qui a suivi les premières manifestations."
"JE N'AI PLUS PEUR DES MUSULMANS"
Du côté des familles de victimes, Kamel Nashed continue à pleurer la mort d'Abanob, son fils. Son petit appartement a été transformé en mausolée. Sur les murs, sur la porte d'entrée, sur la portes des voisins, coptes eux aussi, des posters colorés montrent Abanob coiffé d'une couronne et d'ailes blanches : Abanob au milieu des Saints et des anges, Abanob en Saint Michel terrassant le dragon. La chemise de son frère qui avait servi à essuyer le visage d'Abanob a été conservée dans une pochette en plastique, telle une relique. Au milieu des tâches sombres qui maculent le tissu de coton, Kamel Nashed y voit "le visage de la vierge et une grande croix".
Kamel Nashed se dit aussi rasséréné par l'esprit positif de la "Révolution" : "Ces jeunes d'Egypte, affirme-t-il, ont renversé le régime, guidés par la main de Dieu. Je n'ai plus peur des musulmans." Le statut des chrétiens dans l'Egypte d'après Moubarak est source d'inquiétude chez la communauté copte qui forme entre 7 et 10% de la population totale. Beaucoup ont critiqué le Comité mis en place par l'armée pour amender la Constitution qui comprend à la fois des personnalités proches de l'ex-ministre de la justice et un Frère musulman. Une manifestation de quelques centaines de personnes est partie du quartier mixte de Shoubra, au Caire, jusqu'à la tour de la télévision nationale au nom de la "Révolution de la croix et du croissant" et réclamant un Etat laïque.
Cécile Hennion