Vieillissement de la population, fermeture des commerces, services publics en déshérence, normes inapplicables. Choses vues en Lozère.
« Cela fait plus d’un demi-siècle que je buvais tous les matins mon café chez Nicole ! Elle a fermé du jour au lendemain, sans rien dire. La place du village vide, moi, cela me fout le cafard ! »À Fournels, le café Couderc, c’était une institution. François Bichon passe la main dans ses cheveux blancs, une ombre de tristesse dans le regard. Électricien à la retraite, c’est le premier adjoint de ce village de 374 habitants, aux confins de la Lozère. Ici, la fermeture du café, c’est le sujet de conversation, de désolation plutôt.
À côté de la poste, le salon de coiffure de Séverine,juste deux fauteuils. Ciseaux en main, la jeune femme brune ne cache pas son inquiétude : « Le coeur du village est mort, on ne voit plus personne. » Patrick, le postier aux yeux rieurs, passe une tête dans l’embrasure de la porte. « C’est bien la première fois que Nicole ne me fait pas rire. La fermeture du bistrot, c’est une très, très mauvaise nouvelle, et puis baisser le rideau la veille de la fête du village… faut pas exagérer ! »
« Monsieur le Maire, le café ferme, on fait quoi ? » Pour l’élu, la phrase est récurrente. Pierre Morel-A-L’Huissier, député de la Lozère et maire de Fournels, lève les bras au ciel en signe d’impuissance. « Le café, c’est du privé, pas du public ! »Depuis quatorze ans, bien qu’il ait transformé ce village, il a du mal à maintenir la vie rurale. Il a bâti des logements sociaux, une maison de retraite, une maison de la photographie ; le boucher, la poste, le salon de coiffure occupent des locaux publics, tout comme le médecin, qui peut — fait exceptionnel — délivrer des médicaments. « À la tête de la commune, j’ai toujours voulu prouver qu’il n’y a pas de fatalité au déclin, mais là, soupire-t-il, on est à l’os ! »
Ce dont il est le plus fier, c’est l’Arcaf, l’Association pour la revitalisation du canton de Fournels. Une maison qui permet aux habitants d’avoir tous les services sociaux et administratifs à portée de main. « C’est la réponse à la désertification rurale ; c’est ce qu’il faut faire dans les mille chefs-lieux de France. »
Fringant sexagénaire, Roland Chabanon, Lozérien pur sucre, « sur des générations », précise-t-il sourire aux lèvres, a enseigné toute sa vie l’occitan au collège de Marvejols. Pour lui, les villages s’assèchent parce que l’église, l’école, le bistrot et le comité des fêtes disparaissent. Autant de liens qui se délient. « Quand j’étais gamin, je me souviens qu’une paire de boeufs s’était vendue durant la messe, et l’affaire s’était conclue au bistrot ! Aujourd’hui, on ne connaît plus le voisin. »
À la limite du département, La Chaze-de-Peyre, à une poignée de kilomètres d’Aumont-Aubrac. Une quarantaine de maisons anesthésiées par la chaleur de ce mois de juillet. Plus d’école depuis longtemps. Plus de café-épicerie depuis 2005. Le presbytère, lui, a été transformé en logements. Personne. Le temps semble avoir suspendu son vol.
À la porte d’une ferme, derrière un rideau de lanières de plastique multicolores, une femme aux cheveux gris, taillés court. « C’est la soeur au Marcel. » Agricultrice depuis toujours. Dans l’âtre de la cheminée, une cuisinière. Devant la fenêtre, deux perruches dans une cage. Sur la longue table, la Lozère nouvelle et le Midi libre. À côté du buffet, une télévision allumée. D’une main, elle chasse une mouche, puis soupire. « Quand j’étais jeune, il y avait plus de vie. Pour faire des conneries, les gamins ça y allait ; [un silence] maintenant, c’est un peu déserté. La messe, c’est une fois par mois [un silence]. Il y a plus d’obsèques que de mariages… Qu’est-ce que je vous offre, monsieur ? Un sirop de cassis ? C’est moi qui le fais. » La “soeur au Marcel” sort deux verres à moutarde. De sa voix rauque, en versant le sirop, elle confesse : « La vie est plus dure qu’avant. Maintenant, c’est chacun pour soi. Avant, y avait une vraie solidarité. » Elle va faire ses courses en scooter.
Elle n’a pas le permis. Elle avoue descendre très peu à Mende, la préfecture. Une vie de paysan à l’ancienne, avec ses prairies en guise de ligne d’horizon et ses animaux, « des broutards, précise-t-elle ; avant, on en avait soixante-dix. Je vous le redis, monsieur, la vie est plus dure qu’avant ! »
Le monde rural, c’est 11,1 millions de Français, qui occupent 80 % du territoire. La moitié des communes comptent moins de 426 habitants et une sur trois moins de 250. Toutes ont l’impression d’avoir été abandonnées, ce qui se traduit par un fort sentiment d’exaspération qui monte, qui monte…
Le fossoyeur des villages : l’inflation normative, 8 000 lois, 400 000 normes. Ubuesque !
“Simplification des normes au service du développement des territoires ruraux” : c’est le titre d’un rapport de 280 pages remis en mars 2012 à Nicolas Sarkozy. Son auteur, Pierre Morel-A-L’Huissier, dénonce cette folie normative, venin des villages : « Des normes coupées de la réalité, inapplicables pour les petites communes. On en crève ! Dans la Constitution, à côté du principe d’égalité, il est urgent de créer un principe d’adaptabilité des normes aux contingences locales. »
À Albaret-Sainte-Marie, aux confins de la Lozère, la montée au clocher de l’église du XVIe n’est pas aux normes. « Faut-il en interdire l’accès ? », se demande Michel Thérond, le maire de ce bourg de 600 âmes.
Il rentre de Mende où il est allé plaider le dossier de l’un de ses administrés, l’hôtel Le Rocher Blanc, un bâtiment de cent cinquante ans. Crime de lèse-norme, il manque dans l’hôtel une porte coupe-feu et trois grooms. C’en est trop pour les fonctionnaires de la commission de sécurité de la préfecture. Début juillet, ils souhaitaient tout simplement fermer l’établissement. « En pleine saison, ils auraient mis 25 personnes au chômage, qu’importe ! Le fonctionnaire a pris le dessus. Le mal français est là ! », s’emporte le maire.
Avec un budget annuel de 410 000 euros, impossible de suivre le rythme. « On n’a pas fini un bâtiment qu’il n’est déjà plus aux normes. C’est stupide. Aberrant ! Cette avalanche de normes, à court terme, c’est la mise à mort de la ruralité. »
La salle des fêtes est à raser. Coût : un million d’euros. D’ici à 2015, le maire doit élargir les trottoirs pour que deux fauteuils de handicapés puissent se croiser, même si aucun handicapé ne vit dans la commune. « On ne va quand même pas démolir tout le village ! » Michel Thérond est un homme en colère. Une colère froide.
En 1989, quand il prend la Mairie, cet ex-administrateur de biens parisien est loin d’imaginer ce qui l’attend. À son arrivée, l’école était moribonde, elle compte aujourd’hui 72 élèves. Au premier étage, la cantine. Il va falloir la déplacer pour la quatrième fois en vingt-cinq ans… Norme, quand tu nous tiens !
Dans ses cartons, la construction d’une “maison des aînés”, pour maintenir les personnes âgées au village. « L’équilibre financier était atteint à partir de quatre studios, mais au-dessus de trois, cela devient assimilable à une maison de retraite avec un flot de normes. Eh bien… il n’y aura pas de maison des aînés. »
Derrière la façade de granit de la mairie, tous les jours il reçoit une quinzaine de circulaires, directives et normes. Certaines sont tellement opaques qu’elles sont incompréhensibles. « Je suis pessimiste pour l’avenir. On est géré par cette fonction publique hors du temps. L’administration se retranche derrière le principe de précaution. On préfère vous dire non… Tenez, je veux faire une microcentrale au moulin de la Garde ; cela pourrait rapporter 60 000 euros par an. Je me bats depuis deux ans avec des fonctionnaires, sans succès. C’est une calamité. »
Aux prochaines municipales, il se représente : « Je n’arrive pas à trouver de successeur, dit-il d’une voix un peu lasse. Allons boire un verre dans le plus vieux café du village. »Un endroit « hors norme », précise-t-il en souriant. G brielle, un petit bout de femme vêtue de noir, un chat dort sur ses genoux. Elle a 100 ans. Au mur, des publicités Byrrh. À la télévision, le Tour de France. « J’aime bien le bruit, avoue-t-elle l’air mutin. Servez-vous, monsieur le Maire, vous connaissez la maison ! »
Notaire à Saint-Chély-d’Apcher, Me Bonhomme, 30 ans, est une jeune femme...