Jean-Louis Beffa, ancien PDG de Saint-Gobain, président de Lazard Asie
"La compétitivité de la France? A 90%, une question de hors-coût" " Le problème de compétitivité de la France, c'est pour 10% une question de coûts, et pour 90% une question de " hors coûts
". Le véritable enjeu, ce sont les exportations. Pas seulement pour nos
PME mais aussi pour certains de nos fleurons (Areva, Alstom, etc.).
Plusieurs leviers permettraient d'améliorer nos performances :
l'innovation, la gouvernance et le dialogue social. Pour l'innovation,
le crédit impôt recherche est un très bon outil mais il faut le diminuer
pour les banques et les services (ce sont des métiers protégés, non
soumis à la concurrence internationale) pour concentrer les moyens sur
l'industrie et encourager la diversification des grands groupes.
La
gouvernance des entreprises est également décisive : il faut remettre
le conseil d'administration au centre des décisions et favoriser
l'actionnariat long terme. En clair, retrouver un capitalisme de "
stakeholder " qui privilégiera l'intérêt national sur l'intérêt
financier. Des mesures juridiques, comme la protection contre les OPA
hostiles ou la taxation des plus-values à court terme, peuvent y
contribuer.
Enfin, il est impératif de moderniser le dialogue
social : s'inspirer du modèle allemand qui associe les salariés aux
décisions et qui permet de mener des restructurations en bonne
intelligence avec le souci, partagé par les directions et les syndicats,
de maintenir systématiquement une part des emplois sur le territoire
national. Dans tous les cas, le rôle de l'Etat est essentiel : en
témoignent les pays qui ont gagné la bataille de la compétitivité -
l'Allemagne, la Corée du Sud, le Japon et même la Chine. "
"Eviter toute mesure qui pèserait sur les marges" " Je pense qu'il ne faut pas séparer coût du travail et innovation. Pour financer la R&D, nous avons besoin de dégager des marges suffisantes. On ne peut pas réussir sur le long terme avec des prélèvements obligatoires élevés. Chez SEB, notre métier est complètement mondialisé. Il y a quelques années les prix de ventes de plusieurs appareils d'entrée de gamme ont chuté de 20 à 5 euros car nos clients ont eu accès à une offre chinoise. Il nous a fallu reconnaître qu'un certain nombre de produits " banals " ne pouvaient plus être fabriqués en France. Nous avons donc porté tous nos efforts sur le haut de gamme en misant sur la R&D afin de proposer des produits plus innovants et de maintenir une fabrication française. Les quatre produits de petit électroménager les plus vendus dans l'Hexagone en 2011 étaient des produits du groupe SEB, à valeur ajoutée : la friteuse sans huile, un robot culinaire, un générateur de vapeur et un aspirateur silencieux, vendus de 150 à 200 euros.
Pour continuer à investir en France, il faut baisser le coût du travail qui ne peut être durablement supérieur à celui de l'Allemagne. Par ailleurs, il faut à tout prix éviter toute mesure qui aurait pour effet de détériorer encore davantage nos marges. Je pense, par exemple, au forfait social sur l'intéressement-participation (qui pourrait passer de 8 à 20%, NDLR) qui ne récompense pas la production dans notre pays."
"Veiller au coût de l'énergie" " Pour plusieurs secteurs industriels (chimie, matériaux, sidérurgie), le coût d'accès à l'énergie est un élément clé de la compétitivité. Ainsi, chez Solvay, il équivaut à la moitié de la masse salariale mondiale. Or, dans ce domaine, deux ruptures brutales sont intervenues ces dernières années. D'une part, le développement des gaz de schiste aux Etats-Unis : la chute des prix du gaz outre-Atlantique a créé, entre 2009 et 2011, un choc de compétitivité de 126 milliards de dollars, selon la banque Natixis. Résultat, les chimistes américains ont planifié 16 milliards de dollars d'investissements nouveaux dans les cinq prochaines années et relocalisent certains de leurs projets sur le territoire américain. D'autre part, la décision de l'Allemagne d'arrêter l'exploitation de ses centrales nucléaires et d'investir dans les énergies alternatives, en faisant porter sur les ménages l'essentiel de la facture et en préservant les industriels gros consommateurs d'électricité. Face à cette donne, nous devons chercher à exploiter nos propres ressources : on ne peut pas s'interdire de regarder ce que recèle notre sous-sol, même s'il faut bien sûr s'assurer que son exploitation ne crée pas de dommages sur l'environnement. On peut également réfléchir au développement d'infrastructures permettant d'importer du gaz américain. Dans ce contexte, le rythme de la transition énergétique voulue par le gouvernement doit être adapté à l'environnement économique. Si la croissance reste faible, descendre la part du nucléaire à 50% dans la production d'énergie sera très difficile et très coûteux. Pour préserver la compétitivité des industriels, trouvons des modalités raisonnables de répartition du surcoût entre les ménages et les entreprises.
Pour ce qui est de l'innovation, je pense que la France dispose d'un écosystème efficace. Solvay réalise ainsi 8% de son chiffre d'affaires dans l'Hexagone mais 40% de sa R&D. Le terreau est fertile. Le crédit impôt recherche est un outil fiscal fabuleux, simple à comprendre et facile à utiliser. Arrêtons de le remettre en question chaque année au prétexte qu'il bénéficie trop aux grands groupes : ce dispositif incite les PME à faire plus de recherche et les grands groupes à faire cette recherche en France. Développons aussi les opportunités de travail en commun entre grandes et petites entreprises, secteur privé et secteur public. A ce titre, les pôles de compétitivité constituent une bonne réponse. Mais inutile de les multiplier à l'infini : soyons sélectifs et concentrons les moyens sur un petit nombre de pôles d'excellence. "