En cette soirée du 11 janvier, les salons de la mairie du VIIe brillent de mille feux. Sous les ors XVIIIe siècle de l'hôtel de Villars, plus de 400 personnes se pressent pour recevoir les voeux de celle qui préside aux destinées de l'arrondissement depuis 2008. Militaires en uniforme, curés en col romain, notables endimanchés... Mme la maire passe d'un groupe à l'autre. Tout juste revenue de vacances, Rachida Dati virevolte, embrasse des joues par dizaines, serre des mains par poignées. Elle est désormais chez elle.
Le pari était pourtant loin d'être gagné. Trois ans plus tôt, rares étaient ceux qui croyaient à ses chances d'enracinement dans ce quartier huppé de la capitale: trop "beurette" pour un électorat catholique et conservateur, trop "bling-bling" pour un arrondissement "vieille France" et traditionaliste. "Certains me prédisaient même une défaite, se souvient l'ancienne garde des Sceaux. Aujourd'hui, ils en sont pour leurs frais."
D'une rive à l'autre de la Seine, du ministère de la Justice à la mairie du VIIe, Rachida Dati n'a pourtant pas fondamentalement changé. Son obsession de l'image demeure, sa méthode reste la même. Hyperactive et dirigiste, l'eurodéputée gère son arrondissement comme elle menait son ministère: à l'énergie. "Elle a mille idées à la minute, qu'elle veut voir appliquées dans l'instant, glisse l'un de ses proches collaborateurs. Il faut suivre." Tous n'y parviennent pas.
Comme à la chancellerie, Rachida Dati use ses directeurs de cabinet à un rythme impressionnant: depuis 2008, ils sont déjà trois à s'être succédé derrière le vaste bureau donnant sur le jardin de la mairie.
"Elle laisse le sale boulot aux adjoints"
Dans les couloirs du bâtiment, le style Dati provoque aussi des remous. A l'abri de l'anonymat, certains élus de la majorité ne mâchent pas leurs mots. "Elle monte des coups, fait de la com' et laisse le sale boulot aux adjoints, lâche l'un d'eux. A nous les petits vieux et les crottes de chien, à elle les inaugurations et les caméras." Plus diplomate, la députée (UMP) Martine Aurillac tempère: "Elle a changé la façon de gérer l'arrondissement et de le représenter", explique celle qui occupa le fauteuil de maire de 1995 à 2001. Pourtant, dans les rues tranquilles du quartier Bosquet comme sur les pelouses du Champ-de-Mars, le bouleversement n'émeut guère. "La greffe a bien pris, juge même la directrice d'une école privée. Avant son arrivée, je craignais qu'elle ne soit uniquement dans le côté "m'as-tu-vu" et ne s'occupe pas du VIIe. Ce n'est pas le cas."
"Depuis son arrivée,il se passe des choses"
De fait, malgré les pouvoirs limités d'un maire d'arrondissement, Rachida Dati fait preuve d'un activisme forcené. Multiplication des réunions publiques, courriers fréquents à Bertrand Delanoë, événements dans les locaux de la mairie... L'ancienne garde des Sceaux prend son travail d'élue locale à coeur et fait jouer ses réseaux.
"Je veux que les choses avancent, alors je prends mon téléphone et je ne lâche pas avant d'avoir eu ce que je voulais, martèle-t-elle. C'est ainsi que j'ai tenu en trois ans l'essentiel de mes engagements de campagne."
Une affirmation qui fait sourire Laurence Girard, la seule élue socialiste (PS) du VIIe. "Elle dit qu'elle obtient beaucoup mais, concrètement, rien ne change. Le logement social est au point mort, le parking Bosquet n'est pas sorti de terre, il n'y a toujours ni crèche supplémentaire ni piscine... Son discours, c'est de l'affichage. Du vent."
Du vent? En partie seulement. En tout cas, pour une bonne part des habitants, il souffle dans la bonne direction. "Depuis son arrivée, on a la sensation qu'il se passe des choses, affirme Bernard Loing, président de l'association les Amis du Champ-de-Mars. Elle obtient des réunions avec la mairie centrale, oblige Delanoë et ses adjoints à prendre position. Tout n'est pas encore réglé mais, au moins, elle agit." Dernière intervention en date: un coup de fil passé au cabinet du Premier ministre pour récupérer 65 places de stationnement annexées cet hiver par des services de police sur l'avenue de Ségur. "C'est bien le signe qu'elle bouge", se félicite "P", animateur d'un collectif de riverains.
C'est surtout le signe que Rachida Dati sait parfaitement coller aux attentes de son électorat. Attentive aux demandes des associations, proche des commerçants, elle s'est adaptée à la sociologie de cet arrondissement où l'on paie plus qu'ailleurs l'ISF, où les églises sont pleines et les lycées privés plus nombreux que les établissements publics. C'est dans l'enceinte du collège Sainte-Jeanne-Elisabeth qu'elle a inauguré, en octobre 2010, un internat d'excellence accueillant une douzaine d'élèves en provenance de quartiers difficiles. Et dans les écoles catholiques qu'ont été donnés les premiers cours d'anglais aux enfants de maternelle. "Je vais à la messe, je participe aux activités paroissiales, je m'entends bien avec les curés, confie celle qui passa une bonne partie de sa scolarité chez les Carmélites. Les gens d'ici sont conservateurs, je suis raccord avec eux."
Sa stratégie sert également ses ambitions pour les législatives de 2012, où elle espère décrocher l'investiture dans la circonscription englobant des parties des Ve, VIe et VIIe arrondissements. Trois des quartiers les plus chics de la capitale. Pour sa part, elle juge "évident que le maire du VIIe soit investi dans sa circonscription", et l'affirme : "Ce n'est pas l'UMP mais Nicolas Sarkozy qui tranchera. D'ailleurs, il m'a assurée de son soutien." Voire. A l'Elysée, on indique qu'il est encore trop tôt pour que le président se soit penché sur ce dossier.
Quoi qu'il en soit, un soutien populaire massif pourrait lui servir de garantie si, d'aventure, François Fillon - que l'on sait intéressé - en venait à revendiquer la même circonscription, avant
de briguer la mairie de Paris en 2014.
Elle refuse la création de logements sociaux
"Elle n'a pas tant de cartes que cela à jouer, note un élu UMP. Elle s'est mis à dos la quasi-totalité des élus de droite parisiens, qui roulent désormais pour le Premier ministre. Alors elle se dit qu'en bétonnant sa position et en prenant l'opinion à témoin, elle peut finir par s'imposer."
Mais si le VIIe arrondissement vaut bien une messe, pas sûr que cela soit le cas de toute la capitale, ce qui risque de contrarier son rêve : succéder à Bertrand Delanoë. De fait, Rachida Dati tient sur la quasi-totalité des dossiers parisiens une ligne particulièrement dure. La ville veut-elle construire des logements sociaux dans le VIIe, qui n'en compte même pas 2% ? Elle s'y refuse, mettant en avant la "protection du patrimoine", le "manque d'équipements publics" ou "les difficultés d'adaptation que rencontreront les futurs locataires".
Certains édiles acceptent-ils de célébrer les Pacs en mairie? Hors de question qu'elle s'associe à une démarche risquant de "créer une confusion avec le mariage". Bertrand Delanoë entend-il fermer les voies sur berge aux voitures? Elle prend la tête de l'opposition au projet, "pour ne pas perturber la circulation" et "préserver un axe vital pour l'économie de la région". "Elle donne des gages à son électorat le plus réac, qui n'avait pas forcément apprécié son parachutage", analyse Laurence Girard.
"Elle n'a pas modernisé le discours de la droite"
A plus long terme, la manoeuvre n'est donc pas sans risques. A flatter ainsi un électorat conservateur, l'ex-ministre de la Justice campe sur les mêmes positions que l'opposition à Delanoë depuis 2001. Des thèmes qui, d'élections municipales en élections régionales, n'ont valu à cette dernière que des défaites. "En arrivant en 2008, elle avait l'opportunité de décomplexer la droite parisienne et de la rapprocher d'un électorat bobo qui nous échappe depuis longtemps, soupire un conseiller (UMP) de Paris. Mais elle s'est enfermée dans son arrondissement et n'a pas su s'adapter à la nouvelle sociologie parisienne."
Une analyse partagée par celle que Bertrand Delanoë a choisie comme dauphine pour 2014. "Avec son style, sa popularité et ses réseaux, elle aurait pu facilement s'imposer et moderniser le discours de la droite. Elle ne l'a pas fait", note Anne Hidalgo, l'actuelle première adjointe (PS). "Qu'elle continue comme ça jusqu'en 2014 : cela nous conviendra très bien", renchérit un proche du maire.
Un écueil qui n'impressionne pas plus que ça l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy. "Pour moi, le VIIe n'est pas un arrondissement à part, affirme-t-elle. Certes, sa sociologie n'est pas la même que dans d'autres arrondissements, mais cela ne signifie pas que les besoins des habitants soient différents. On peut changer les choses à partir du VIIe." Et, si cela ne fonctionne pas, elle n'exclut pas de changer de ligne politique.
A un élu parisien qui lui demandait si son positionnement ne la handicaperait pas pour conquérir Paris en 2014, Rachida Dati aurait répondu: "Je n'aurai qu'à infléchir mon discours."
Un cumul en question
Il n'en reste plus qu'une... Après la démission de Marielle de Sarnez, en avril 2010, et de Jean-Marie Cavada, en décembre, Rachida Dati est le dernier membre du Conseil de Paris à cumuler son mandat parisien avec celui de député européen.
Alors que les élus MoDem et Nouveau Centre ont expliqué leurs décisions respectives par des contraintes insurmontables d'agenda, ces problèmes de calendrier ne semblent pas atteindre l'ancienne ministre de la Justice. Mieux: à ces deux fonctions, elle ajoute celle de conseillère politique de l'UMP et effectue pour le parti, et à titre personnel, au minimum un déplacement par mois, en France comme à l'étranger...
"Je dors peu et je bosse beaucoup", justifie l'eurodéputée UMP. "C'est une simple question d'organisation, reprend l'un de ses proches collaborateurs. Elle ne dort jamais à Bruxelles ou à Strasbourg, ce qui lui permet d'être en mairie ou au Conseil de Paris quand il le faut." Quand il le faut, mais pas toujours de manière assidue.
Selon un autre élu parisien, elle appartient au groupe des "conseillers express", "ceux qui viennent en séance le matin pour signer la feuille d'émargement et serrer quelques mains, puis s'éclipsent en milieu de matinée". Même attitude au Parlement européen. Selon une étude publiée en juin 2010 par le site Internet Parlorama.eu, le taux de présence de la députée Dati en séance plénière s'élèverait à seulement 64% pour sa première année de mandat. Ce qui la classe à la 64e place des 72 députés français.