Barjot-Escada : même combat !?
Des divergences notables sont apparues dans la conduite des
manifestations et l’argumentation à tenir contre la dénaturation du
mariage. Divergences inévitables en matière prudentielle et donc plus ou
moins discutables et légitimes, jusqu’à un certain point…
Quoiqu’on pense du style Frigide Barjot et de ses propos qu’il ne
faut sans doute pas toujours prendre au premier degré, il faut
reconnaître qu’elle a réussi son coup, en excellant notamment dans
l’argumentation dite ad hominem. Sa logique spécifique s’adresse surtout en effet à l’homme adverse (« ad hominem »)
en se plaçant sur son propre terrain médiatico-politique, selon ses
habitudes. Elle raisonne avec ses principes, non forcément pour les
admettre mais pour mettre cet adversaire dans l’embarras, en
contradiction avec lui-même, casser son système.
Prendre par exemple comme alliée l’association « Plus gay sans mariage » du jeune Xavier Bongibault, pour démontrer que tous les homosexuels ne sont pas pour le « mariage » des paires,
relève de ce genre d’argument. Si vous êtes logique avec vous-mêmes,
lance-t-elle en somme aux partisans de ce « mariage », commencez par ne
pas être « homophobes » entre vous les homosexuels ! Car c’est bien une
forme de discrimination, de terrorisme intellectuel et même d’homophobie
que de considérer que tous les homosexuels doivent penser de la même
façon. Bongibault a d’ailleurs lui-même été agressé par les militants
d’Act-Up. Et Frigide Barjot de s’afficher elle-même réellement
anti-homophobe, avec les ambiguïtés que comporte néanmoins cette
revendication, comme l’a déjà très bien souligné Jeanne Smits, sans
qu’il soit besoin ici d’y revenir.
Limites de l’argument ad hominem
Pour séduisant et licite, utile et très fort, que puisse être cette
forme de raisonnement par l’absurde qui souligne la contradiction
interne de l’adversaire, il n’en recèle pas moins, en effet, des risques
certains lorsqu’on en use sans modération ni discernement (1). Il y a
toujours un danger à mettre un pied, même petit et malin, chez
l’adversaire libéral ou relativiste, parce que, disait en substance saint Pie X, l’ennemi peut l’interpréter comme une preuve de notre faiblesse, « un signe et une marque de complicité ».
Au reste, à y revenir trop souvent, sans précautions, on peut se
laisser prendre à son propre jeu et finir par croire ou laisser croire
qu’on approuve des choses qu’on ne devrait pas, jusqu’à prétendre faire
applaudir un dérangeant « kiss-in »…
La tolérance indue qu’on concède ainsi libéralement comme un droit moral
peut d’ailleurs ne servir à rien, car nos adversaires n’en sont
généralement pas dupes. Et ils possèdent eux aussi un argument massue, ad hominem, à nous opposer : – Pas de tolérance aux ennemis de la tolérance ! Pas de liberté aux ennemis de la licence ! C’était bien le sens ultime de l’agression des « Femen » et de leur suppôts, qui pourrait tout aussi bien se retourner demain contre « la manif pour tous », en dépit de ses efforts d’ouverture.
On le saisit bien : du point de vue des serviteurs et coopérateurs de la vérité, l’argument ad hominem ne doit pas dépasser les limites de sa fonction stratégique de logique formelle, purement rhétorique, mais comme hors-sujet
par rapport au vrai contenu de la vérité. Il peut ouvrir
pédagogiquement une brèche dans le monde clos du mensonge où s’est
réfugié plus ou moins (in)consciemment l’adversaire, faisant éclater sa supercherie, son faux ordre sexuellement correct.
Mais il ne peut se suffire à lui-même. Il doit être aussitôt et
simultanément dépassé par une argumentation logique plus matérielle :
non seulement avec de bons principes mais en adéquation avec la réalité
(morale et politique). Selon la vérité : « adaequatio rei et intellectus ».
Une argumentation anthropologique cohérente et consistante aussi bien
en matière scientifique, philosophique et théologique, chacune de ces
matières étant évidemment autonome et souveraine dans son ordre, l’ordre
supérieur assumant l’inférieur.
Conclusion : dans l’éternel débat sur le fond et la forme, encore une fois on doit se garder de dialectiser. Il faut distinguer pour unir !
– A trop user de l’argument d’autorité, confessionnel, vous allez
rebuter l’adversaire et vous isoler dans un communautarisme identitaire
et religieux de mauvais aloi, objectent les uns contre les militants de Civitas. – A trop user de l’argument ad hominem,
vous allez lâcher la proie pour l’ombre, vous enfouir et vous effacer
dans un relativisme même modéré, adopter vous-même un mariage au rabais
(agréant d’ailleurs pour beaucoup déjà le funeste pacs qui détruit déjà
le mariage par homéopathie), répliquent les autres contre ce parti de bisounours (2).
La vérité est que l’un n’empêche pas l’autre à certaines
conditions : dans une coopération distincte mais unie, dans l’ordre de
la raison et celui de la foi, sans exclusive mais avec un discernement
stratégique et une hiérarchie certaine. Car l’intelligence (avec ses
principes propres qui, eux, ne sont pas erronés) est là précisément pour
faire la cohérence et le lien entre ces armes complémentaires et
différentes du combat. Il nous faut être réunis notamment par une amitié
au service du vrai et du bien commun, qui implique que les fils de
lumière soient « prudents comme les serpents et simples comme les colombes »...
Oui, en toutes choses il faut considérer la fin. Tous ensemble donc
pour la manifestation du 13 janvier prochain, unis contre le « mariage »
gay : Barjot-Escada, même combat !?
(1) Dans le même ordre d’idée, voir aussi la question du référendum dans Présent du 7 novembre ou notre objection à l’objection de conscience dans Sous le signe d’Antigone, p. 173.
(2) On se souvient notamment comment l’usage trop exclusif de cet argument ad hominem a pu altérer le combat pour la liberté de l’enseignement en 1984. « Je
n’ai pas demandé la liberté aux libéraux, parce que c’est leur
principe ; je l’ai demandée et je la demande parce que c’est mon droit.
Et, ce droit, je ne le tiens pas d’eux, mais de mon baptême, qui m’a
fait digne et capable de la liberté. En renonçant à Satan, à ses pompes
et à ses œuvres, c’est par là, non autrement, que je suis devenu libre », résumait Louis Veuillot.