Bon, ça y est, les municipales sont passées, on va pouvoir reprendre le cours de nos activités habituelles. Pour le Parti Socialiste, il s’agira de se panser les plaies et se penser un avenir, ce qui semble déjà fort mal engagé. Pour l’UMP, son absence presque méthodique de programme crédible et de leader charismatique seront un instant couvertes par les hourras de ses têtes de nœud listes. Le Front National va goûter au plaisir douteux de mettre à son tour ses doigts dans le pot de confiture dans plusieurs villes de France. Quant aux journalistes, ils sont formels : les électeurs ont émis un message clair.
Et ce message, on a le droit à sa fine analyse sur les ondes, sur les écrans et dans des milliers de petits notules journalistiques. Tout est clair : l’électeur, dans sa grande sagesse, a décidé que la Drouate UMP devait remporter la timbale et accordait aussi au FN une petite place histoire de bien appuyer le mouvement. (Et comme l’électeur est magnanime et rigolo, il a aussi permis à Bayrou d’être élu et à Moscovici d’être battu, mais c’est pour rire.)
On ne compte plus le nombre d’articles dans lesquels la déroute électorale du Parti socialiste s’est muée en « bastonnade », la victoire de l’UMP en « tsunami », et les résultats du FN en « véritable succès ». Et tous en concluent l’évidence : les électeurs rejettent massivement la politique de François Hollande, n’aiment plus le parti socialiste et se jettent donc facilement dans les bras de l’UMP (et dans une moindre mesure, ceux du FN).
On exhibe même les cas symptomatiques de Limoges ou de Quimper, qui ont violemment basculé à droite. Ainsi, Limoges, ville socialiste depuis 1912 et maintenant aux mains de la droite, doit forcément signifier quelque chose, et de toute évidence, un rejet. Ainsi, Quimper, dont le maire est un proche de François Hollande, et qui a été au centre des manifestations de Bonnets Rouges en fin d’année dernière, voit sa mairie tomber dans l’escarcelle d’une UMP frétillante de joie sur les plateaux télé. Et puis, pensez donc : Béziers qui tombe pour le Front National, c’est quelque chose, ça, monsieur ! Si ce n’est pas une déferlante de la droite, qu’elle soit extrême ou pas, qu’est-ce que c’est, hein, ma brave dame ? On a même pu entendre les envolées lyriques d’un Duhamel (sur Europe 1) expliquer que cette défaite du PS était historique et d’ampleur supérieure à la déculottée de 1983. Ça veut bien dire ce que ça veut dire, hein, mon petit monsieur !
Je suis toujours surpris de voir l’assurance avec laquelle nos journalistes, nos politologues et même nos politiciens se lancent dans des explications a posteriori de ce genre. Comme bien souvent, ces élucubrations partielles s’auto-alimentent fiévreusement et chacun y va de sa petite remarque pour mâtiner le commentaire global (défaite, déculottée, déroute, branlée, bastonnade) de ses propres turpitudes, les teinter de son propre agenda et obtenir le bruit de fond assourdissant et sans grand intérêt qu’on peut entendre maintenant.
Regardez, ainsi, comment le chiffre de l’abstention aura été commenté autant qu’il aura fallu avant les premiers résultats, et oubliés aussitôt ceux-ci disponibles. Ce n’est pas anodin : dans l’iconographie politico-journalistique habituelle de la Cinquième République, ceux qui s’abstiennent ont tort (puisqu’ils se sont abstenus) et on peut donc les oublier pour se concentrer sur les vagues (bleus ou roses, peu importe) qui se suivent, se ressemblent et s’analysent de la même façon. Le rappel constant (et navrant) à de précédentes municipales (au mieux) avec des comparaisons à n’en plus finir, ou pire à la précédente présidentielle, en disent finalement plus long sur le match de boxe qui se déroule dans les têtes de ceux qui font l’actualité que sur ce qui s’est réellement passé sur le terrain.
Bien sûr, le FN a certainement réalisé un beau score puisqu’au contraire de l’écrasante majorité des élections précédentes, il va pouvoir récupérer quelques occasions de se faire la main au pouvoir (local) et montrer (par quelques échecs à venir, quelques magouilles retentissantes et quelques gestions hasardeuses) à quel point il s’est effectivement normalisé, banalisé et fera finalement aussi bien (c’est-à-dire aussi mal) que les deux autres partis. Bien sûr, l’UMP récupère un nombre considérable de villes et en gagne certaines qui ne lui étaient pas favorables précédemment. Bien sûr, le PS voit clairement son score et sa base s’amoindrir.
Mais tout ceci est un simple constat d’évidence politique.
Il suffit de revenir sur l’abstention, qui a battu des records pour une élection locale, pour comprendre qu’on assiste, en réalité, à un tournant bien plus profond que ce que nos analystes nous expliquent : les électeurs, confrontés au cirque habituel, ayant le choix entre une UMP idiote et corrompue ou un PS aussi pourri et crétin, ne se sont tout simplement pas déplacés. Lorsqu’une liste FN s’est présentée avec une chance réelle de l’emporter, là, ils se sont déplacés pour tenter quelque chose de nouveau, mais sinon, c’est vraiment une bascule presque mécanique, en symétrie des précédentes élections.
Autrement dit, les électeurs veulent toujours une chose de façon claire : le changement, celui-là même que Hollande n’a pas été capable de leur fournir sur les deux dernières années.
Ce qui apparaît n’est pas vraiment le rejet du PS. C’est plutôt le rejet de toute une classe politique, et ce, dans une proportion encore plus grande qu’aux précédentes élections, tant la présidentielle que parlementaire. De la même façon que Hollande fut choisi par rejet de Sarkozy, l’UMP est ici choisi par rejet du PS, et le FN par rejet de l’UMP et du PS quand c’est possible. Et pire encore, ceux qui sont élus le sont par un corps électoral tous les jours plus faible, avec une abstention toujours plus forte, des bulletins blancs ou nuls toujours plus nombreux, et un nombre de non inscrits qui n’arrête pas de grimper.
On peut tenter de tortiller la réalité comme on veut, on peut essayer de camoufler ces éléments derrière les discours les plus enflammés de dirigeants politiques aux accents tribuns, mais elle n’en changera pas pour autant : les politiciens voient à chaque élection s’éroder l’intérêt que leurs portent les électeurs, qui votent machinalement pour l’opposant, quel qu’il soit, afin d’amoindrir le mal du précédent guignol qu’ils ont eu à se farcir.
Et que l’intérêt de l’électeur baisse autant alors qu’il s’agit d’une élection locale indique encore plus clairement que la demande électorale n’est pas remplie. Petit à petit, depuis les maires jusqu’aux députés et au président lui-même, le nombre de personnes prêtes à soutenir ces personnes et les laisser continuer à taper dans la caisse publique s’amenuise de façon sensible ; il ne reste plus que les convaincus, indécrottables, et surtout, une masse informe d’électeurs qui votent par défaut, pour faire barrage au précédent élu, jugé impropre.
Oh, bien sûr, pour le moment, on ne parle pas encore de légitimité amoindrie ; on ne doute pas, en plateau télé, dans les articles et les analyses, de la pertinence du vote ni de la bonne légitimité des élus que le peuple s’offre à grand frais actuellement. Mais le désaveu grandit, à chaque élection. À chaque vote, les discours se font plus futiles et plus creux, les programmes se font plus transparents, les différences entre candidats se diluent (sérieusement, NKM et Hidalgo, vous voyez une différence ?). Et à chaque vote, la base s’amenuise, et la légitimité recule.
Inévitablement, un jour, cette question va se poser. Et ce jour là, elle pourrait être posée violemment.