Les révélations de Mediapart sur Eric Woerth suscitent la polémique sur la légitimité des méthodes journalistiques utilisées. Le site d'information d'Edwy Plenel a-t-il manqué de déontologie ? Les clés du débat.
"Dans quel monde on est, dans quel monde on est!", s'est exclamé le secrétaire général de l'UMP Xavier Bertrand après avoir déploré que Mediapart"utilise des méthodes fascistes à partir d'écoutes qui sont totalement illégales". Le ministre de l'Industrie Christian Estrosi était sur le même registre en évoquant le souvenir d'une "certaine presse des années 30", avant de réclamer de la "déontologie" et de "l'éthique" pour les journalistes. Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart, a annoncé mercredi qu'il portait plainte pour diffamation contre Xavier Bertrand.
Les termes échangés témoignent d'une violence verbale et "correspondent à une surenchère dans l'argumentation qui traduit une situation de crise des rapports entre les protagonistes, chacun cherchant à contester l'autre dans son rôle, tant du côté sarkozyste que du côté de Médiapart, explique Jacques le Bohec, sociologue des médias à l'Icom (Université Lyon 2) et auteur d'un Dictionnaire du journalisme et des médias, à paraître en septembre.
N'empêche que les attaques de la majorité soulèvent une fois de plus la question légitime de la déontologie dans le journalisme. De fait, la profession en France a toujours affiché la volonté de s'autoréguler, autrement dit de ne laisser aucune autorité extérieure lui dicter des règles. Or, "la situation est celle d'une absence de cadre interne au groupe professionnel des journalistes qui préciserait en détail les pratiques permises ou non, rappelle Jacques le Bohec. Des chartes de déontologie existent, mais aucune sanction n'est prévue, à l'exception des avis du CSA. A cela s'ajoutent trois problèmes majeurs: ces chartes datent un peu; il leur est difficile d'anticiper la myriade de cas de figure potentiels; il existe une diversité des modèles de journalisme telle qu'il serait liberticide de décider lesquels seront bannis."
Des écoutes clandestines
La situation est d'autant plus floue dans le journalisme d'investigation, explique Jacques le Bohec, "où on est toujours à la frontière du légal, comme on l'a vu pour le magazine de "France 2" pratiquant l'infiltration, mais c'est souvent la condition sine qua non pour produire des informations qui ne soient pas formatées par les agents de relations publiques".
Dans le cas de l'affaire Bettencourt, les enregistrements clandestins sont illégaux, mais paradoxalement, ils sont recevables dans un procès. "Un employé victime de harcèlement moral peut produire un enregistrement clandestin comme preuve devant les prud'hommes explique le sociologue. "L'ironie de l'histoire, c'est que le responsable du site en pointe dans cette affaire, Edwy Plenel, est un ancien journaliste et dirigeant du "Monde" qui a lui-même été victime des écoutes illégales de l'Elysée dans les années 1980, et il raconte souvent à quel point cela l'a marqué".
Interviewer un témoin
De même, est-il "éthique" pour un journaliste d'interviewer un témoin d'une enquête en cours? L'ex-comptable de Liliane Bettencourt, entendue dans le cadre de l'enquête préliminaire à Nanterre pour atteinte à la vie privée et vol de documents, a affirmé à Médiapart mardi qu'Eric Woerth avait reçu en mars 2007, en tant que trésorier de l'UMP, 150.000 euros en espèces de la part de la milliardaire, pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Pour Jacques le Bohec, la méthode en soi n'est pas condamnable, tout dépend des circonstances. Les journalistes doivent par exemple s'assurer de la raison profonde qu'a leur source de divulguer des informations secrètes afin de flairer un éventuel piège. "Lors de l'affaire Alègre, Carl Zéro a interrogé une prostituée qui témoignait, sauf qu'il l'a payée 15 000 euros en échange de son témoignage... ce qui peut expliquer qu'elle ait été tentée de dire ce qu'il voulait entendre."
Lâcher les éléments au compte-gouttes
Les informations distillées au compte-gouttes par la presse réservent chaque jour leur lot de surprises. "Il s'agit de ne pas lâcher tout du premier coup, explique le sociologue, mais d'aller d'abord jusqu'à un certain point pour tester les réactions, susciter des enquêtes judiciaires, ce qui permet alors de faire avancer l'investigation, par cercles concentriques".
Si la méthode ne manque pas de tenir les lecteurs en haleine, le politique Dominique Reynié la juge immorale. "Mediapart aurait dû attendre d'avoir terminé son investigation pour sortir son article avec des données aussi complètes que possible, plutôt que de balancer, dans la précipitation, les enregistrements bruts". Pour le politologue du Cevipof, "il n'y a pas une crise politique, il y a une crise du journalisme. Ce n'est pas "l'affaire Woerth" mais "l'affaire Mediapart". Alors qu'une masse de rumeurs peuvent circuler grâce à Internet, on compte plus que jamais sur le journaliste pour transmettre des informations fiables, pas pour participer au brouhaha des rumeurs non vérifiées ". Quant aux questions de conflit d'intérêt que soulève l'affaire, Dominique Reynié ne nie pas qu'"il s'agit d'un problème grave, mais que les journalistes auraient dû traiter depuis longtemps, et avec soin, précision et nuance, sans le mélanger avec des allégations non vérifiées".
Des voix pour le Front National?
Christian Estrosi a dénoncé le "populisme ambiant qui favorise les montées de l'extrême droite". Dans une tribune publiée dans France-Soir, le porte-parole de l'UMP Frédéric Lefebvre s'en prend à Ségolène Royal et à Martine Aubry qui "se drapent" dans leur "nouvelle vertu pour crier à la corruption, au plus grand plaisir de Marine (Le Pen) qui se demande quand va venir l'heure de la récolte".
Une menace que Jacques Le Bohec estime peu crédible. Le sociologue y voit surtout "une tactique de la garde rapprochée de Sarkozy pour délégitimer les imprécateurs gênants, selon le vieux principe "kill the messenger". Pour lui, "il serait simpliste d'attribuer l'augmentation de la cote de popularité de Marine Le Pen à ce genre d'affaires, pour plusieurs raisons. Étant donné la situation économique et sociale très grave que connaît la France, à l'heure où les classes populaires et moyennes ont le sentiment qu'on fait toujours payer les mêmes, il y a bien des raisons pour de nombreux électeurs de manifester leur mécontentement par des votes que l'on s'empressera de moquer comme "populistes"".
"De plus, ajoute-t-il, les grands médias et l'actualité politique sont principalement consommés par l'élite instruite. Les autres habitants ont un rapport épisodique et méfiant envers eux. Qui saurait dire à brûle-pourpoint, dans la population, en quoi consiste l'affaire Woerth, à supposer qu'ils en aient entendu parler? Il ne faut donc pas exagérer le rôle de la presse dans les choix électoraux, qui sont explicables par un certain nombre de déterminants sociaux".
Pour Dominique Reynié en revanche, "le populisme est déjà là. Et il ne faudra pas s'étonner de la montée du FN dans les prochains sondages. Une crise économique couplée à une méfiance envers les élites est le cocktail parfait pour le populisme". Selon le politologue, on est en présence de la structure mentale de la théorie de complot : "on demande à Eric Woerth de dire qu'il est innocent de quelque chose dont on ne l'accuse pas, puisqu'il n'a pas été mis en examen. Comme dans la théorie de complot, l'absence de preuves vaut comme preuve que l'on nous cache la vérité"..
OÙ EST L'ÉTHYQUE ? OÙ EST LA L'INDÉPENDANCE DE CETTE PRESSE QUI, COMME UN MOUTON DE PANURGE, SE MET À BÊLER, COMME UN SEUL BOUC (émissaire), POUR UN OUI OU POUR UN NON ?