L'affaire Strauss-Kahn nous rappelle une réalité historique que nous avions quelque peu oubliée: le sexe n'est pas une simple composante du pouvoir, c'est le pouvoir. On comprend dès lors qu'à travers l'Histoire, le pouvoir agisse comme un aphrodisiaque. La sexualité des chefs d'Etat a souvent fait bon ménage avec la politique, à condition toutefois qu'elle soit discrète...
John Fitzgerald Kennedy est longtemps resté dans l'Histoire comme ce président jeune, beau, au corps d'athlète et idéaliste qui voulait changer l'Amérique. C'est oublier toutes les zones d'ombre de son existence, notamment sa maladie, ses rapports avec la mafia et sa sexualité obsessionnelle, compulsive et politiquement dangereuse. Entre sexe et pouvoir, Kennedy fait figure d'équilibriste. Séducteur invétéré, obsédé sexuel considérant toute femme comme objet potentiel de ses pulsions, il enchaîne les passades avec des actrices célèbres telles Jayne Mansfield, Gene Tierney, Marlene Dietrich, Marilyn Monroe, Lee Remick ou Norma Shearer. Certaines lui laisseront un souvenir impérissable, notamment Angie Dickinson: «Les vingt meilleures secondes de toute ma vie!» comme il le confiera. Mais sous cette belle apparence de santé, JFK est rongé par la maladie. Il souffre à la fois d'une déficience des glandes surrénales (maladie d'Addison) et d'une ostéoporose affreusement douloureuse. Pour supporter la douleur, Kennedy se gave de médicaments: cortisone, hormones thyroïdiennes, opium et amphétamines... Bref, un cocktail explosif qui lui permet de déployer une énergie hors du commun malgré d'horribles souffrances. Le sexe devient pour lui un remède indispensable pour soulager ses douleurs incessantes. Le Président se précipite dans un inassouvissable besoin de femmes et sa vie sexuelle devient une affaire d'État qui inquiète même la CIA. Il ne fait pas mystère de sa passion pour le sexe. Le 21 décembre 1961, lors d'une rencontre officielle avec le premier ministre britannique Harold Macmillan, il lui avoue carrément: «Trois jours sans faire l'amour et c'est le mal de tête garanti. Je ne sais pas si c'est aussi votre cas, Harold.»
Le sexe, institution politique
Lorsque Mao Zedong organise le recrutement de ses maîtresses dans toute la Chine, il perpétue le système millénaire du gynécée impérial. Pour assouvir sa soif de sexe, il organise un gigantesque réseau de jeunes courtisanes venues de toute la Chine, un gynécée moderne. Ce comportement s'inscrit parfaitement dans la tradition des empereurs de Chine qui puisent leur longévité dans leur sexualité. Les souverains chinois ont toujours associé vigueur et performances sexuelles, selon une pensée héritée du taoïsme. Le médecin privé de Mao, le Dr Li Zhisui, lui prescrit d'abord des injections de poudre de bois de cerf, un aphrodisiaque traditionnel chinois, puis un médicament récemment mis au point par une chercheuse roumaine: la «vitamine H3» à base de Novocaïne. L'ardeur sexuelle du président Mao s'accroît au fil des ans et il recrute des jeunes femmes dans tout le pays, le plus souvent des filles âgées de 18 à 22 ans, vierges pour la plupart, en admiration complète devant le Président, qu'elles considèrent comme un demi-dieu. Mao fait aménager une immense et luxueuse pièce du palais de l'Assemblée du peuple, destinée à sa vie sexuelle. Comme le remarque le Dr Li Zhisui, « il n'y avait jamais assez de place dans son immense lit pour accueillir tout le monde, soit parfois trois, quatre ou cinq jeunes femmes simultanément...». Mao s'éteindra à l'âge de 83 ans.
Le sexe, spectacle du pouvoir
En France, les multiples conquêtes amoureuses d'Henri IV ou du Roi-Soleil sont célébrées, car elles témoignent de la virilité du souverain et s'inscrivent dans une conception spectaculaire du pouvoir absolu. Instrumentalisée ou masquée, la vie sexuelle des chefs d'Etat est une source inépuisable de fantasmes et de légendes, noires ou dorées. Henri IV en est l'incarnation même. Ce souverain est resté célèbre pour ses 75 conquêtes amoureuses, réelles ou fantasmées, qui lui ont valu le surnom de Vert-Galant. Cette profusion de maîtresses jusqu'à un âge avancé, choisies dans tous les milieux, fait du «bon roi Henri» un souverain très populaire. De ce point de vue, on peut dire qu'il aura largement ouvert la voie, l'infidélité conjugale étant toujours un défaut que les Français pardonnent, voire valorisent facilement... À plus de 60 ans, il tombe fou amoureux de la toute jeune Charlotte de Montmorency, âgée de 15 ans. Après une dispute, le roi est prêt à déclencher un conflit armé pour récupérer sa jeune maîtresse qui s'est enfuie à l'étranger...
Chaque Français conserve, au fond, la nostalgie du Vert-Galant. Un roi chaste ennuie. Car, dans ce pays, les souverains peu portés sur la bagatelle n'ont jamais eu la faveur du public. Un roi incapable d'avoir une érection fait rire. Devant l'impuissance, la foule perd tout respect pour la personne royale et se virilise dans la mesure même où le souverain perd ses moyens. L'attaque d'impuissance contre le roi est bien sûr politique, car elle vise le corps du roi mais aussi sa volonté politique. Un roi incapable de faire l'amour à sa femme est alors considéré comme incapable de gouverner le pays, comme ce fut le cas pour Louis XVI.
L'exemple de Napoléon, incarnation de la puissance politique, est sur ce point très intéressant. À ses débuts, on le sait peu porté sur le sexe ; il ne recherche pas vraiment les occasions. Cependant, à mesure que son pouvoir s'accroît, l'Empereur devient un grand consommateur sexuel. Même s'il reste un amant maladroit et pressé, on lui connaît une soixantaine de maîtresses. Ses relations intimes sont souvent expédiées: Stendhal parle de «trois minutes». Peu courtois avec les femmes, il est d'une goujaterie proverbiale. Napoléon va droit au but ; il ne perd pas de temps en amabilités. Son fidèle entremetteur, le maréchal du palais Duroc, lui amène les femmes dans ses petits appartements. La scène est récurrente. Assis à une table, Napoléon signe des décrets, son épée posée à côté de lui. Il demande à la jeune femme de se déshabiller, de se mettre au lit, puis après avoir satisfait son désir physique avec rudesse, il la reconduit.
Comme la plupart des hommes de leur condition, nombre de dirigeants politiques, présidents, ministres ou députés du XIX
e siècle entretiennent des maîtresses ambitieuses. Les frasques sexuelles des chefs d'Etat peuvent même se dérouler au cœur du pouvoir.
La plus célèbre des fellations !
Sous la III
e République, l'anecdote célèbre du président Félix Faure et sa maîtresse Marguerite Steinheil, surnommée «Meg» par les intimes, est à ce titre édifiant. Les amants ont l'habitude de se retrouver dans le salon Bleu de l'Élysée. Le 16 février 1899, le Président s'apprête à la recevoir, après un Conseil des ministres. Comme à son habitude, il se fait apporter par son huissier un aphrodisiaque à base de quinine, afin de se préparer à son rendez-vous. Puis il accueille sa maîtresse. «Meg» sait que le Président apprécie particulièrement les fellations. Elle ne se fera pas prier. Quelques minutes plus tard, un cri rauque alerte le chef du cabinet Le Gall qui accourt, ouvre la porte et découvre le corps de Félix Faure gisant inanimé, avec auprès de lui sa maîtresse complètement nue. Elle tente de détacher ses cheveux qui se sont pris dans le pantalon du Président. Félix Faure s'éteindra quelques heures plus tard... Le diagnostic est formel: congestion cérébrale provoquée par une forte émotion. La nouvelle ne tarde pas à se répandre dans la presse, comme une traînée de poudre. Jamais une fellation n'avait encore provoqué un tel scandale. Les réactions s'enchaînent. Georges Clemenceau exulte: «Faure est retourné au néant, il a dû se sentir chez lui. Il a voulu vivre César et il est mort Pompée...»
Une société «hypersexualisée»
L'association des thèmes du «sexe» et du «pouvoir» peut paraître anecdotique dans nos sociétés habituées à la séparation des sphères privée et publique. Pourtant, l'histoire récente montre, à travers l'affaire Bill Clinton-Monica Lewinsky, la portée politique des aventures extraconjugales des dirigeants politiques d'États démocratiques. À partir de quel moment les pulsions sexuelles dépassent-elles la raison politique? La sexualité a-t-elle souvent mis les chefs d'Etat en danger?
En France, nos derniers présidents présentent tous une libido hors normes. François Mitterrand était un grand séducteur, on lui connaît de multiples maîtresses, d'Annie Girardot à Édith Cresson en passant par Dalida. Quant à Jacques Chirac, ses relations amoureuses avec telle femme ministre ou telle actrice italienne figurent dans de nombreux ouvrages. Valéry Giscard d'Estaing lui-même n'est pas en reste, avec de ravissantes comédiennes, françaises ou étrangères. Ce qui semble plus étonnant dans notre République, c'est que les vies privées de Mitterrand et de Chirac n'ont pas du tout empêché leur réélection. Peut-être même les ont-elles favorisées dans une certaine mesure. Comme un lointain vestige de la tradition monarchique et du souvenir du Vert-Galant...