L'analyse des votes montre que la
gauche a perdu le combat idéologique sur un tiers du territoire : les
zones périurbaines. Faute de militants et cadres PS, le Front national a
réussi à y faire ses meilleurs résultats. Pour garder une majorité
électorale, la gauche devra parvenir à s'adapter à cet électorat, plutôt
que de s'enfermer dans les villes.
Dans leurs travaux, plusieurs politologues comme
Jérôme Fourquet ou Mathieu Vieira montrent que la gauche est en
difficulté dans de grandes partie du territoire. Vous-même expliquez que
le Parti socialiste est absent de certaines zones. Où se
situent-elles ?
Gaël Brustier :
Il s'agit des zones périurbaines, situées entre 30 et 80 kilomètres des
métropoles de plus de 200 000 habitants. Elles concentrent un tiers de
la population, majoritairement des employés et des ouvriers. Ce ne sont
pas des zones vieilles, au contraire, on y trouve surtout des actifs de
35-80 ans. Nicolas Sarkozy y a résisté de manière vigoureuse et le Front
national y est très fort.
On observe dans
les zones périurbaines la naissance d'un imaginaire collectif très à
droite. La confrontation politique n'y passe plus par la gauche, mais
par la droite. Pourtant, ce sont des zones où les classes populaires
sont massivement présentes.
Outre ce côté
périurbain, on peut aussi ajouter le fait que certaines régions sont
plus ou moins conservatrices : le périurbain du nord-est est plus
sensible au FN que le périurbain du grand ouest. Mais on peut néanmoins
diviser la France entre trois grandes zones : les métropoles, les zones
périurbaines et la ruralité. Les métropoles sont très
majoritairement à gauche ; les zones périurbaines massivement à droite
et les zones rurales sont des zones d'affrontement. Le Front
national y progresse fortement, mais la gauche arrive à être à
l'offensive, notamment en s'impliquant dans la défense des services
publics.
Comment s'explique cette désaffection des classes populaires pour la gauche ?
Il
y a deux pistes d'explications. D'une part, la mutation de l'imaginaire
collectif des classes populaires. Cette question là passe notamment par
la modification sur les vingt ou trente dernières années de la
consommation culturelle des milieux populaires, de l'influence d'un
certain nombre de médias qu'ils utilisent et de la représentation du
monde qu'ils en tirent.
Le deuxième grand aspect
touche à la question de la droitisation de manière générale, notamment
de la classe ouvrière et populaire. On constate en Europe qu'elle est
enrayée dans les zones où l'encadrement traditionnel des forces de
gauche est très fort. Ainsi, on trouve deux forces qui résistent très
bien : le Parti socialiste de Wallonie et le Parti démocrate suédois,
qui conservent un encadrement de base très fort.
Le
problème pour la gauche, c'est que ces zones qui concentrent un certain
nombre de difficultés sociales et économiques, qui ne sont ni la
banlieue, ni la campagne, ni la ville, et qui concentrent un tiers de la
population, reforment leur imaginaire sur une vision de droite.
Le PS est pourtant implanté localement : il dirige la majorité des départements et des régions. D'où viennent ces victoires ?
Il
faut regarder qui vote à chaque élection. Aux Européennes de 2009, il y
avait 40% de taux de participation, 50% aux régionales de 2010. Ce taux
de participation n'est pas réparti uniformément dans la société. Un
cadre supérieur des beaux quartiers de Paris a beaucoup plus de chance
de voter qu'un ouvrier ou un employé qui habite à 80 kilomètres de là.
Sur
toutes les élections intermédiaires, il y a un fort discriminant social
concernant la participation au vote sur les élections intermédiaires.
Or, l'électorat du PS est d'avantage un électorat de villes et
de proche banlieue, plutôt éduqué, qui vote plus aux élections
intermédiaires que l’électorat de droite.
De
plus, il y a eu une inversion totale au niveau local depuis 20 ans. La
droite avait depuis très longtemps un encadrement notabilier de la
société française. Cet encadrement s'est effondré, il n'y a aujourd'hui
plus d'élus locaux de droite coordonnés. Les socialistes, à l'inverse,
se sont pleinement investis dans la gestion locale, en particulier
depuis les élections de 1977. Ils ont donc développé des gestions
locales cohérentes.
Qu'est-ce qui leur a fait défaut ?
Ce
qui leur a longtemps fait défaut, c'est leur manque de vision
nationale, visionnaire. Ils ont été capable d'avoir une projection dans
l'avenir au cadre locale, mais une réelle difficulté à expliquer le
monde, la mondialisation, la géopolitique.
Aujourd'hui
se pose une question : si on fait la bonne analyse du résultat des
élections, la mère de toute les batailles va être le combat que la
gauche devra mener pour reconquérir les classes populaires, qui ont
massivement adhéré à la droite.
Dans ces
zones périurbaines, le PS ne dispose ni des ressources culturelles pour
séduire cet électorat, ni d'un encadrement et de militants suffisant
pour partir à leur reconquête. Ce n'est pas une affaire d'élus locaux, c'est une affaire de terrain.
N'est-ce
pas un choix conscient du PS ? On a beaucoup parler notamment de la
note de Terra nova, qui actait le divorce entre PS et classes
populaires...
La note de Terra nova ne fait
aucune prescription, elle ne fait qu'entériner une situation qui est
défavorable à la gauche. Elle n'est ni plus ni moins que la théorisation
de la rétractation progressive de la gauche sur les métropoles, où elle
finira par être cantonnée et où elle disparaîtra.
Suivre
cette voie, c'est prendre le risque majeur et inéluctable d'être vaincu
par ses propres conquêtes. C'est à dire d'adhérer à un imaginaire, qui
est celui des métropoles, qui entraînera le PS et la gauche en général
sur la pente de l'incapacité à comprendre l'évolution culturelle des
milieux populaires dans leur ensemble. Ils se reporteront à une
somme de catégories plutôt qu'à l'ensemble du pays, et de fait se
retrouveront minoritaires très vite, dès 2014 ou 2015. Le risque
stratégique majeur est là. Croire que Terra nova prescrit quelque chose
de viable, c'est faux. Terra nova fait un constat, celui de l'électorat socialiste actuel. Mais il ne peut être majoritaire que sur un malentendu.
Le Front national peut-il, dans ces zones, prendre la place laissée vacante par la gauche ?
La
réponse, qui va rassurer tout le monde, c'est que le Front national ne
dispose pas de cadres. Nous nous trouvons donc dans des zones où il y a
une ébullition culturelle, mais personne pour y répondre. Le PS a une
chance, c'est que même s'il a des faiblesses d'encadrement, le FN qui
est fort dans ces zones là a aussi un déficit d'encadrement, tant en
terme qualitatif que quantitatif.
Le PS a donc une
opportunité majeure d'investissement dans ces zones là. Mais cela
suppose qu'ils s'attachent à deux choses : développer une vision
alternative du monde et qu'ils fassent le choix d'un investissement
militant massif dans ces zones. Si Hollande le fait, il pourra s'assurer
une majorité stable assez longtemps dans le pays.
Qu'en est-il du Front de gauche ?
C'est
plus difficile, car il a une géographie électorale très peu
périurbaine. C'est la France de la fierté d’être socialiste, il prospère
grandement dans le sud-est et le sud-ouest, mais est en perte de
vitesse dans les bastions communistes, comparé à Robert Hue en 1995.
Dans
ces zones périurbaines, le vote de gauche est touché dans l'ensemble.
Le Front de gauche n'est pas mieux placé que le PS pour aller les
reconquérir.
ET C'EST TANT MIEUX