Retransmises souvent par téléphone portable sur Internet, les images qui ont fait le tour du monde, dimanche 27 décembre, témoignent de la violence de la répression et de la détermination des manifestants qui, en Iran, ont transformé la traditionnelle commémoration religieuse du deuil chiite de l'Achoura en une journée d'affrontements d'une rare ampleur.
On y voit des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de Téhéran et de la plupart des grandes villes iraniennes: Chiraz, Ispahan, Qasvin, Tabriz et même Qom, la ville sainte. Des vidéos montrent en direct des heurts sanglants entre la foule et les forces de l'ordre et les miliciens bassidjis, assistés parfois d'hélicoptères ; des motos et des voitures en feu. Toutes évoquent des morts. Les premiers depuis les grandes manifestations qui avaient suivi la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad le 12 juin, et qui s'étaient soldées par une soixantaine de victimes et 4000 arrestations, selon l'opposition.
Cette fois, la police admet cinq morts "accidentelles" et l'arrestation de 300 "hooligans". Les manifestants portent ce bilan à huit ou dix morts, certains par balles, dont trois au moins à Tabriz.
Parmi les victimes figure Ali Moussavi, le neveu de Mir Hossein Moussavi. L'ex-premier ministre, candidat malheureux des réformateurs à la présidentielle de juin, a dénoncé une "fraude massive" et lancé la contestation. Six mois après ce scrutin, en dépit d'une répression sévère, le mouvement perdure.
Ali Moussavi, rapportent des sites réformateurs, dont Jaras, citant entre autres le cinéaste Mohsen Makhmalbaf, proche de la famille, a été tué délibérément. Une voiture le suivait avec cinq hommes à bord, lorsqu'il est sorti de chez lui. L'un d'eux est descendu et a tiré sur M.Moussavi. Selon les mêmes sites, son corps aurait été transporté et gardé à la morgue, la famille priée de rester discrète.
Un assassinat ciblé, sorte d'avertissement au leader de la contestation ? L'information est difficile à confirmer, mais d'autres agressions "ciblées" auraient eu lieu dimanche. A Ispahan, le frère de l'ancien ministre de l'intérieur réformateur, Abdullah Nouri, aurait été frappé devant ses enfants par des miliciens qui l'avaient publiquement menacé auparavant.
De plus, en marge des "hooligans" interpellés, d'autres personnalités critiques du gouvernement ont été emmenées en prison. C'est le cas d'Ibrahim Yazdi, le vieux leader du Mouvement de libération de l'Iran (un parti nationaliste toléré par intermittence), arrêté chez lui à 3 heures du matin dans la nuit de dimanche à lundi, ou encore de Mehdi Arabshahi, le secrétaire de la plus importante organisation d'étudiants, Tahkim Vardat (Consolidation de l'unité), arrêté à Téhéran. De même que les trois plus proches collaborateurs de M. Moussavi.
Enfin, le couvre-feu a été instauré à Najafabad, la ville natale du grand ayatollah dissident Montazeri, figure de proue de la contestation religieuse, dont l'enterrement sous haute surveillance a suscité des manifestations contre le régime la semaine dernière.
Face à ce qui peut sembler une nouvelle aggravation de la répression, des voix se sont élevées pour prévenir une trop grande radicalisation du mouvement contestataire. Dans un appel très remarqué, lundi, Ezatollah Sahabi, le dirigeant d'un groupe de religieux nationalistes, lance un appel à la "modération" pour ne pas faire le jeu du régime : "Attention à ne pas vous précipiter vers la violence. Ils sont prêts, écrit-il en substance, à tuer un million de personnes s'il le faut."
Pourtant, de l'avis de tous les témoins que nous avons pu joindre par téléphone, ce qui ressort des affrontements de dimanche, c'est précisément la radicalisation des manifestants. Leurs slogans très durs visaient non plus M.Ahmadinejad, mais le Guide suprême Ali Khamenei ("Moharram, c'est le mois du sang versé, le guide Khamenei sera renversé").
Le guide était également comparé au calife honni Yazid, responsable de la mort de l'imam Hossein à la bataille de Kerbala, que commémore le deuil de l'Achoura. Une "première".
De plus, dans la rue, sans être vraiment armés, de nombreux manifestants ont érigé des barricades dans certaines avenues de Téhéran, jeté des pierres sur les forces de l'ordre ou encore incendié les motos des voltigeurs bassidji, fer de lance de la répression lors des émeutes dans les rues.
Posté sur l'avenue Azadi (Liberté), au centre de la capitale, Reza, un jeune diplômé iranien, nous a fait part de ses craintes au téléphone : "Il y avait un monde incroyable, je crois que les bassidji ont eu peur cette fois. Les rôles étaient inversés, ça les rendait fous de rage. Avec leurs matraques, ils ont tabassé des femmes et même des vieux. Nous étions révoltés de voir ça. Certains leur ont répondu de façon violente eux aussi, car normalement le jour de l'Achoura, c'est un jour de communion dans le deuil des chiites, un jour d'affliction et de paix sacrée. De voir qu'ils ne respectaient rien, beaucoup de gens qu'on ne voyait pas manifester jusque-là sont venus, outrés. Des gens modestes, mais religieux. Je crois que le mouvement est à présent vraiment populaire."
Et il ajoutait, inquiet : "Mais il faut résister: si on perd le calme et l'équilibre, c'est mauvais. Pour exister, nous devons parier sur la durée et la légalité." Les autorités en place ont, il est vrai, commis des erreurs, de l'avis des analystes iraniens. La première a sans doute été, nous a expliqué l'un d'eux au téléphone, "de n'avoir pas respecté le deuil lors de la mort de l'ayatollah Montazeri. Ses partisans ont été harcelés, ceux qui lui rendaient hommage empêchés parfois de le faire. En cela, le pouvoir a perdu sa “crédibilité” religieuse et populaire".
La seconde erreur, expliquait-il encore, a été, samedi, d'empêcher l'ancien président de la République réformateur, Mohammad Khatami, de prononcer un discours. "M. Khatami avait choisi de s'exprimer à Jamaran, au nord de Téhéran, là où avait vécu l'ayatollah Khomeyni. Un lieu hautement symbolique en ces temps troublés où gouvernement et opposition se disputent l'héritage du fondateur de la République islamique. Mais la police n'a rien respecté. Des gens venus écouter le discours ont été enfermés de force dans la mosquée, les autres priés de se disperser. Cette bataille symbolique aussi a été perdue pour le pouvoir. Certains manifestants criaient “Khomeyni, si tu vivais, tu serais avec nous!”…"
Faut-il s'attendre à un nouveau renforcement de la répression ? "Le cycle manifestation-répression est désormais enclenché. Le gouvernement devra jouer serré dans les prochaines semaines s'il ne veut pas contribuer à faire grandir la contestation, concluait l'analyste. Après le mois de deuil de Moharram vient celui de Safar. Entre-temps, il y a tous les quarante jours la célébration des deuils récents, dont celui de M. Montazeri. D'autres troubles en perspective…"
Marie-Claude Decamps
lundi 28 décembre 2009
Pouvoir et opposition se radicalisent en Iran
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