En dépit des échecs du marxisme et du keynésianisme, la croyance que l’égalisation des revenus est un moteur de croissance économique n’a pas perdu de sa superbe.
Les grandes réformes (ou folies) économiques du XXe siècle furent largement influencées par la pensée de Karl Marx et de John Maynard Keynes. Nonobstant leurs différences idéologiques, ils avaient un point en commun : pour les deux, l’égalisation des revenus sert à promouvoir la croissance économique.
D’après Marx et ses épigones, la lutte des classes ferait disparaître le capitalisme, lui substituant un système égalitariste, le socialisme, qui accoucherait d’un monde nouveau marqué par l’abondance de biens et de services, à répartir selon les besoins de chacun.
La même relation entre égalisation des revenus et croissance économique faisait partie de la panoplie économique de Keynes. Pour combattre une récession économique, il faudrait redistribuer les revenus. La raison ? Les classes aisées épargnent davantage que les couches sociales aux revenus bas, alors que ce dont une économie en récession a besoin, toujours selon Keynes, c’est d’accroître la demande (et donc la consommation) afin d’encourager les entreprises à relancer leur production.
Le XXe siècle s’est chargé de montrer les limites de chacune de ces deux conceptions de l’économie. Contrairement aux anticipations de Marx, la construction du paradis communiste s’est avérée être un cauchemar politique et un fiasco économique. Les recettes keynésiennes, pour leur part, ont conduit à la débâcle de la stagflation (stagnation et inflation à la fois) au cours des années 70 du siècle dernier.
En dépit de ces échecs, la croyance que l’égalisation des revenus est un moteur de croissance économique n’a pas perdu de sa superbe. Une telle croyance se trouve à la base des politiques d’assistanat qui plaident pour faire casquer les « riches » (ménages et entreprises) par le biais des impôts, et ce afin de donner à l’État les « moyens » de promouvoir la croissance en réduisant les inégalités.
De là naquit
l’État-providence, avec sa cohorte de bureaucraties hypertrophiées et de systèmes d’allocations chômage, de retraites par répartition et de programmes d’éducation et de santé dont l’efficacité et la viabilité financière sont de plus en plus remises en question.
L’esprit d’assistanat, visant à réduire les inégalités de toutes sortes, est également à l’œuvre dans les programmes de transfert de ressources depuis les régions les plus riches aux plus pauvres à l’intérieur d’un même pays, ainsi que depuis les pays les plus aisés envers ceux qui sont en difficulté.
Ces politiques d’égalisation des revenus ne sont pas étrangères à la cascade de crises qui ont secoué l’économie mondiale au cours de ces dernières années.
Prenons la crise dite des « subprimes ». À l’origine, on trouve une loi de Jimmy Carter (la Community Reinvestment Act), remise au goût du jour par Bill Clinton, et qui, dans le but de promouvoir l’accès à la propriété pour tous, poussait les banques à accorder des prêts à des clients à la solvabilité douteuse (les « subprimes »). La politique des taux d’intérêt bas, menée par Alan Greenspan, fit le reste pour créer la bulle immobilière qui explosa en 2007.
De même, les sommes dépensées par l’État providence portent une bonne part de responsabilité dans les déficits des comptes publics et la crise de la dette souveraine de plusieurs pays de l’Europe du Sud.
Tout naturellement, ces programmes d’assistanat doivent être financés. Alors on augmente les impôts et les charges sociales payées par les entreprises, ce qui fait plomber la compétitivité de celles-ci. D’où les délocalisations tant redoutées, et le chômage qui s’ensuit.
Les politiques d’assistanat à l’égard des régions les moins favorisées, pour leur part, sont en train de déclencher d’inquiétantes poussées sécessionnistes dans plus d’un pays d’Europe. En Italie, en Belgique, en Espagne aussi, les régions les plus aisées rechignent à payer des impôts pour financer, et des bureaucraties centrales dispendieuses et des régions qui ne se distinguent pas pour leur efficacité dans la gestion des ressources qu’elles reçoivent.
De même, les Allemands – qui ont consenti des efforts considérables pour améliorer la compétitivité internationale de leurs industries – se demandent publiquement s’ils doivent venir en aide à des pays de l’Europe du Sud dont les gouvernements se montrent impuissants à lutter contre la gabegie et où les indispensables réformes économiques rencontrent l’opposition des corporatismes de toutes sortes.
Une autre forme d’assistanat, l’aide au développement, a elle aussi montré de sérieuses limites. Les études menées séparément par William Easterly et l’économiste zambienne
Dambisa Moyo prouvent avec netteté que, au lieu d’être un moteur de croissance, l’aide au développement a souvent servi à alimenter la corruption, à financer des bureaucraties hypertrophiées et à maintenir artificiellement en vie des industries non compétitives dans le Tiers-Monde.
Personne avec un gramme d’humanité et d’esprit de justice sociale ne saurait prêcher le maintien, et moins encore l’exacerbation, des inégalités sociales ou régionales. Mais quand un modèle fait montre de tant de dysfonctionnements, comme c’est le cas des politiques d’assistanat dans toutes leurs variantes, il est plus que légitime de remettre en question le modèle.
L’heure est venue de dépasser l’héritage conceptuel de Keynes et de Marx et de se tourner vers des voies alternatives qui ont fait leurs preuves – telles les politiques dites de l’offre, basées sur les réductions d’impôts et des dépenses publiques, et sur les incitations au travail et à l’embauche.